Société d’ Histoire de Revel Saint-Ferréol                                   LES CAHIERS DE L’ HISTOIRE

 

L'EGLISE PAROISSIALE
SAINT-MARTIN DE SOREZE(TARN)

Nelly POUSTHOMIS-DALLE
in Archéologie du Midi Médiéval – 1987 – tome 5 –
Centre d’Archéologie Médiévale du Languedoc – pp. 119-129

 

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De l'église paroissiale Saint-Martin de Soréze, il ne subsiste plus que l'abside, de style gothique, seule épargnée par les protestants en 1573 sans doute parce qu'elle est surmontée d'une
 tour -  clocher d'allure fortifiée.

Ce dossier propose d'abord une synthèse des données historiques connues sur cette église et sur la formation du bourg de Soréze.

Suit une analyse archéologique qui, en tenant compte des restaurations des XIXe et XXe siècles, a pour but de dater avec plus de précision les vestiges actuels et d'en proposer les sources d'inspiration.

 Elle soulève notamment la question du remploi, dans les contreforts de l'abside, d'éléments sculptés romans, très semblables à ceux dispersés dans Soréze et aux alentours, précédemment étudiés (voir dossier sur les chapiteaux corinthiens)  et que l'on serait tenté d'attribuer à l'abbatiale romane Sainte­Marie de Soréze, elle aussi disparue.

 

 

 

 

 UNE ABONDANTE ICONOGRAPHIE CONCERNANT
LA « TOUR SAINT MARTIN » EXISTE. ELLE ILLUSTRERA CE DOSSIER …

 

 

De l'église paroissiale Saint-Martin, il ne subsiste plus que le chœur surmonté d'un clocher qui domine la petite ville de Soréze et son ancienne abbaye connue surtout pour son célèbre « collège ». Ville, église paroissiale et monastère-collège sont aussi intimement liés dans leur histoire que dans le paysage, ce qui explique sans doute que les ruines de Saint-Martin aient été peu étudiées et soient souvent mal datées.

 Or, bien que de style gothique, elles renferment des remplois d'éléments romans très proches de ceux dispersés dans Soréze et dans ses environs et que l'on serait tenté d'attribuer à l'abbatiale romane Sainte-Marie, aujourd'hui disparue (1).

Ce remploi pose donc deux séries de questions : d'où proviennent-ils, de l'église paroissiale ou de l'abbatiale, ou bien des deux à la fois?
 Quand a-t-on remployé ces éléments : lors de l'édification de cette église gothique ou a posteriori lors de travaux de consolidation ?
 Pour tenter de répondre à ces questions, nous devrons retracer l'histoire de cette église paroissiale et en faire une analyse archéologique qui permette de la dater.     

 

 

  TABLEAU 1860 Terson de Palleville

PHOTOGRAPHIE 1860 Terson de Palleville

 

(1) Voir notre ouvrage sur L'abbaye de Soréze ('Tarn). Recherche archéologique, 1978-1982, thèse du 3e cycle sous la direction de M. le Professeur M. Durliat, Université de Toulouse-le-Mirail, 3 volumes ; ainsi que nos articles sur les sculptures romanes de Soréze parus dans Archéologie du midi médiéval, 2, 1984, p. 71 à 80 à47.
 

CONTEXTE HISTORIQUE

La première mention connue de Saint-Martin remonte à 1 120 (2) et on ne lui connaît pas d'autre vocable. Or, l'existence d'une église paroissiale à cette date s'intègre assez bien à l'histoire de la ville que l'on peut restituer au travers de quelques rares documents.

 A l'origine, l'abbaye Sainte-Marie fondée au début du IXe siècle, dans un site probablement inculte (le terme de Sagne qui la désigne étant traduisible par marécage) et peu habité, au pied du castrum de Verdun.

 Ce village fortifié, appelé Berniquaut vers le milieu du XIIe siècle, apparaît donc comme l'ancienne ville haute, peu à peu désertée au profit d'un noyau d'habitats qui se forme progressivement autour de l'abbaye.

 Dès 1057, il est question d'une maison située « in eadem Soricinii villa » et, en 1060, du monastère « situm in villa vocata Soricini » (3).

Les efforts des frères Escaffre, seigneurs de Berniquaut, pour remettre en valeur ce site (vers 1141) et pour faire détruire la ville basse, qui leur apparaît donc en 1 153 comme une dangereuse rivale, ne peuvent empêcher l'abandon définitif de Berniquaut dans la deuxième moitié du XIIe siècle (4).

A Soréze même, un quartier situé au Nord de l'abbaye a conservé le nom de « ville vieille »: son parcellaire de petites dimensions, au bâti dense et aux rues étroites et tortueuses, pourrait correspondre à une partie du noyau primitif de l'agglomération.



 (2) Bulle du pape Calixte Il confirmant les possessions de l'abbaye de Soréze, Archives Départementales du Tarn, 2JI, synopsis, fol. 8.
 (3) Archives Départementales du Tarn, 2JI, Svnopsis, fol. 4 et 5.
 (4) Dom Devic et Dom Vaissette, Histoire Générale de Languedoc. Privat, p. 726 et preuves col. 1145-1146 charte CCCCLI n° I et II,. p. 789 et preuves col. 1136. La volonté de remise en valeur de Berniquaut dès
 1 141 est confirmée sur le site même par des constructions en pierres layées et la découverte de monnaies du milieu du XIIe siècle et de céramiques contemporaines.
 Son dépeuplement et son abandon dans la deuxième moitié de ce siècle sont corroborés par les fouilles.


 
A partir de 1280, divers actes prouvent l'existence de faubourgs : une borde et jardin « apud Soricinum ad villam novam » (1280), une maison située « in superio eiusdem villae barrio » (1286) et une borde et jardin hors la ville et au « barri d'icelle » (1322) (5).

