Société d’ Histoire de Revel Saint-Ferréol                                        LES CAHIERS DE L’ HISTOIRE N°18 page 130

 

 

 

HISTOIRE DE BLAN jusqu'à la Révolution

par Michel et Luc Vialelle (1)

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BLAN A L'EPOQUE ANTIQUE

 

Une découverte récente d'un passé très ancien

 

On a cru pendant longtemps que les premiers témoignages d'une présence humaine à Blan remontaient à l'époque romaine. Or, en 1970, nous découvrîmes un silex taillé sur une parcelle cadastrale dénommée : les Rieux. Cet objet lithique nous permet de remonter beaucoup plus haut dans les temps dits « préhistoriques ». Cet outil date du Paléolithique moyen (60 - 30 000 avant notre ère) et peut être plus précisément rattaché à l'industrie du type « Moustérien »   à tradition « Acheuléenne ». On peut prendre comme référence le gisement moustérien de Gibraltar, daté de 45 000 ans avant notre ère. Cette datation et cette classification nous ont été amicalement confirmées par le Délégué pour le Tarn des circonscriptions historiques et préhistoriques de Midi Pyrénées, ainsi que par les spécialistes de la Préhistoire Régionale. Reste un problème essentiel à résoudre : cet outil très patiné a-t-il été apporté de l'extérieur (par l'action de l'homme ou des eaux du Sor) ou correspond-il à un gisement local ? Il faut reconnaître que la plupart des habitants de cette époque utilisent des grottes ou des surplombs rocheux ; beaucoup plus rares sont ceux de plein air, sur les terrasses fluviales.

L'homme de Néanderthal aurait pu subsister dans notre localité car y étaient réunies deux conditions essentielles à sa survie : il aurait pu utiliser l'eau du Sor et ses ramifications et s'adonner à la chasse dans les étendues boisées des revers des côtes de Blan à Montgey.

Les documents du Moyen Age témoignent de l'importance de cette forêt primitive et, les quelques lambeaux qui subsistent, n'en sont qu'un pâle et lointain reflet.
Mais seules de nouvelles découvertes archéologiques nous permettront de trouver une réponse à cette question comme elles ont permis de souligner l'importance de l'impact de la civilisation gallo-romaine à Blan.

 

De Blannus à Blan

 

L'influence de cette dernière a marqué et continuera de marquer notre commune de façon indélébile car le nom du lieu de « Blan » provient d'une formation gallo-romaine.
Au Moyen Age, Blan apparaît sous la forme « Blanno » par exemple dans des écrits de 1384, dans une enquête sur le Diocèse de Lavaur, et l'évolution phonétique nous permet de remonter sans difficulté au nom de personne « Blannus » qui est en fait un surnom

 

 

romain.
Blannus aurait évolué en Blanni au cas génitif, c'est à dire en sous-entendu : la ferme de Blannus, ou Blanno, à sens locatif : chez Blannus.

D'une façon générale, c'est le nom du propriétaire qui servait à désigner le domaine gallo-romain pour le cadastre antique. Cet anthroponyme a été utilisé dès le Haut Moyen Age pour désigner l'ensemble de la paroisse, puis sous l'Ancien Régime,  le consulat et enfin, depuis la Révolution, la commune.

Les découvertes archéologiques anciennes et récentes confirment de façon éclatante la base latine du toponyme de Blan. Nous voulons essentiellement parler de la villa gallo-romaine de Blan.

 

Mr. Viguier, maire de Blan, découvre une villa

 

Dans quelles circonstances a été découverte cette villa ? Vers le milieu du XIXème siècle, Mr Jean Antoine Viguier du Plô, maire de Blan de 1852 à 1870, fit l'acquisition d'un terrain à peu près inculte au Plô. Dès le moment où l'on essaya de le mettre en culture, la terre rejeta des quantités de briques, des vases et objets divers. Alerté par ses ouvriers, Mr J.A. Viguier fit part de ces découvertes aux plus grands savants tarnais de l'époque : Mr Alfred Caraven-Cachin (1839/1903) de Castres, dont l'éclectisme n'avait d'égal que son érudition. Celui-ci se rendit au Plô et y décela l'existence d'une villa gallo-romaine. Il la signala à diverses personnalités dans des rapports datés de 1845 et 1846 puis de 1865 et 1866 ; par la suite, il y fera allusion dans de nombreux opuscules.             
La présence d'esprit du propriétaire jointe à l'érudition de ce savant, allait sauver de l'oubli les témoignages matériels du peuplement et de la civilisation gallo-romaine à Blan à travers cette villa.

Essayons de préciser ces découvertes malgré le caractère quelque peu fragmentaire de notre documentation surtout en ce qui concerne la localisation. D'après celle-ci, c'est Mr Viguier lui-même qui dirigea ces fouilles.

 

Un important domaine

 

Les « inventeurs » ont été frappés par l'importance des substructions mises à jour. Dès 1846, ce n'est pas moins de vingt tombereaux de tuiles qui ont été enlevés de ce terrain par les fermiers pour pouvoir le mettre en culture.
A tel point que l'auteur cité plus haut n'hésite pas à voir dans cet établissement une « lateraria » c'est à dire une briqueterie. Emporté par l'ampleur de ces découvertes, il n'hésite pas à comparer ce centre artisanal à celui de Montans près de Gaillac : « Officina » c'est à dire centre de fabrication de céramique.

Blan aurait été ainsi tourné vers une production assez grossière de tuiles et briques et un marché spatialement limité ; tandis que Montans aurait produit une céramique de luxe pour un marché dépassant .

 

largement les limites de la Gaule. S'il est vrai que les fouilles menées à Montans continuent de souligner l'importance de ce centre, par contre, vouloir faire de l'établissement de Blan « un des centres les plus manufacturiers de l'Aquitaine, sous César-Auguste » me paraît erroné, dût notre chauvinisme local en souffrir !

L'explication de l'importance du volume des briques décelée dans cette zone doit être trouvée dans l'étendue de l'établissement et d'autre part dans la manière dont ont été réalisées les fouilles. Nous devons en effet ne jamais perdre de vue que les véritables villas gallo-romaines couvrent parfois plusieurs hectares ; par ailleurs, les ouvriers sont descendus à plusieurs mètres du sol et ont donc enlevé les substructions des murs.

 

Ainsi, les tombereaux ont emporté, on ne sait exactement où, pêle-mêle, briques de mur, de fondations et de la toiture. Notre source souligne surtout la présence de ces dernières appelées suivant le cas « tegulae » (téoulae : briques à rebord) caractéristiques de l'époque gallo-romaine, et « imbrices » : briques demi-cylindriques qui servaient à empêcher l'eau de pénétrer dans les interstices laissés par les briques à rebord accolées les unes aux autres. On ne peut toutefois exclure à priori qu'il y ait pu exister dans cette importante exploitation un four de briquetier pour le domaine lui-même. La plupart des villas avaient en effet toute une série d'activités artisanales nécessaires à la bonne marche de l'exploitation qui allaient prendre de plus en plus d'importance à mesure que l'économie tendait à devenir fermée à cause des difficultés économiques et militaires qui finalement causeront la ruine de cette villa, comme celle de beaucoup d'autres.