 La ville de Soréze s'est organisée vers l'Ouest de l'abbaye, selon un plan très proche de celui des bastides avec des rues plus ou moins perpendiculaires aboutissant à une place centrale dotée de couverts et d'une halle, aujourd'hui détruite, le tout ceinturé de remparts.
 L'église paroissiale primitive a disparu mais elle devait occuper l'emplacement des vestiges actuels de l'édifice gothique qui lui a probablement succédé, à proximité de la « ville vieille » et de l'abbaye (planche I).
 Elle était peut-être entourée d'un cimetière, du moins y en avait-il à l'Ouest jusqu'au XVIIIe siècle et un autre au Nord-Est encore utilisé au début du XVIIIe siècle, tandis qu'à cette même date une petite place, « l'esplanade Saint­Martin », bordait le chevet au Sud ; les ruines elles­mêmes de l'église durent servir de cimetière au XVIIIe siècle (6).

Nous sommes mal renseignés sur la construction de l'édifice gothique dont nous voyons encore les vestiges. Le ler janvier 1508, il est passé contrat avec Stefane Cotela et Pierre Condomy, tailleurs de pierre de Soréze, pour édifier une chapelle « a parte capitis dicte ecclesie » en pierre de Labruguière et le 10 août 1512 un bail est passé avec Johan et Nicolas Marti de Castres pour la fonte d'une cloche, témoignant sans doute de l'achèvement du clocher (7).


 
(5) Actes de 1280 et 1322 ; Archives de l'Ecole de Soréze, Cartulaire de l’abbaye de Soréze, n° 505, fol. 346-347 et fol.386-388. Acte de 1286; archives Départ. Du Tarn, 2JI, Synopsis, fol.20.
(6) Délibération consulaire du 26 septembre 1694. En 1734, la communauté cède à l'abbé cet emplacement contigu à la maison abba­tiale et en 1736 un nouveau cimetière est créé hors les murs (Archives Municipales de Soréze). Voir aussi un croquis de 1773, Archives de l'Ecole de Soréze, n° 105.
(7) Bail à bâtir d'une chapelle: Archives Notariales de Soréze, Registre Roberty 1508, fol. 36 r° v° ; l'interprétation est ici délicate: s'agissait-il du chevet lui-même, d'une chapelle du coeur ou d'une chapelle contiguë dont on pourrait voir un vestige dans un départ d'arc qui subsiste encore au nord de l'entrée du choeur (visible depuis un jardin voisin) ?
Bail pour la fonte d'une cloche ; Archives Notariales de Soréze, Registre Raynaudi, 1512, fol. 48, (pour 20 livres tournois). Cette cloche qui subsiste au clocher Saint-Martin porte une inscription de 1515 ; elle est décorée de plusieurs médaillons rectangulaires tels le Christ en croix entre la Vierge et saint Jean et saint Martin à cheval, cf. P. Breillat, « Campanographie tarnaise», Bulletin de la Société des Sciences, Arts et Belles Lettres du Tarn, 1942-43, p. 73.

 

Lors d'un premier sac de Soréze en 1571, les protestants incendient et détruisent l'abbatiale mais épargnent, semble-t-il, l'église paroissiale qui accueille alors les moines pour leurs offices divins (8). En 1573, ces mêmes huguenots se rendent maîtres de Soréze et détruisent en grande partie l'église Saint-Martin, à l'exception de l'abside, sans doute à cause de son utilité comme tour de guet possible. L'étage supérieur aurait cependant été détruit (9). Quant au reste de l'édifice, il semble qu'il en ait subsisté des traces au moins jusqu'au percement au XVIIIe siècle de la rue Saint-Martin (ancienne rue nouvelle du Four). En 176 1, le curé Jean Cailhassou les décrits ainsi (10):
« suivants les fondements l’ancienne église devait avoir quinze canes en long et près de sept en large (11).
 On n'a point trouvé de grande porte au fond et il faloit sans doubte que lentrée de laditte eglise fut accollée. Tout ce qu'on a trouvé est une petitte porte de trois pans au fond qui sans doubte devoit etre une petitte issue pour sortir qui étoit fort fréquentée car le seuil de cette petitte porte qui étoit une pierre de marbre blanc (12) etoit rongée par le passage. J'y vis le pied d'estail ou etoit la fontaine pour les baptemes avec la petitte chapelle et le jour ou passoit l'eau qui tomboit en baptisant »(13).



8) J.A. CLOS, « Supplément à la notice historique sur Soréze », Procès- verhaux de la Société littéraire et scientifique de Castres. 1862, T.V., p. 308.
(9) Ibidem.J.A. CLOS, Notice historique sur Soréze et ses environs, (Toulouse, 1822), rééd. Toulouse, 1845, p. 86.
H. CROZES, Répertoire archéologique du Tarn, Paris, 1875, p. 58.
(10) Dès 1758, le curé, contraint de cohabiter avec les moines dans l'église abbatiale dont une partie est réservée à la paroisse, commence à réclamer la reconstruction de l'église paroissiale. En 1760, la question est évoquée à plusieurs reprises par le conseil de ville, des démarches sont effectuées auprès de l'Intendant et de la Cour pour obtenir la vente du quart de réserve et payer les travaux alors estimés à 21.300 livres (soit 16.000 livres pour la nef et 5.300 livres pour le choeur). A l'occasion de ce devis, on « fait rouvrir les fondements de l'ancienne église » que l'on devait reprendre lors de la réédification ; situés dans le jardin du curé, celui­ci indique qu'ils sont « très beaux et très bons, et d'une bâtisse qui ne s'en fait pas actuellement de semblable par sa bonté et sa solidité » (Archives Municipales de Soréze, registre GG7, 1760, fol. 18). Contrat est passé avec Antoine Blanc, maçon de Soréze, en 1762 (délibération consulaire du 28 avril), mais le projet ne verra jamais le jour malgré l'acharnement du curé. Quinze ans plus tard, il en est encore question puisque les travaux sont évalués à 21.000 livres pour la nef et 3.500 pour le sanctuaire (délibération consulaire du 24 juin 1777) ; selon le curé Cailhassou, la nouvelle nef devait être éclairée par « quatre grandes fenêtres du côté du midi et quatre autres du côté de la maison de ville... et une grande rose sur le grand portail » (registre paroissial GG8, 1770-1779, relation de 1775, fol. 115 r° vo). Mais le curé, découragé par l'inaction des consuls, l'opposition des bénédictins et des protestants, se sentant trop vieux pour lutter, abandonne son rêve en 1785. Ce n'est qu'au milieu du XIXI: siècle, à la suite de transactions entre la municipalité et le Père Lacordaire, alors directeur de l'Ecole, que sera entreprise la construction d'une église paroissiale sur un terrain situé au Nord en bordure du boulevard, inaugurée en 1864.
(11) Soit environ 27 m par 12,5 m si l'on prend 1,805 m comme valeur de la canne (canne de Toulouse et de Lavaur).
(12) Qui pourrait indiquer le remploi d'éléments romans ailleurs que dans le chevet.
(13) Laissés à découvert une huitaine de jours pour que les habitants puissent les voir, ces fondements furent ensuite recouverts (registre paroissial GG7, fol. 18).

 

D'après le plan de 1773, le choeur est prolongé par des murs correspondant sans doute à ceux de l'ancienne nef qui servait alors de cimetière (14) ; le mur Sud de cette nef est percé d'une porte centrale et flanqué à l'extérieur de deux constructions de part et d'autre de cette porte.
La « nouvelle rue » projetée est indiquée en pointillé dans la partie occidentale de l'ancienne nef.

Ce plan correspond grossièrement à celui donné par Lacroix (15) où le prolongement probable du chevet est figuré en pointillé et où sont situés l'emplacement de l'ancien cimetière paroissial et sa porte d'accès.
 L'auteur indique l'existence « dans le mur de clôture du jardin du receveur des postes » bordant la rue Saint-Martin d'une « porte qui donnait accès au cimetière, lequel se trouvait à droite de l'église...

 Cette porte a son seuil à plus de un mètre en contre-haut de la rue »(16).
Nous pouvons donc restituer, à partir des documents cités, le plan de l'église paroissiale composé d'une nef unique relativement courte (17) terminée par une abside à pans coupés surmontée d'un clocher, plan qui pourrait paraître cohérent et d'allure gothique.


(14) Croquis portant sur le projet de construction de l'aile ouest du collège bordant la cour dite des Rouges, Archives de l'Ecole de Soréze n° 105, portant au v° « Ne varietur le vingt décembre 1773 » cosigné par le syndic du monastère et le premier consul.
(15) F. LACROIX, Quelques renseignements sur la vieille ville de Soréze (Tarn), Toulouse, 1913, p. 9; et Victor Allègre, Les Richesses médiévales du Tarn, Art gothique suivi du répertoire complet des vestiges romans et gothiques dans le Tarn, T. Il, Toulouse, 1954, plan p. IV.
(16) F. LACROIX, Quelques renseignements..., ouv. cité, p. 10.
(17) De 3 ou 4 travées (3 selon le Père Girard, Histoire de Soréze, dactylogr., chap. VII, p. 2, Archives de l'Ecole de Soréze).

 

 

 

 

 

Planche 1: Extrait du plan cadastral de Soréze (section A, ville).

 

 1: Chevet-clocher de l'église paroissiale Saint-Martin.

 2 : Abbaye Sainte-Marie.

 3: Quartier dit de la ville vieille.

 4: Eglise paroissiale actuelle, inaugurée en 1864.  

 5: Place avec des couverts (halle détruite).

 6: Portes et tracé des anciens remparts.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

On remarque au Nord les vestiges d'une construction peut-être légèrement postérieure et qui pouvait être une chapelle (18). Cette nef était charpentée comme en témoignent les traces de toiture dans le mur triomphal.

Bien avant Cailhassou, la reconstruction de l'église avait été envisagée.

 Le clergé paroissial, de retour vers 1610, tente de récupérer les revenus et les biens dépendant des nombreux obits que comptait la paroisse avant les guerres de religion (19).

Ainsi, Raymond Gueiral, prêtre de Gaillac, se fait conférer les chapelles vacantes en 1614 et fait revenir plusieurs obits dont certains usurpés, notamment à Belleserre.

 Il réunit d'autres prêtres pour rétablir la « consorce » (20).

 

 

(18) A la jonction de la nef et du chevet, actuellement dans un jardin particulier, il pourrait s'agir de la chapelle prévue par le contrat de 1508 (supra note 5). Le curé Cailhassou ne mentionne que la petite chapelle des fonts baptismaux.

(19) Au XVIe siècle, la paroisse était desservie par un curé et un clergé d'une dizaine de prêtres obituaires, cf. Archives Municipales de Soréze, Registre paroissial GG6, 1751-1758, fol. 244-245. Cf. Jean Antoine Clos, « Essai sur la commune de Soréze », Revue du Tarn, 1884-85, T.V., p. 239.Sur les obits, voir aussi Archives municipales de Soréze, registre GGS, fol. 4 et Archives de l'Ecole de Soréze, Cartulaire de l'abbaye de Soréze, n° 505.

 

Mais les religieux, qui les accueillaient probablement dans leur chapelle provisoire, les chassent en 1618, ne tolérant que le seul curé.

 Celui-ci, Arnaud Dubourg, avait commencé à ramasser les matériaux pour rebâtir l'église mais, en profond désaccord avec les moines, il quitte Soréze en 1618 pour la cure de Cuq (2 1).