Notons que la présence du lieu-dit « La Tuilerie » n'implique pas nécessairement l'existence d'une briqueterie antique car l'expérience archéologique montre que les toponymes « la Tuile, les Téoulels, la Teuleutié, la Teularié » correspondent souvent à des sites gallo-romains mais non pas précisément à des fabriques de tuiles.
Il aurait été souhaitable que notre auteur, au lieu de s'enthousiasmer dans des hypothèses peu sérieuses, essaie de localiser un four éventuel et tout au moins dresse un relevé de cette villa.

 

EPOQUE ROMAINE
Vestiges gallo-romains

 

La carte d'occupation du sol à l'époque gallo-romaine se précise peu à peu, à mesure que les labours en font remonter au jour des témoignages matériels. Les terres fertiles de la vallée du Sor ont particulièrement attiré nos ancêtres. Ainsi en témoignent les nombreux vestiges que nous avons pu observer à proximité du moulin de Lamothe à l'automne 1972 : moellons, briques à rebord caractéristique, fragments de panse d'amphore, débris de céramique romaine vernie à pâte rouge et de céramique grise commune indigène, autant de signes d'un habitat gallo-romain, certainement un centre d'exploitation.

 

 

Moulin de Lamothe - Blan

              
Le peuplement gallo-romain était-il seulement localisé dans la vallée du Sor ? En fait, des stations gallo-romaines devaient également exister au nord du village de Blan. A la fin du XIXème Mr Pradel découvrit « trois monnaies  à « Pinel » très certainement En Pinel. La première remonte à l'époque républicaine puisque frappée à l'effigie de César, tandis que les deux autres (Auguste et Antonin) sont contemporaines de la grande activité de la villa du Plô, découverte au XIXème chez Mr Viguier (1811/1870), maire de Blan et fils du juge de paix, Jean-Baptiste Viguier, avocat au Parlement.

 

La fin d'une grande époque

 

Aucun témoignage ne dépasse le IVème siècle. Les invasions barbares qui ont concerné notre région à cette époque et les luttes qui allaient en découler entre Francs et Wisigoths, puis entre princes francs sur cette zone frontière à l'ouest de l'Agout (futur diocèse de Lavaur) allaient amener la destruction de la villa de Blan comme celle de Palleville ; une grande partie de ce domaine allait retourner à la friche pour plus de quatorze siècles.
Peut-être que  cette villa a servi de cimetière, suivant une coutume assez fréquente à l'époque des invasions. Les fouilleurs du XIXème devaient en effet découvrir une vingtaine de tombes. Les voies qui l’avaient si bien desservi  se retournaient contre Blan. Voies d'échanges, elles étaient devenues voies d'invasion. La plaine de Blan dut souffrir surtout des luttes entre Francs et Wisigoths qui s'affrontaient à partir de deux lignes de lieux fortifiés, à savoir, d'un côté Puylaurens/ Montgey /Saint-Julia et  Montégut et d'un autre côté : Revel / Vaudreuille/ La Pomarède/ et Tréville.

 

Cependant, à travers ces premières affres, déjà se dessinait la civilisation du Moyen Age avec le Christianisme comme élément moteur. La christianisation s'est effectuée dans notre région à partir du Toulousain et du Languedoc par les voies signalées plus haut.
Pour la précision, il faut sonder la titulature paroissiale : le vocable paléo-chrétien St Martin à Palleville joint à la formation de type wisigothique du toponyme Palleville et la découverte de vestiges du IVème siècle à la Landelle (sépulture et éperon de cheval) prônent en faveur d'une christianisation précoce de notre région.

 

A L'OREE D'UNE NOUVELLE CIVILISATION :
UN SOMBRE MOYEN AGE

 

La période du Moyen Age apparaît sombre à double titre, d'abord par la rareté des documents sur Blan et ensuite par le caractère tragique des événements qu'ils nous révèlent : du drame cathare aux troubles du XVème siècle.

 

Le drame cathare dans la région de Blan

 

Un des épisodes essentiels de l'épopée cathare s'est déroulé à proximité du territoire de Blan : la bataille de Montgey (printemps 1211).   Alors que Simon de Montfort, à la tête des Croisés, assiégeait Lavaur, le comte de Foix, appuyé par les seigneurs locaux et par des paysans, taille en pièces une colonne de Croisés allemands qui allaient prêter main forte aux assiégeants de Lavaur.

 

 

Bataille de Montgey.

 

Si le guet-apens a pu être mis en place et s'il a tourné en faveur du côté occitan, c'est parce que le catharisme était solidement implanté dans notre région : la Montagne Noire servant de refuge. Les principaux bastions cathares régionaux avaient pour nom : Puylaurens, Saint Paul qui possédaient l'un et l'autre un cimetière cathare et, en arrière, Durfort et Roquefort. De nombreux liens unissaient ces différentes places. Ainsi, Jourdain, très lié aux « Parfaits » (ministres de la secte cathare) était à la fois co-seigneur de Montgey, Roquefort et Durfort. Ces deux dernières résidences étaient utilisées comme cachettes par les Cathares en période difficile. La place forte de Roquefort (dont il ne reste qu'une tour de guet au bord du gouffre du Malamort : la tour de Malamort ou Malemort) jouait un rôle important dans ce complexe. Les textes nous apprennent par exemple qu'en 1209, un chevalier de Montgey : Pierre de Corneille, participait à la mise en défense du château de Roquefort qui servit lors de l'invasion des Croisés, la même année, de refuge à trois cents Cathares.

Après le rappel de ce contexte historique, voyons quelles sont les grandes lignes du déroulement de cette bataille. Venant de Carcassonne, des Croisés allemands, au nombre de cinq mille ou de quinze cents (suivant d'autres
narrateurs) ayant traversé la plaine du Sor, commençaient à gravir le coteau de Montgey pour se rendre ensuite vers Aguts et Cuq-Toulza, lorsqu'ils furent attaqués. C'est vraisemblablement dans les bois qui couvraient le versant de ce coteau que l'embuscade fut tendue par le Comte de Foix. L'armée du Comte Raymond Roger de Foix massacra, avec l'aide des paysans, la totalité des Croisés allemands et leurs biens furent partagés. A  Auvezines, une inscription moderne rappelle le massacre de « 6000 Croisés », ce chiffre étant exagéré.

Une fois la place de Lavaur enlevée, Simon de Montfort revint vers Montgey. D'après le témoignage de Pierre de Cernay, les Croisés aperçurent une colonne de feu sur le champ de bataille avant de découvrir tous les cadavres, les bras en croix. Les habitants avaient abandonné Montgey qui fut détruit. Simon de Montfort s'empara ensuite de Puylaurens puis dut traverser notre région pour rejoindre Les Casses où furent brûlés quelque 60 hérétiques (Juin 1211).