 La même année, l'abbé accepte de prendre exceptionnellement à sa charge les réparations de l'église paroissiale, mais nous ignorons la nature et l'ampleur de ces travaux (22).

Quoiqu'il en soit, le curé est contraint de dire ses offices dans la partie de l'église abbatiale qui lui est réservée, et de se plier aux exigences des religieux.

 Le curé Cailhassou, nommé à Soréze en 1743, acceptera mal ces contraintes (23) et pendant une quinzaine d'années il poursuivra avec obstination le dessein de réédifier son église, sans y parvenir (24).

En 1707 la toiture du clocher paroissial s'effondre, l'horloge de la ville est détruite et la cloche endommagée.

La couverture est refaite en 1717 par Jean Amalvy, charpentier des Cassés, et l'horloge est réparée ; les anses de la cloche de 1515, qui avaient été brisées, ne sont pas refaites et la cloche est fixe depuis (25).

Lors d'un orage en juillet 1753, la foudre tombe sur le clocher, casse « en plusieurs morceaux des grosses pierres de marbre, des pierres de taille », ébranle « les arceaux du vitrage bas et haut » et brise des ardoises (26). Il semble donc que dans la partie supérieure, le clocher ait subi, sinon lors des guerres de Religion, du moins au XVIIIe siècle, des modifications dont une délibération du CONSEIL_MUNICIPAL de 1856 se fait l'écho :« la hauteur de ce clocher a déjà été diminuée un peu par l'impéritie des maçons de la localité qui trouvèrent plus simple d'en abattre une partie que de réédifier ce que le temps avait entamé » (27).
 

(20) Registre du notaire Leignes, 1614, fol. 237 et du notaire Blaquière 1613-1614, fol. 275, 277 v°, 316 et 318, cités par Cailhassou, Archives Municipales de Soréze, registre GG5, fol. 158.
(21) Archives Municipales de Soréze, registre GGS, dernière feuille.
(22) Archives Départementales du Tarn, SOJ, actes des 23 et 27 août 1618, collationnés par Blaquière-Paris.
(23) Le curé Cailhassou s'est largement étendu dans ses notes sur ses relations avec les moines (Archives Municipales de Soréze regis­tres GGS, fol. 145 à 158 et GG8, fol. 1 à 10 v° (écrit le 18 juin 1780). Il accuse les religieux de se plaindre ouvertement de cette coexistence tout en empêchant sourdement la reconstruction de l'église paroissiale. Il avertit son successeur que le « chapitre était pour lui ce que Carthage était pour Rome » (cité par J.A. CLOS, Notice historique... ouv. cité, p. 138).
 (24) Cf. supra note 10.
(25) P. BREILLAT, « Campanographie tarnaise », art. cit. p. 73, note 47.
(26) Archives Municipales de Soréze, registre GG6 (175 1-1759), fol. 68 r° et v°. Cette description des dégâts tendrait à prouver que des pierres de marbre se trouvaient dans les superstructures, à moins qu'elles n'aient été brisées par la chute d'autres matériaux.
(27) Archives Municipales, registre des délibérations, 1 1 mai 1856, Notice présentée par Rivals au CONSEIL_MUNICIPAL en vue de demander le classement du clocher au titre des Monuments Historiques. Il ne le sera que le 17 avril 1879.

 

 

Le montant des travaux, évalué à 4.880 F dans ce devis, est estimé à 10.000 F par l'Inspecteur Général Boeswil­wald après visite sur les lieux en 1879. L'édifice étant classé au titre des Monuments Historiques le 17 avril 1879, c'est lui qui est chargé en 1880 de dresser un devis, présenté en 1882, accompagné de deux élévations, une coupe et quatre plans à différents niveaux (30). Dans sa description du monument, il dissocie l'abside qu'il date du XVe siècle de la tour octogonale (clocher) qu'il attribue au XVIe siècle. A propos de la construction, il note que « les angles des contreforts, bandeaux, jambages, nervures des voûtes, sont montés en grès avec remplissage de moellons de toutes formes, anciens matériaux ouvrés, roches roulées de grande dimension, fragments en marbre blanc d'un édifice du XIIe siècle, bases, morceaux de chapiteaux, claveaux d'arc provenant de l'ancienne ville de Puyvert (31)... Le tout noyé dans un mortier exclusivement dur » (32).

Son projet de restauration découle de son interprétation des parties supérieures de l'édifice. Tout en admettant que le clocher n'a de « militaire » que l'allure, il prévoit dans son devis et ses élévations la « reconstruction » du parapet crénelé du « chemin de ronde » qui doit être dallé et doté de gargouilles, en même temps que la reprise des maçonneries, la restauration des arcs entre les contreforts, le redressement et la réfection de la couverture en ardoise (33). Le les juillet 1887, la Commission Supérieure des Monuments Historiques, sur le rapport d'Anatole de Baudot, décide la réfection de la toiture et la consolidation des fenestrages soit 8.475,04 F de travaux.

 En janvier 1889, la charpente vient d'être refaite à neuf avec un peu plus d'élévation (34). La couverture fera encore l'objet de réparations à la suite d'ouragans en 1902 (35) et 1906 (36).

En 1908, après avoir démoli des « porcheries » installées entre les contreforts, quatre grilles y sont scellées pour éviter les dépôts d'ordures (37).
 

(30) Ibidem (3 mars 1882) et plan n° 8773. 
(31) Il s'agit de l'ancienne ville de Verdun-Berniquaut que les historiens locaux du XIXe siècle nommaient Puyvert à la suite d'une confusion avec le Puyvert de l'Aude. Cette erreur les a conduits à écrire que Berniquaut avait été détruite par Simon de Montfort (alors qu'elle devait être déjà abandonnée) et à penser que les éléments romans dispersés ou remployés dans Soréze en provenaient (cf. J.A. CLOS, Notice historique... ouv. cité, p. 33). 
(32) Archives des Monuments Historiques, dossier Tarn-Soréze n° 1479, 1er dossier, lettre du 3 mars 1882.  La présence d'éléments romans dans les maçonneries avait déjà été signalée en 1863.  
(33) Coût total : 43.734,04 F, y compris le rejointement des assises inférieures.  
(34) Pour un coût de 10.922,81 F, cf. lettre de Boeswilwald au ministre du 6 janvier 1883, dans le 1er dossier Tarn-Soréze n° 1479 (Archives des Monuments Historiques). 
(35) Prises en charge par la commune.
(36) Pour la somme totale de 7.135,19 F, ibidem, rapport du 16 juin 1906 et devis de A. POTDEVIN, architecte en chef.
(37) Ibidem, devis approuvé le 19 mars 1908.

 

LES TRAVAUX AU XIXe ET AU XXe SIECLE


De nombreuses lithographies nous restituent l'état des ruines de l'église Saint-Martin (fig. 1 à 4) avant les travaux de la fin du XIXe et du XXe siècle.
Un premier devis, dressé en 1863, n'est pas exécuté.
Il prévoyait la réparation de la charpente et de la couverture de la flèche, celle de l'extrados de la voûte du chœur, dépourvue de toiture et endommagée par les infiltrations et les arbrisseaux qui poussaient sur « cette espèce de terrasse » (28) ; la réfection d'un voûtain entre les contreforts et la consolidation des autres ; de compléter la corniche du pourtour supérieur de l'abside ; enfin, le rejointement de toutes les faces de l'édifice (29).

 

(28) Entendons le faux mâchicoulis.
(29) Archives des Monuments Historiques (Paris), dossier Tarn-Soréze n° 1479, 1erdossier (1
er octobre 1863).

 

Fig. 3: Ancienne église de Soréze,                           

 

  Fig. 1: Vue de Soréze, dédiée à M.R.D. Ferlus..., Lepaule del. d'après le dessin de M. Dupont.
P. Gelibert del., lith. P.A. Derosiers

 

Fig. 2: Tour de l'abbaye de Soréze, vignette de Villeneuve, dans Taylor et Nodier, Voyages pittoresques et romantiques dans l'ancienne France, Paris, 1833, Languedoc, vol. I, p. 177. On relève quelques inexactitudes dans la représentation de l'intérieur de l’abside.

 

Fig. 4a : Soréze (Tarn), le clocher, carte postale. Fig. 4b : Soréze (Tarn), le vieux clocher après sa restauration, carte postale.

 

 

 

Fig. 5 : Vue générale du chevet - clocher depuis l'Ouest.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

ANALYSE ARCHEOLOGIQUE

 

Deux étapes de construction au moins sont discernables.

L'abside proprement dite est couverte d'une voûte d'ogives épaulée par de puissants contreforts qui présentent une reprise au niveau du quatrième larmier en partant du bas, laquelle pourrait correspondre à leur hauteur primitive ; ce niveau coïncide d'ailleurs avec un changement d'appareil dans le mur triomphal, au dessus des vestiges de charpente et de toiture de la nef (fig. 5, 12 et 13). L'abside polygonale à cinq pans est précédée d'une demi-travée droite, le tout couvert par une voûte d'ogives à huit branches, soit six nervures rayonnantes sur l'abside et deux branches supplémentaires (une demi-croisée d'ogives) sur la partie droite (fig. 6 et 11).

 L'élévation intérieure est simple, certains pans étant éclairés par une fenêtre percée à mi-hauteur, avec un appui fortement taluté au-dessus d'un mur plein. Les murs sont en blocage, enduits à l'intérieur, masqués par un parement soigné à l'extérieur tandis que les piles, bandeaux, ogives et fenêtres sont en grès. Ce chœur présente des caractères attribuables au XVe siècle.

Les piles, aux bases prismatiques, ont un profil formé de profondes gorges dégageant tores à listel et baguettes, ponctué de filets (planche IV).

 Les chapiteaux sont remplacés par des bandeaux sculptés où voisinent des motifs ou des modes de représentation hérités du roman (42) mais réinterprétés et un répertoire et un style pré-renaissant. Une série d'écussons, lisses ou trop endommagés pour permettre la lecture d'armoiries qui devaient y être peintes ou sculptées, sont présentées par des couples d'animaux fabuleux, des sirènes, des anges vêtus de longues tuniques ou des putti (fig. 7 à 10).

 D'autres sont entourés de cordes entrelacées et nouées, dont certaines étalent de part et d'autre leur réseau complexe (43), ou encore de pampres bien dégagés du fond et enrichis de grappes charnues et de feuilles de vigne soufflées et frisées (fig. 9 et 10).

Ce répertoire iconographique et décoratif et notamment ce goût des écussons, des tresses, des branches noueuses aux rameaux tronqués, apparu dès la fin du XIVe siècle dans les manuscrits se rencontre jusqu'au début du XVIe siècle. Quant au style, il est plutôt médiocre et assez lourd, notamment dans les représentations d'anges ou de sirènes au canon trapu, aux chairs épaisses et aux visages bouffis.

Les ogives pénètrent dans les moulurations des supports qui se prolongent au dessus des bandeaux sculptés placés assez bas. 

 

(42) Comme ces sirènes qui tiennent leur queue recourbée d'un côté ou ces anges aux longs vêtements qui, par leur attitude, rappellent ceux de tables d'autel ou de tailloirs romans.

(43) Un couple de sirènes tient deux cordes encadrant un écusson.

 

 

 

En 1933, Jules Kaehlring reprend le projet de crénelage de Boeswilwald (38). M. Jean Mistler, originaire de Soréze, s'oppose à ce « rétablissement » qu'il juge coûteux, inutile et douteux, essayant d'orienter l'admi­nistration vers un dégagement de l'édifice dont le coût serait de 30.000 F (39).