 

L'étude des registres de l'Inquisition nous permet d'affirmer que le catharisme a eu à Blan même des adeptes ou tout au moins des sympathisants. On apprend ainsi que la « Parfaite » Rixende Baussande dut quitter vers 1220 sa maison de Sorèze pour échapper aux recherches de l'Inquisition, qu'elle mena une vie errante et qu'en particulier elle se retira à Blan pendant plusieurs années près d'un boqueteau qu'un de ses amis, le cathare Guillaume Espinhol de Sorèze possédait « près de son mas de Burgalème ». Il est malaisé de préciser l'endroit où se cachait cette Cathare, Rixende Baussane, à Blan car il faudrait trouver à quel lieu-dit actuel correspond le terme « Burgalème ». A cet égard, on ne peut émettre que des hypothèses : Burlats, qui en tenant compte des transformations phonétiques se rapproche le plus de Burgalène ? Toujours est-il que les Cathares avaient des appuis à Blan. Malgré ces cachettes, cette cathare ne put échapper à l'Inquisition qui l'envoya au bûcher.
Pour approvisionner ces hérétiques cathares qui étaient obligés de se cacher, surtout après le Concile de Toulouse qui avait décidé des mesures répressives (1229), certains de leurs compagnons organisaient de véritables tournées dans les campagnes pour collecter de la nourriture. Le fait que certains habitants de Blan n'aient pas hésité à donner divers aliments, malgré le danger que comportait leur geste, souligne la sympathie dont jouissait le Catharisme chez nos ancêtres. Nous savons même qu'à une Cathare qui faisait une tournée, « une femme de Blan nommée Sardane  remit du pain, des légumes, des fruits et des poissons préparés » (panem, legumine, fructus et pisces salsos).
 

 

 

Parfait Cathare.

 

Rappelons que «Parfaits » (ministres cathares) et « Croyants » (fidèles cathares) ne mangeaient généralement pas de viande ; ils respectaient la vie des animaux, car, d'après eux, le corps des animaux pouvait servir d'habitation à des âmes qui se seraient réincarnées. Dans notre région circulait également le Parfait Jean de Terrena dit Jean d'En Huc. On le voyait souvent autour du monastère de la Rode (Lempaut) près duquel il essayait de se cacher.

On voit donc que Blan a participé à ce grand drame de l'Occitanie en défendant le Catharisme, des chevaliers nobles aux humbles laboureurs.

Le seul témoignage archéologique du XIIIème siècle n'est-il pas une inhumation, comme si, en manière de symbole, elle voulait nous rappeler que le XIIIème siècle marque le « décès » de la cause cathare, écrasée par l'Inquisition et la Croisade des barons du nord de la France.

En 1872, fut en effet découverte tout près du village de Blan une sépulture ; le corps étant simplement inhumé dans une bière de bois et accompagné d'un vase. La présence du vase mérite explication.
Jusqu'au VIIIème siècle environ, on découvre fréquemment des vases parmi le mobilier qui accompagne le défunt. Cela correspond à la notion païenne suivant laquelle le mort doit emporter dans sa tombe tout ce dont il se servait dans cette vie et qui lui sera également nécessaire dans l'autre vie.
Du VIIIème au XIIIème siècle, le défunt est la plupart du temps, dans notre région, inhumé sans vase. Au XIIIème siècle celui-ci réapparait comme une civilisation chrétienne : il s'agit généralement d'un vase d'eau bénite. L'Eglise a dû canaliser, dans une optique chrétienne, de nombreuses pratiques païennes et croyances remontant souvent à la Préhistoire.

 

L'EPOQUE DE LA GUERRE DE CENT ANS : UN CORTEGE DE FLEAUX

 

La disette

En janvier 1374, parlant de la moisson de 1373, le duc d'Anjou consigne dans une lettre « la grave pénurie des biens de la terre qui a sévi cette année, fait qu'ils n'ont pu récolter le blé ». En effet, du Carême à la St Jean, pluies et tempêtes gâtent les blés, les vignes et les fruits. Le passage de nombreux hommes d'arme, en juin, aggrave encore la situation dans notre région et même dans tout le Languedoc, car, à cette époque, les soldats vivaient sur le pays.

 

Les récoltes suivantes ne sont guère meilleures et notre région exportatrice de blé au début du XIVème siècle se trouve elle aussi particulièrement affectée.
Nous en voulons pour preuve le prix du blé à Castres, qui se vendait normalement 3 Francs le carton et qui est taxé le 10 janvier à 8 Francs mais il se vend 20 francs en février et 32 Francs le carton en mars et avril. Avec des pointes tragiques, ce souci du pain quotidien devait rester lancinant pendant plus d'un siècle. La terrible famine de 1480-1482 vint rappeler à nos ancêtres que manger restait un privilège fragile et toujours révocable.


La peste

 

Apportée de Crimée en Italie par des marchands en 1347, la peste se répand dès 1348 dans notre région, en faisant de terribles ravages. La mortalité fut telle que lorsqu'elle perdit de sa vigueur, Guillaume de Nangis put dire : 
« L'épidémie, pestilence et mortalité prenant fin, les hommes et les femmes qui restaient se marièrent à l'envi ».

 

Peste (1348).

 

En 1361, ce fut « la peste des enfants » qui s'acharna sur les générations nées depuis « la grande mortalité ». Puis le mal se fit endémique, il apparaissait puis s'apaisait ici et là. Nous ne disposons pas de statistiques sur la mortalité dans notre commune, mais nous pouvons nous en faire une idée en feuilletant les registres des impôts de Castres où le nombre des chefs de famille est passé de 2339 avant la peste à 1006 en 1373 et à Albi où de 2669 en 1343, il tombe à 1200 en 1357.

 

La guerre de Cent Ans

 

Nous pouvons nous demander quelle était la physionomie de notre région et de notre commune au début du XIVème siècle.
Les surfaces cultivées étaient assez réduites et de grandes forêts couvraient notre sol. Les chemins étaient peu sûrs, les forêts servant de repaire à des brigands. Pour diminuer l'insécurité dans les zones forestières, le pouvoir royal favorise la création de bastides. Dans notre région, nous avons l'exemple de la fondation de Revel en 1341, par Philippe de Valois, au sein d'une grande, haute et large forêt appelée de Vauré. Ce n'était auparavant qu'un lieu désert, environné de bois et de broussailles, qui servait de retraite aux voleurs et aux malfaiteurs, nous dit Dom Vaissette, l'auteur de l'Histoire générale du Languedoc (1733). Le peu de sécurité de la région nous le trouvons également dans la charte attachée à la création de cette ville. Les habitants avaient le droit de garder leur ville en armes et la permission leur avait été donnée de créer un corps de garde qui aurait pour but de protéger la tranquillité publique, de poursuivre et de disperser les brigands dans toute la contrée. Parmi les privilèges que nous trouvons dans cette charte, nous en trouvons un qui peut paraître singulier aujourd'hui : «Chaque chef de famille pouvait battre à volonté sa femme et ses enfants pourvu qu'il ne les tuât pas ».

 

La région de Revel souffrit, elle aussi, de la peste comme en atteste une requête présentée par ses survivants en 1358 qui demandait l'autorisation de chasser les loups et les sangliers qui foisonnent : « la mortalité générale de peste a exercé ses ravages et ce lieu, son territoire et ses dépendances sont devenus herms, gâtés et stériles ». Cette multiplication des loups et autres bêtes était liée à la dépopulation et au retour de nombreuses terres en friche, consécutifs à la peste noire de 1348.

C'est donc dans ce contexte déjà sombre que va venir s'ajouter une autre calamité : la Guerre de Cent Ans, avec les ravages causés par les Routiers. En fait, c'est à partir de 1337 que la France toute entière est engagée dans ce conflit, né d'ailleurs dès les dernières années du XIIIème siècle, mais entrecoupé de périodes de trêves et même de paix. On rappellera qu'à l'ouest de notre région, on trouvait la Gascogne alors anglaise. Les armées permanentes n'existaient pas, les rois faisaient appel au « service féodal » de leurs vassaux. Mais ce service féodal ne donnant que de faibles effectifs et, en général, pour une durée de 40 jours, les souverains ont accepté les services d' « entrepreneurs militaires » qui se donnaient le titre de Capitaine et qui leur amenaient des bandes dans lesquelles l'appât de la vie aventureuse et du butin faisaient engager petits nobles besogneux et paysans déracinés. Ces « Grandes Compagnies », comme on les appela, ne groupaient jamais que quelques dizaines ou quelques centaines de gaillards audacieux tenus par une forte discipline et qui vivaient sur le pays terrorisé par leurs brigandages. Les Bretons ou Castillans du camp français n'apparaissaient pas moins redoutables que les Gascons du camp anglais. Et, la paix revenue, ces hommes n'éprouvaient aucune envie de retourner chez eux et continuaient de vivre sur le pays en multipliant leurs brigandages.

 

Les compagnies qui s'établirent dans notre région devaient certainement tenir le parti des Anglais car nos anciens connaissent bon nombre de lieux qui s'appellent : Pont des Anglais, Chemin des Anglais, Cimetière des Anglais...

 

Ces compagnies se rendirent maîtresses de Sayssac, Dourgne, Massaguel, St Chamaux et en 1377 de Sorèze qu'elles saccagèrent. Mais la vallée de Durfort fut leur retraite la plus assurée et où elles se maintinrent le plus longtemps. Le poste principal étant le château de Roquefort, tout près du gouffre de Malamort. C'est de cette retraite que les Compagnies sortaient pour faire leurs incursions dans la plaine où elles saccageaient villes et hameaux qu'elles pillaient et rançonnaient.

 

 

 

Restes du donjon du château de Roquefort détruit en 1417  par les Compagnies anglaises
Photo : JCP

C'est dans cette période trouble où personne ne savait exactement quelles compagnies étaient du côté français, ou du côté anglais, ou bien guerroyaient pour leur propre compte que les archives font mention de Blan.
En 1426, André de Ribes, tenant le parti des Anglais, s'empara de plusieurs places fortes dont celle de Lautrec. Appelé au secours, le Comte de Foix lui opposa la « Société » de Bernard de Coarraze ; cependant, confondant toutes les Compagnies de Routiers dans la même réprobation, la ville de Blan fit preuve de fermeté en refusant d'accepter Coarraze et ses soudards. « Noluerunt sibi aperire fortilicium » (ils ne voulurent leur ouvrir leurs portes). Devant ce refus unanime, des mesures de  représailles furent demandées au Parlement de Toulouse : « Louis de Goyrans propose qu'on fasse la guerre à ce lieu » (Archives de Toulouse).

C'est à une véritable terreur que sont soumis les habitants des villes et des campagnes comme le raconte dans son registre, le prieur du Collège du Périgord qui, le 16 janvier 1443, se fait conduire de Toulouse à Puylaurens : «  La nuit est obscure, le froid mortel, et, lorsque j'arrive à Puylaurens, on y sonne le tocsin ».

C'est de cette époque que vient l'appellation de Montgey : « Montgey- male mouche ». De nos jours certains anciens de Montgey se plaisent à raconter cette histoire : pendant la Guerre de Cent Ans, la Dame de Montgey se trouvait seule au château en l'absence de son mari et de ses gens. Survint alors une troupe ennemie décidée à enlever le château. Voyant qu'elle ne pouvait rien face à une telle troupe, la Dame de Montgey eut l'idée de précipiter ses ruches sur les pentes qui entourent le château. Les abeilles se jetèrent sur les assaillants qui n'eurent d'autre salut que dans la fuite. C'est de ce fait que vient à Montgey l'épithète de « male mouche » (entendre ici l'ancien sens du mot, c'est à dire mauvaise mouche).

Mais les abeilles de Montgey n'expulsèrent pas toutes les compagnies qui saignaient notre région. Il fallut attendre les années 1445, où, le pouvoir s'étant raffermi, les compagnies cessèrent leurs forfaits.

 

LES GUERRES DE RELIGION A BLAN ET DANS SES ENVIRONS

 

Nous devons attendre les Guerres de Religion pour trouver mention de Blan. C'est l'historien Jean Antoine Clos (début du XIXème ) qui dans sa « Notice historique sur Sorèze et ses environs » cite notre village. Castres, nous dit J-A.Clos, était la seule ville des environs qui comptât des Protestants, mais bientôt Lavaur, Puylaurens, Sorèze l'imitèrent.

 

Mais notre région resta tranquille tandis qu'une grande partie de la France était agitée. Le point de départ des Guerres de Religion eut lieu chez nous en 1561, lorsque les Protestants et les Catholiques se rendirent respectivement maîtres des villes où ils pouvaient dominer. A partir de ce moment, notre région n'allait pas échapper au fléau qui allait s'abattre sur la France pratiquement jusqu'en 1598, où Henri IV réussit à faire accepter aux uns et aux autres  « l'Edit de Nantes ». Ainsi, tour à tour, les villes et villages de notre région seront pris et repris avec à chaque fois destructions, incendies, assassinats.

 

Après quelques années de paix, les querelles religieuses se réveilleront en 1610, à la mort d'Henri IV. Mais elles n'éclatèrent dans notre région qu'après quelques années du règne de Louis XIII, lorsque celui-ci ordonna la restitution des biens ecclésiastiques usurpés durant les troubles dans le Béarn. Les Protestants levèrent des troupes  et se fortifièrent, soutenus par le Duc de Rohan, huguenot lui-même, et commandant de la Haute Guyenne et du Haut Languedoc. A son instigation, Castres, Revel, Sorèze, Cuq, Caraman, Saint Paul, Mazamet se révoltèrent. Cela attira l'armée royale qui assiégea et détruisit plusieurs villes en 1662 dans notre région.