 

Celle-ci ajourne par un avis défavorable le projet de Kaehlring mais il est repris en 1936 et exécuté de 1937 à 1939 (40). Un devis supplémentaire est dressé en 1941 pour la reconstitution des merlons proprement dits en moellons de Dourgne et pierre de taille de Laroux (41).Une fois connus les travaux exécutés aux ruines de l'église Saint-Martin  et principalement aux parties hautes -, une fois établie l'existence de pierres romanes calcaires dans les maçonneries, probablement dès le XVIIIe siècle, à coup sûr avant les grands travaux des XIXe et XXe siècles, nous pouvons entamer l'analyse archéologique proprement dite de ce monument.

 

(38) Ibidem, rapport de J. KAEHLRING du 15 juin 1933, coût total de 120.839,31 F.(39) Lettre du maire au sous-secrétaire d'État, du 14 janvier 1933 (Ibidem).

(40) Le devis, révisé en 1937, atteint 164.594,54 F (Ibidem).

(41) Ibidem.

 

 

 

Fig. 11 : Voûte d'ogives de l'abside et ses retombées sur les piles.

 

 

 

 

 

 

 

   Fig.7

 

 

 

 

 

   Fig. 8 

 Fig.9

 

Fig. 10 : Bandeau sculpté de l'abside.

 

Fig. 6: Entrée de l'abside et traces de la nef détruite.

 

RETOUR CHAPITEAUX CLOCHER SAINT MARTIN

 

Réunies par une clef laissée sans décor, ces nervures présentent

un profil qui marque peut-être une évolution par rapport à celui des piles puisque les baguettes s'atrophient au profit des gorges au point de se rapprocher d'une succession de moulures concaves (fig. 11).
De même, l'arc d'entrée du chœur, au profil plus anguleux, et ses piles à ondulations pourraient paraître légèrement plus tardifs ou plus évolués (44).

Ajoutons la présence d'une porte en accolade ouvrant sur l'escalier à vis du clocher, logé au Nord dans l'épaisseur d'un massif formant contrefort. Les remplages des baies ont un dessin plutôt flamboyant gardant un vague souvenir du tracé
rayonnant.
Ces caractères stylistiques permettent de rapprocher le chœur de Saint-Martin de réalisations de la deuxième moitié du XVe siècle dans des édifices plus importants de la région albigeoise. Citons l'exhaussement et la reprise complète des trois dernières travées de nef, du transept et du chœur de la collégiale de Saint­Salvi d'Albi, qui présentent notamment des bases prismatiques, des nervures pénétrantes - mais sans bandeaux sculptés -, des baies au réseau flamboyant.
 A la cathédrale Saint-Alain de Lavaur, l'évêque Jean Vigier fait élever, à partir de 1484 une travée supplémentaire à l'Ouest de la nef et un clocher-porche qui offrent des caractères voisins de ceux de Soréze.
Le chœur de Saint­Martin est donc une construction qui reste dans la lignée du gothique méridional, intégrant quelques éléments du style flamboyant à côté d'autres qui peuvent paraître archaïques comparés à des réalisations contemporaines.

Fig. 12 : Vue du chevet (depuis l'Est).


(44) Ces profils évoquent assez ceux des piles et nervures du porche de la collégiale de Saint-Félix-de-Lauragais ou du porche de Saint­Alain de Lavaur.

 

Fig. 13 : Encorbellement sur consoles au-dessus de l'arc triomphal.

 

 

Il peut être rattaché à la « deuxième floraison du gothique » dans le pays tarnais, période de reconstruction et d'embellissement qui s'échelonne entre 1460 et 1530 environ, sous l'impulsion de deux évêques « français », celui d'Albi, Louis fer d'Amboise (1474-1503) et celui de Lavaur, Jean Vigier (1469-1497) (45).
A cette campagne de construction, autour de 1470 ou à partir de cette date, appartient vraisemblablement la salle qui surmonte la voûte du chœur.
 Desservie par l'escalier logé dans le contrefort septentrional, elle présente un mode de construction et de couvrement assez particulier. Rectangulaire, orienté Nord-Sud, des arcs de décharge sont bandés dans ses murs qui supportent une voûte en arc de cloître (planche III).

 

(45) Victor ALLEGRE, Les richesses médièvales du Tarn, T. I., Toulouse, 1957, p. 36-41. Voir aussi le Congrès Archéologie de France consacré à l'Albigeois (1982), Paris, 1985, et notamment J.L. BIGET, Collégiale Saint Salvi d’ Albi, p. 160 et 162, et G. AHLSELL de Toulza, La cathédrale Saint-Alain (le Lavaur, p. 337-338. Le chevet-clocher de Saint-Martin de Soréze présente par ailleurs un certain nombre de caractères propres à la région et notamment au Castrais et au Vaurais (chevet polygonal, forme du clocher, bandeaux sculptés semblables notamment à ceux des églises de Sémalens, Viviers-les-Montagnes, Dourgne, les Escoussens... ).

 

Pl. IV: Dessin et profils des piles et des ogives

 

 

L'appareil est homogène, comporte peu de mortier, offrant l'aspect d'une construction en pierres sèches.

Quelques rares remplois de pierres calcaires romanes se remarquent dans le parement intérieur du mur Est qui est percé d'une étroite baie, la seule qui éclaire cette pièce.

 

 La destination de cette salle n'est pas connue ; à peu près invisible de l'extérieur de même que l'escalier qui lui donne accès, elle a pu servir de lieu sûr pour la conservation d'archives et d'objets précieux (46).

 

Le niveau que l'on peut considérer comme la hauteur primitive des contreforts (47) conviendrait à peu près pour contre buter la voûte de cette salle et raidir l'ensemble d'une construction déjà assez élevée.