 

Après le siège de Montpellier, le roi accorda la paix mais il exigea que les villes des Protestants autres que La Rochelle et Montauban fussent démantelées. Cette opération s'effectua à la fin de 1622 et au début de 1623.
A Sorèze, on ne conserva que les portes dites de Castres et de Revel et une partie des anciens remparts, tout le reste fut démantelé.
Cependant, les Protestants qui ne pouvaient accepter les terribles exemples qu'ils avaient sous les yeux s'agitèrent de nouveau, soit qu'ils fussent trop prompts à céder aux insinuations du Duc de Rohan, soit qu'ils eussent de réels sujets de mécontentement ou bien encore parce que la paix est un état de contrainte pour ceux qui ont longtemps vécu dans le trouble.

Les Etats de la Province étaient encore assemblés à Béziers, lorsqu'on s'aperçut que le Premier Consul de Puylaurens qui y assistait en sa qualité de député, s'était retiré sans congé. On apprit bientôt que cette ville s'était soulevée et que le Duc de Rohan maître de Castres dont il avait fait sa principale place d'armes, avait entraîné toutes les villes protestantes du Lauragais et leur avait fait jurer de rester unies.

Le Maréchal de Thémines, Commandant du Roi en Languedoc, porta son armée dans les environs de Puylaurens.

 

 

 

Portrait du Maréchal de Thémines (1553-1627).

 

 Le 23 juin 1625, il se présenta avec 3000 hommes et deux pièces de canon devant le château de Bonnac, situé à quelques distances de Cuq-Toulza alors en ruines : le seul bâtiment peut-être de cette malheureuse commune qui avait échappé à la destruction et où plusieurs Huguenots s'étaient retranchés. Dès que la brèche fut suffisante, on mit le feu au bâtiment. Ceux qui étaient dedans furent brûlés, égorgés ou pendus sur le lieu même. « Le fils pendit son père à un prunier » rapporte Guillaume de Marty qui avait servi dans l'armée royale et qui était natif de Montgey.

Le Maréchal se rendit ensuite à Castres, où la Duchesse de Rohan commandait en l'absence de son mari. Son armée ravagea les terres à une lieue autour de cette ville, coupa les blés, arracha les vignes et mit partout le feu. Le Duc n'était pas en état de tenir la campagne et de s'opposer à ces dévastations. Il avait fait insurger les villes de son parti alors qu'elles étaient presque entièrement démantelées. Il en rétablit à la hâte les fortifications et y employa non seulement les revenus de l'Etat mais encore les fonds que les Catholiques avaient levés pour entretenir les Compagnies. Il plaça ses troupes dans Revel et Sorèze pour les défendre en cas d'attaque.

Mais le Maréchal de Thémines se porta sur Saint-Paul Cap-de-Joux avec son armée et cinq pièces de canon. Cette ville fut prise d'assaut le 13 juillet 1625, après deux jours de siège. Tout ce que l'on put atteindre fut passé au fil de l'épée, hommes, femmes, enfants. Les murs furent rasés et la ville livrée aux flammes. Les habitants de Damiatte, située de l'autre côté de l'Agout, se rendirent au premier coup de canon, le 15 du même mois et sortirent avec un bâton blanc à la main. On les soumit à rançon. Ce bourg fut aussi rasé et brûlé.

Quelques habitants de Blan attirèrent sur leur village un pareil sort, par l'imprudence qu'ils eurent de tirer sur le Régiment de Normandie qui venait de Montgey et passait sans les molester. Quelques temps après, la Compagnie du Duc fut taillée en pièces auprès de Revel par le Marquis d'Ambres de Montpeyrat, son frère, qui était à la tête d'une Compagnie de Chevaux Légers, nous dit l'historien J.A. Clos.

Quelques troubles eurent encore lieu, mais, finalement, les Guerres de Religion prirent fin dans notre région au mois d'octobre 1627, lorsque toutes les villes prêtèrent serment de fidélité au Roi.

 

Donc, si nous croyons l'historien J.A. Clos, Blan fut rasé et brûlé, subissant le même sort que Saint Paul et Damiatte. L'historien ne citant pas les sources de son information et d'autre part aucun document, à notre connaissance, ne le mentionnant, nous ne pouvons dire les dégâts que subit Blan.

 

Toutefois, il n'est pas impossible que Blan fût sérieusement saccagé car pendant ces terribles années cela était chose courante. Nous en voulons pour preuve la destruction de Cuq-Toulza, rapportée par Guillaume Marty dans ses mémoires : « Un baron et certains gendarmes du roi sont allés saisir la dite ville, et après l'avoir pillée, le baron d'Ambres est venu avec certains gendarmes, soldats et travailleurs ramassés de 25 ou 30 consulats, pour mettre le feu et araser la dite ville, tant les murailles, fossés, balouarts que bastions et clocher. Tant ont fait qu'ont aplani la dite ville dans neufs jours de travail ; il y avait tous les jours plus de 200 gendarmes ou soldats et plus de 500 travailleurs. L'on fit brûler tous les châteaux, maisons et métairies et toutes sortes de bâtiments qui étaient dans le consulat de Cuq. J'ai vu faire tout ce dessus ».

Nous venons de voir que la destruction de Blan serait due à quelques-uns de ses habitants qui tirèrent sur le Régiment de Normandie. Nous pouvons nous demander quels mobiles avaient nos ancêtres pour accomplir cet acte. Tirant sur un régiment du Roi, donc catholique, nos ancêtres étaient certainement protestants. Il serait vraiment trop sommaire d'arrêter là l'analyse des motivations qui ont conduit à cette agression. Car, en effet, en dehors des questions d'ordre essentiellement  religieux, les Guerres de Religion présentent un côté de « révolution » ou tout au moins d'insubordination vis à vis du pouvoir de l'Eglise et de la monarchie. Le passage d'une ville dans le camp huguenot et donc la suppression de la hiérarchie catholique entraînait la fin du paiement de la dîme, impôt plutôt lourd à l'époque. De plus, les domaines et les biens de l'Eglise étaient souvent divisés et vendus. On comprend donc que des sentiments moins nobles que la Foi aient pu favoriser des sympathies envers les Protestants. A cela on doit ajouter que souvent les régiments envoyés par le Roi étaient des régiments venus des provinces du nord, donc à priori, mal vus de la population locale qui devait les considérer comme des étrangers. Car notre région a toujours manifesté un « patriotisme local », une sorte « d'union sacrée » face aux entreprises du nord même si nos ancêtres avaient des façons de penser différentes.