 

 Cependant, la forte saillie de ces contreforts s'explique moins bien.

 

 

 

 

 Elle pourrait indiquer l'intention, d'emblée, de surélever encore l'édifice. Mais compte tenu de la reprise déjà signalée à ce stade de la construction, on peut aussi tenir le raisonnement inverse, à savoir que l'on a décidé, après coup, un surhaussement de l'ensemble dans les dispositions actuelles.

 

 

 (46) Nous savons que les consuls avaient apporté à l'église des titres concernant les marchés et les foires de Soréze et que ces documents furent détruits par les protestants en 1573 (copie d'archives municipales par F. SOULEIL, secrétaire de mairie vers 1903-1906, dactylographiée par le R.P. de Metz, archiviste de l'Ecole jusqu'en 1982, Archives de l'Ecole, supplément p. 1).

(47) Au 3e larmier.(48) L'absence de contreforts sur cette face, puisqu'elle surplombe la nef, a été palliée par l'établissement de ces consoles.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Planche III : Plans, coupes et élévations par P. Boeswilwald, mars 1882, Archives des Monuments Historiques, n° 8773.

 

 

 

 

 

 

 

 

On se serait appuyé sur les contreforts surhaussés et peut-être épaissis à cet effet, reliés entre eux par des voûtains, ainsi que sur les consoles à la face occidentale (48) pour établir une coursière en encorbellement (fig. 13 à 15).

L'intérêt de cet ouvrage était probablement de disposer d'une plateforme plus vaste pour édifier une tour clocher en se réservant une circulation tout autour.

 P. Bocswilwald indique d'ailleurs que la base de cette tour « est assise inégalement sur la voûte de la salle carrée dont une des faces est déformée par le poids de la charge » (49).

 Cette tour octogonale comporte deux niveaux desservis par un petit escalier à vis logé dans une tourelle construite à l'angle Nord-Ouest (50) : une première salle qui devait être couverte d'une voûte, effondrée ou laissée inachevée mais dont les départs existent et la chambre des cloches, percée d'une baie par face (sauf celle du Nord-Ouest correspondant à la tourelle d'accès).

 Les remplages sont flamboyants et renaissants (51).

 

 

(49) Preuve supplémentaire d'une reprise à ce niveau. Rapport du 3 mars 1882, Archives des Monuments Historiques, Tarn-Sorézen° 1479, 1 er dossier.

(50) Au-dessus du massif Nord qui contient le premier escalier. La présence de cette tourelle sur la plateforme a nécessité son élargissement à cet endroit pour laisser l'espace de la coursière et donc l'établissement de consoles pour faire un encorbellement.

(51) Les baies ont été restaurées à deux reprises : en 1887 (« consolidation des fenestrages et des colonnes » pour 8.475 F et en 1937 (reconstitution des meneaux, consolidation des réseaux, encadrements et glacis, devis de 1933 pour 12.437 F, Archives des Monuments Historiques, Tarn-Soréze n° 1479, 1 er et 2e dossiers.

 

 

La fonte de la cloche de 1515 pourrait donc convenir comme jalon dans l'achèvement des travaux.

Le faux mâchicoulis sur arcs qui, porté par les consoles à l'Ouest, prend des allures de fausse bretèche (fig. 13), apparaît donc le fruit d'une reprise.

 En l'absence d'ouvertures pour le tir fichant (52) son caractère défensif ne peut guère être retenu qu'au sens le plus strict où cette position de hauteur, relativement dégagée pouvait permettre une surveillance tous azimuts des alentours, à la grande rigueur servir de refuge à une poignée d'hommes qui disposaient là d'une position de hauteur et d'une relative liberté de mouvement (53).

 Encore faudrait-il connaître le contexte défensif contemporain de la ville et savoir si l'église y était intégrée.

Sans parler de clocher fortifié (54) et en s'en tenant strictement à un usage de surveillance, ce dispositif ne paraît pas anachronique au XVIe siècle, où l'on compte d'autres exemples de ce type.

 

 

 (52) L'examen des voûtains qui relient les contreforts ou les consoles ne révèle aucune trace d'ouverture bouchée. Les consoles ne paraissent pas ancrées a posteriori mais forment avec le parement une construction homogène.

Lors des premières restaurations du XIXe siècle, P. Boeswilwald indiquait :

« toute la partie inférieure de ce clocher prend par ses formes l'aspect d'une construction militaire sans en avoir à proprement parler la destination : les encorbellements de la façade ouest (côté de la nef) pas plus que les arcs du chevet ne forment mâchicoulis de sorte que la défense n'était que représentée par le crénelage servant de parapet au chemin de ronde et dont il ne reste plus aucune trace » (il projetait de le « rétablir », ce qui sera fait vers 1941), Archives des Monuments Historiques, Tarn-Soréze n° 1479, 1 er dossier, lettre du 3 mars 1882.

 (53) Puisqu'ils pouvaient circuler soit autour et même éventuellement battre les flancs de la nef grâce à l'encorbellement occidental dont la présence pourrait paraître absurde au-dessus d'une toiture si on lui assignait une fonction de tir fichant.

 (54) Finalement seul le crénelage pourrait justifier ce qualificatif, or, rien ne prouve son existence à l'origine.

 

La nécessité de dissocier la construction du chœur de celle du faux-mâchicoulis et du clocher, lesquels ont été fortement restaurés, au XVIIIe mais surtout XIXe siècle, ne facilite pas la datation des contreforts (autour desquels tournent finalement toutes les interrogations (55), que l'on hésite à rattacher à l'une ou l'autre campagne de construction (chevet ou clocher).