 

BLAN AVANT LA REVOLUTION

 

Sa situation géographique privilégiée lors de l'essor agricole et commercial de la fin du XVIIème et XVIIIème siècle  -  Le Canal royal des Deux Mers

 

Si dans les Archives nous ne trouvons trace de liens entre Blan et le Canal des Deux Mers, il n'en est pas moins vrai que par sa proximité, sa construction a fortement marqué la vie de nos ancêtres. Nous n'en voulons pour preuve que la facilité que nos cultivateurs avaient d'exporter leurs excédents de céréales, importants surtout depuis 1650 grâce à l'apport du maïs.

La nécessité du Canal des Deux Mers va nous apparaître lorsque nous apprendrons que Bordeaux qui manque de céréales préfère les faire venir par bateau des Charentes, de Bretagne et même de Dantzig ou de la lointaine Moscovie plutôt que de Toulouse, tellement la navigation sur la Garonne est hasardeuse et le prix du transport élevé. Les céréales se trouvent pourtant en abondance dans la région proche de Toulouse, comprise entre le Tarn et le Salat, la Garonne et la Montagne Noire.

 

On a donné de nombreuses explications sur la cause de la construction du Canal des Deux Mers par P.P. Riquet comte de Caraman (Béziers 1609/Toulouse 1680). Deux raisons sont essentielles : l'une est d'ordre économique, l'autre est d'ordre technique. Pierre-Paul Riquet a présenté pour la première fois un projet techniquement réalisable.

 

 

Portrait de Pierre Paul Riquet (1609-1680).
Photo : Jean François Benne

 

Les projets de canal entre la Garonne et la Méditerranée ne manquent pas. Les archives conservent un devis établi le 20 octobre 1539 par Nicolas Bachelier et Arnaud de Cazeneuve « maistres massons et nyvelleurs » et Jehan Bordet « maistre terralhon » à la demande des commissaires du roi.
A la fin du XVIème siècle, Pierre Reneau établit un nouveau projet.Henri IV, intéressé par ce projet, charge le Cardinal de Joyeuse, d'enquêter à ce sujet. Celui-ci rapporte au Roi l'accueil favorable fait par les populations à ce projet. Mais ce projet, comme les précédents, va échouer.
Les tentatives d'Henri IV et de Richelieu pour joindre la Garonne à la Méditerranée vont de pair avec la restauration des ports de la façade méditerranéenne du Languedoc. Les ports d'Agde et Sète sont particulièrement visés, mais ils vont végéter faute de débouchés vers l'arrière-pays.

 

Jusque vers le milieu du XVIIème siècle, tous les projets de canal pêchent par un seul point : chaque auteur qui sait que les « pierres de Naurouze » sont le point de partage des eaux entre les versants atlantiques et méditerranéens, propose d'y amener des eaux mais celles-ci sont toujours prises en un point d'altitude inférieur à celles de Naurouze.

La découverte technique de Riquet qui fait l'originalité de son projet est d'abandonner l'Ariège, l'Aude ou la Garonne pour se tourner vers les rivières et les ruisselets de la Montagne Noire. Il estime que des versants dominant le seuil de Naurouze, il sera facile d'amener des eaux par simple gravité. Riquet doit sa découverte à sa parfaite connaissance de la région revéloise où il habite vers 1655-1662. Aidé par le fils d'un fontainier de Revel, l'ouvrier Pierre, il parcourt le versant sud de la Montagne Noire à la recherche des moindres cours d'eau.

 

Après essais en miniature dans le parc de sa propriété

 

de Bon Repos à Verfeil (31), Riquet peut soumettre à Mgr de Bourlemont, archevêque de Toulouse, le premier projet techniquement réalisable.

 

Celui-ci, échaudé par des projets précédents, regarde l'affaire comme « impossible et chimérique », puis, pleinement convaincu de la possibilité d'exécuter ces plans, il introduit Pierre-Paul Riquet auprès de Colbert et pèsera de tout son poids pour la réalisation du canal.

 

La commission d'enquête, qui se termine à Béziers le 17 janvier 1765, donne son accord de principe en demandant comme dernière précaution, le creusement d'une rigole d'essai, menant les eaux du Sor jusqu'au seuil de Naurouze. Il s'agit de la Rigole prenant naissance au Pont Crouzet. En octobre de la même année, la Rigole est terminée et la preuve est faite de la possibilité d'exécuter le canal. En octobre 1666, le Roi signe l'édit «  de construction d'un canal de communication entre deux mers océane et méditerranéenne. »

 

L'alimentation en eau est assurée par la Rigole de la Plaine, issue du bassin de St Ferréol qui sert de réserve. Ce bassin doit principalement son eau à l'Alzeau dont une partie est détournée à la prise d'eau d'Alzeau dans la forêt de Ramondens. La Rigole de la Plaine reçoit aussi l'eau du Sor par la Rigole passant à Revel qui avait servi de rigole d'essai.

 

 

Rigole de la Plaine.
Photo : Jean François Benne – www.  canaldumidi.com

 

               
L'ouverture du canal a eu lieu en 1681 et immédiatement son succès est considérable. La Rigole de la Plaine est également employée. Un entrepreneur de Revel l'utilise avec trois bateaux pouvant transporter chacun le contenu de vingt charrettes. Cinq ou six hommes halent le bateau au retour vers Revel en remontant le courant.

Lorsque l'Intendant Daguesseau, en 1684, réceptionne le canal, celui-ci a coûté 15 246 352 livres réparties de la façon suivante :

               
Riquet a donc emprunté environ 2 millions de livres. Mais le canal rapporte des revenus importants, si bien que toutes ses créances sont couvertes en 1724 et que ses héritiers deviennent alors entièrement propriétaires du canal. En financier averti, Riquet n'avait pas utilisé sa fortune personnelle mais avait emprunté, prévoyant le succès et les revenus attachés à l’exploitation du canal.

Le canal, déjà lors de sa construction, suscite des envies. Mais cependant Carcassonne ne parvient pas à la suite de divergences internes à cette ville, à faire passer le canal au pied de ses murs. Chance que saisit Castelnaudary qui obtient la construction d'un bassin de « près de 600 toises de tour et de 18 pieds de fond d'eau au milieu ». Sa population passera de 2000 à la construction du canal à 8000 en 1770, alors que pendant la même période la population des autres villes n’a qu'à peine progressé. Narbonne est également intéressée par la jonction avec le canal. Cette ville communiquant avec la mer par la Robine. Par arrêt du Conseil de 1685, Narbonne est autorisée à construire un canal depuis la Robine jusqu'au Somail, point le plus rapproché du Canal Royal. Les travaux débutent mais n'arrivent pas à leur terme. Et après de longues procédures et querelles, nous devons attendre 1775 pour voir se poursuivre cette construction.

Cette construction se poursuivra mais à condition qu'on établisse auparavant un nouveau réservoir « capable de contenir une quantité d'eau suffisante pour remplacer dans le Grand Canal celle que consommera la branche de jonction ». Ce réservoir sera fait au lieu-dit du Lampy dans la Montagne Noire, sur les plans de Garipuy, ingénieur de la Province. Le bassin du Lampy qui fait partie du réseau hydraulique du Canal du Midi est donc d'environ cents ans moins ancien que celui de St Ferréol.

 

Riquet, dès la construction du canal, a conçu la dérivation de Revel à Naurouze, appelée Rigole de la Plaine comme une voie navigable devant prendre par la suite une importance encore plus grande. Il prévoyait son élargissement mais des raisons financières et ensuite sa mort le 1er octobre 1680 à Toulouse avant la fin des travaux, devaient empêcher se réalisation. L'ouverture du Canal du Midi sera réalisée en mai 1683.

Dans une lettre à Colbert de 1668, Riquet écrivait : « Mon intention est de la pousser (la Rigole) jusqu'à la rivière de Castres (l'Agout) à 4 lieues du Sor, afin d'attirer par là dans le canal, tout ce qui vient de l'Albigeois et du Rouergue ».

La liaison avec l'Agout se ferait par le Sor. L'évêque de Castres ayant soutenu le projet, l'intendant Bezons l'adjuge aux enchères en 1671. Commencés, ces travaux, en raison de difficultés financières, sont arrêtés en 1683. Les travaux les plus importants ont consisté surtout à rendre l'Agout navigable au niveau de Castres. Mais d'autres travaux plus modestes ont été engagés ailleurs.

Il n'est pas impossible que la voûte de notre pont de Blan date, ou ait été consolidée, durant ces travaux car elle devait être suffisamment large et haute pour permettre le passage des bateaux et des équipages de halage.

 

LE XVIIIème SIECLE

 

La seconde moitié du XVIIIème siècle est caractérisée par un essor important dans tout le royaume de France jusqu'à la crise révolutionnaire de 1789. Les rendements agricoles progressent et ceux des paysans du Midi arrivent, dans des bonnes terres, à atteindre des taux de 6 à 7 pour 1. C'est l'époque où l'on fait l'éloge des terres fertiles du Lauragais, symbolisées par la célèbre devise remontant à l'heureuse époque de la culture du pastel : «  un brabe castel garnit de bi, blad et pastel » (un gros château garni de vin, de blé et de pastel).

Parallèlement, les échanges se multiplient et les marchés s'élargissent. Chaque communauté sort de son isolement ; dès lors, les diocèses, instances en place, se préoccupent de l'infrastructure commerciale.
Les Etats de la Sénéchaussée de Toulouse se penchent sur ce problème vers 1760 et décident d'améliorer les principales voies de la région et en particulier la voie Rodez – Carcassonne. La communauté de Blan va être concernée par l'amélioration de cette voie et percevoir les reflets de ces mutations économiques.

Ces travaux qui facilitaient une ouverture du terroir de Blan vers l'extérieur allaient entraîner de nombreuses polémiques et alimenter les discussions des villageois, à l'image de ce que l'on peut observer de nos jours pour la construction d'une rocade ou d'une autoroute.

Un projet fut établi par un certain Jayet à la suite de la délibération des Etats de la Sénéchaussée de Toulouse. Son objectif visait à supprimer le « point noir » que constituait la traversée du village de Blan. A cette fin, le chemin sinueux et accidenté devait laisser la place à une voie large à pente régulière.

Notre ingénieur pensait résoudre facilement le problème : « On doit », indiquait-il dans son rapport, « pour adoucir la côte qui est fort rude, commencer de descendre au bas d'une contre-pente qu'il y a entre l'église et la maison presbytérale de Blan »

« Le profil de nivellement » qu'il avait établi le confortait dans ses constatations, aucun obstacle majeur n'apparaissait dans cette réalisation si ce n'était que le passage entre l'église et le cimetière n'avait point assez de largeur pour qu'on pût y placer le chemin et les fossés qui doivent le border ».

Mais là ne fut pas la pire des difficultés de notre ingénieur, il allait se heurter à M. Estienne Gineste de Najac, seigneur de Blan, ancien lieutenant-colonel du Régiment d’Infanterie de Boisgelin, habitant à Puylaurens.
Dans l'intervalle du projet à l'exécution des travaux, M. Gineste de Najac acheta la terre sur laquelle devait passer la route et y fit construire une terrasse. Lorsque l'ingénieur Jayet décida d'aller « marquer l'ouvrage » pour les entrepreneurs, il se trouva fort surpris et constata, désabusé,  : « Je trouvai achevée une terrasse formée par un comblement de terre maintenue du côté du chemin par des assises de gazon ».

Dès lors, une controverse va s'engager : de Najac utilisant ses titres de noblesse va s'adresser à toutes les autorités compétentes et en particulier à l'évêque de Lavaur. Il demande au responsable du projet de le modifier pour préserver sa terrasse. Celui-ci contre-attaque : « Bien que M. de Najac tienne beaucoup à cette terrasse, les plans prouvent assez qu'elle avance trop sur le chemin pour qu'on puisse se dispenser d'y toucher ».

Finalement, après une âpre bataille, le seigneur devra abandonner toutes ses prétentions : le pouvoir seigneurial était déjà ébréché ! En guise de consolation, le responsable du projet indique à son adversaire que «  bien que la terrasse ait perdu 5 à 6 pieds de largeur, il lui reste encore, par delà, une terrasse assez honnête » - et va jusqu'à lui refuser de construire un mur pour soutenir le reste de sa terrasse.

En 1763, à la suite de la requête de Jean Izaac, entrepreneur du chemin de Revel à Puylaurens, Mgr de Saint Priest, intendant du Languedoc, demande au seigneur de Blan de faire abattre la terrasse qu'il a faite construire auprès de son château et de combler le fossé du tour de son jardin.

Avant de voir son projet aboutir à une réalisation totale, Jayet va se heurter également aux représentants de la communauté de Blan. Ceux-ci vont obtenir que les entrepreneurs soient condamnés « au paiement des dommages et intérêts résultant pour la communauté des enlèvements de terre et excavations qu'ils ont pratiquées dans les communaux » (terrains qui appartenaient de façon indivise à l'ensemble de la communauté, dont un certain nombre étaient situés à proximité du Sor).

De plus, ils ne devront pas couper les anciens chemins et, en particulier, ils seront tenus de construire une chaussée pour donner issue au chemin qui va de Poudis et environs pour rejoindre le pont de Blan.

 

Au milieu du XVII ème siècle, il n'est plus à faire la preuve de la richesse agricole du Lauragais et du Puylaurentais. Le pouvoir se préoccupe alors du débouché de ces productions. La principale difficulté provient de la carence des voies de communication. Un effort considérable de réfection et de création de routes nouvelles est alors entrepris. Il va durer des siècles. Blan se situe près des grands centres d'échange et de commerce qui vont naître. Le commerce des céréales n'a pas uniquement un but économique, il facilite la paix sociale en évitant les cours trop bas ou la disette génératrice de troubles. Nous en voulons pour preuve la correspondance de Balthazar, commissaire départi en Languedoc, avec le chancelier Séguier : «  le commerce des bleds est une grande conséquence pour le calme de la province ».