On se trouve donc confronté à l'alternative suivante :- ou bien les contreforts et leurs remplois d'éléments romans sont contemporains de l'édification de l'abside ; ou bien ils ont été épaissis et ces remplois sont le fruit de remaniements ; dans ce cas il a fallu qu'on reprenne entièrement les parements car les pierres calcaires qui sont principalement réutilisées en chaîne d'angle sont parfaitement intégrées aux assises de moellons, sans décrochement, formant un appareil homogène (fig. 16).

 En revanche les assises des contreforts ne correspondent pas tout à fait à celles des parois de l'abside contre lesquelles ils donnent quelquefois l'impression d'être plaqués ; de plus, ils empiètent sur les encadrements de fenêtres qu'ils masquent en partie, même si le raccord entre le premier larmier de ces contreforts et le talus des fenêtres peut sembler satisfaisant (fig. 14 et 15) et si quelques rares éléments d'encadrement de fenêtres s'intègrent assez bien au parement des contreforts (56).

Enfin, même si l'on pouvait conclure à l'épaississement des contreforts a posteriori et donc au remploi massif de matériaux romans lors d'une deuxième campagne de construction, on ne pourrait négliger l'existence de quelques uns de ces matériaux- extrêmement rares il est vrai  dans les murs mêmes de l'abside (57).

 

     dessin de J.A. Clos

(55) Puisque les remplois d'éléments romans se rencontrent essentiellement dans ces contreforts.

(56) Ils pourraient ne dater que des restaurations de 1937 (consolidation des encadrements, glacis...)
      (57) Notamment dans un mur sous appui de fenêtre et à l'intérieur au-dessus de la porte de l'escalier du clocher.

                                                                                                                    

 

Fig. 17 et 18 : Remplois d'éléments de frises dans les parements des contreforts de l'abside, au-dessous du 4e larmier.

Fig. 16: Remplois de pierres taillées et sculptées, notamment en chaîne d’angle, dans un contrefort.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Fig. 14 : Raccord entre les assises d'un contrefort et celles du mur de l'abside.

 

 

Fig. 15 : Fenêtre du chœur : l'encadrement de la fenêtre est en partie masqué par les contreforts qui semblent épaissis.

 

Il reste que la quasi-totalité de ces pierres calcaires taillées, voire sculptées, ont été réutilisées dans les contreforts, au-dessous du quatrième larmier et principalement en chaîne d'angle (fig. 16, 17, 18).

Quoi qu'il en soit, pour que ces pierres romanes, dont certaines sculptées - éléments de frise, modillons -, aient pu être réutilisées, il fallait qu'elles soient disponibles, c'est-à-dire que l'édifice (ou les édifices) dont elles provenaient fût en ruine ou en cours de démolition.

 Si ces éléments ont servi à l'édification du chevet au XVe siècle, il paraît plus probable qu'ils soient issus de l'église paroissiale romane que l'on avait décidé de reconstruire.

Il est en effet fréquent de remployer sur place les matériaux de l'édifice précédent, autant par respect que par souci d'économie.

Dans ce cas se pose la question de l'appartenance des autres pierres romanes dispersées dans Soréze et les environs.

 Certes, elles ont pu se trouver de nouveau libérées par la destruction du reste de l'église par les protestants. Mais une cent-cinquantaine d'éléments sculptés peuvent-ils provenir d'un seul édifice, qui plus est paroissial, alors qu'à côté, existait une abbaye florissante à l'époque romane ?

 En supposant que ces pièces aient pu appartenir à l'abbatiale romane, comment expliquer qu'elles aient été réemployées dans une autre construction ?

 Il fallait que l'église abbatiale soit ou bien détruite et le monastère abandonné pour que la paroisse puisse ainsi en distraire les matériaux, ou bien qu'elle soit en chantier et que les moines aient toléré ou accepté ce transfert.

 

 

 

 

 

En dehors de la guerre de Cent Ans dont on ignore les effets sur l'abbatiale (58), on ne peut qu'évoquer les travaux du tout début du XVIe siècle, entamés en 1508 et interrompus en 1509 (59) pour ne reprendre qu'en 1514.

Dans ce laps de temps, l'abbatiale est restée en chantier, mais les travaux, arrêtés par la mort de l'abbé Florent Galaud et les querelles à propos de sa succession, devaient être à peine ébauchés.

 

 (58) Que le monastère fût rançonné ne prouve pas qu'il fût détruit ; qu'il n'ait pas été entretenu par suite de la diminution de la communauté et des revenus et du relâchement dans l'observance de la règle (les moines vivant épars dans la ville) ne signifie pas qu'il ait été totalement abandonné.

(59) Mais, après un an seulement de travaux, l'abbatiale pouvait certainement accueillir encore les moines ; le tailleur de pierre n'eut le temps, semble-t-il, que de préparer les matériaux (Archives Notariales de Soréze, registre Raynaudi, 1513, fol. LXXVI à LXXVIII).

 

CONCLUSION

 

 

L'analyse du chevet de l'église Saint-Martin ne nous permet donc pas de résoudre de façon satisfaisante la question de la provenance des pierres romanes qui y sont remployées ni de celles dispersées aux alentours.

 Le doute reste donc la seule position raisonnable pour l'instant.

 Du moins pensons nous avoir contribué à une meilleure connaissance de ce monument, notamment en différenciant deux étapes de construction : l'une correspond à l'abside proprement dite, témoignant d'un certain nombre d'archaïsmes où est remployé l'essentiel des pierres sculptées romanes ; l'autre est l'édification de la tour-clocher qui la surmonte et dont l'aspect fortifié est strictement défensif et plus probablement destiné à faire illusion.

La construction de ce clocher a dû entraîner un remaniement de l'abside comme l'épaississement de ses contreforts.

 Ces deux campagnes d'édification du chevet se situeraient donc dans le dernier tiers du XVe siècle et au début du XVIe siècle, dans une période de reconstruction intense en Albigeois sous l'impulsion de deux grands évêques d'Albi et de Lavaur.

 

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