Notre région et le Lauragais sont au milieu du XVIIème les principaux exportateurs des grains du Languedoc. Ceci est dû à l'intensification de la production du maïs qui assure l'essentiel de la nourriture paysanne. Dans nos campagnes les « millas » remplacent le pain de blé.
En 1674, le subdélégué affirme que « les grains sont beaucoup plus que suffisants pour la nourriture des habitants du diocèse et même pour en fournir aux voisins une assez grande quantité, car le  millet d'Espaigne  sert de nourriture au peuple ».

 

Ce commerce se fait dans plusieurs directions : tantôt vers Bordeaux, tantôt vers Narbonne et le Bas-Languedoc. Une partie du surplus alimente les marchés de la Montagne Noire. De là, les grains redescendent de l'autre côté vers les diocèses de St Pons, Carcassonne, Béziers ; ils servent de chargement de retour aux voituriers qui amènent l'huile du Bas-Languedoc.

 

Ces transporteurs s'approvisionnent en grand nombre aux marchés de Lavaur et de Puylaurens, d'où ils repartent vers Castres, Mazamet et la côte méditerranéenne.          
Georges Frêche, dans sa thèse de doctorat : « La région toulousaine  vers 1670 - 1789 » nous apprend que le trafic des grains est si régulier que le cours du marché de Puylaurens est noté dans la mercuriale castraise et qu'avec l'huile, les marchands apportent le sel qu'ils débitent sur les marchés. A Puylaurens, un gros marchand, Filaquier, achète directement le sel dans le Bas-Languedoc, le fait porter dans cette ville et le revend dans toute la région.          
Le trafic vers la Montagne Noire reste limité faute de routes suffisantes. Les deux principaux points de départ des caravanes de charrettes sont Puylaurens et Revel. Celles-ci se dirigent vers Castelnaudary, Carcassonne et Narbonne. Le prix du transport d'une charretée, tirée par une paire de bœufs, de Revel à Narbonne, représente 30% du prix du grain.

 

Le château de Blan
photo : Roch de Ranchin

Village de Blan - vue aérienne
photo : Emeric d'Hubert

 

 

 

 

Eglise et village de Blan

 

 

Village de Blan, route de Revel à Puylaurens : L'ancienne mairie au premier plan et la maison de retraite au second plan

 

 

 

 

Plan du village et du château de Blan (1762 - Archives départementales du Tarn)

 

 

Le plan de Blan (1762)

 

Nous avons narré les péripéties qu’a entrainé, au milieu de la deuxième moitié du XVIIIème siècle, l'agrandissement de la route traversant Blan. Un plan de Blan dont nous donnons la reproduction a été établi vers 1762 (A.D. Du Tarn - Albi).

En regardant ce plan, nous, gens du XXIème siècle, sommes d'abord choqués par la représentation employée. En effet, l'ensemble est dessiné en plan mais les constructions rabattues sur place de façon à montrer leur façade principale. Sur cette reproduction, nous constatons que l'allure du village est la même qu'aujourd'hui.
Certes, des constructions nouvelles sont venues se greffer depuis trois siècles mais il est possible que des habitations éloignées de la route, qui n'étaient pas en cause dans ces travaux, n'aient pas été représentées.

La route passe déjà entre l'église et le cimetière. Nous trouvons le chemin de Blan à Lamothe ainsi que ce qui est appelé chemin de Burlax, occupé actuellement par le chemin reliant Blan au pont de Poudis.

L'église occupe la place que nous lui connaissons aujourd'hui. Elle était plus petite qu'actuellement : d'importants travaux de réfection ayant eu lieu en 1830.
On retrouve également le vivier, comblé depuis quelques années. Dans la nomenclature, le repère 5 désigne la « maison curiale » qui correspondait au presbytère. Quant au repère 1, il désigne le château de Blan. Ici on se doit de souligner une particularité : nous voyons le donjon sur lequel se trouve une girouette. La famille noble d'Etienne de Gineste occupait  le château, car sous l'Ancien Régime, seuls les nobles avaient le droit de posséder une girouette.

 

 

 

 

 

 

Blan en 1960

Route de Revel (en bas à gauche) vers Puylaurens (en haut à droite).
A droite de la route  et de gauche à droite : l’école et l’ancienne mairie, la maison de retraite, le cimetière.
La maison curiale (presbytère) est sur la gauche de la route en face la dernière maison à droite.

A gauche de la route vers le bas : le château de Blan.
Maison de Jean Vilotte entre l’église et le château.
Le chemin de Burlats part du centre du village et va vers la gauche .
Maison de retraite actuelle : maison 2 (Gazel) 3 (Albouy)  et 4 (Maury) sur le plan de 1762 (voir page pré).

 



Les constructions de chemins doivent être imputées à la Province pour une grande partie, mais aussi à l'administration royale, qui prit parfois en charge la construction ou la réfection d'axes routiers importants qui dépassaient les capacités techniques et financières de la Province. Ce fut le cas du grand chemin entre Toulouse et le Rouergue par Gaillac et Albi construit vers 1738. Ce chemin présente un grand intérêt pour le diocèse de Lavaur, qui fit réparer la route de Lavaur à St Sulpice, s'ouvrant ainsi la route de Rouergue et du Quercy.

 

En 1727, le conseil politique de Puylaurens émet un vote favorable à la construction d'un grand chemin reliant Albi à Castelnaudary (A.D.T. 3355). Cette route est commandée par les nécessités du transport des grains, raison qui, d'une manière générale, commande toute l'organisation du réseau routier.

En 1779, le sub-délégué informe l'Intendant que le diocèse n'est pas assez riche pour entreprendre les travaux nécessaires et qu'on répare en priorité les chemins les plus utiles pour le transport des grains (A.D.T. C.6553). C'est également la ville de Puylaurens qui prend l'initiative de présenter aux Etats du Languedoc, un mémoire sur « la nécessité d'un grand chemin de Puylaurens à Mazamet par Soual et Labruguière » (A.D.T. E.3359). Ce voeu est repris par le sub-délégué qui considère que le diocèse regarde la construction de ce chemin comme essentielle car il fournirait un débouché au millet de la région de Puylaurens vers les Cévennes et le Castrais.

Après 1779, les travaux s'accélèrent. Le chemin de Lavaur à St Sulpice est de nouveau entièrement refait à neuf et terminé en 1779. Les travaux ont coûté 45 000 livres et l'entretien annuel doit revenir à 1 200 livres.

De 1775 à 1779, on construit le chemin de Lavaur à Toulouse par Le Rumel et Verfeil. Les diocèses de Toulouse et de Lavaur contribuent à la dépense. En même temps, celui de Lavaur à Castres par Saint Paul est refait. En 1780, le diocèse adjuge la construction d'un nouveau pont sur l'Agout. La même année, il décide la construction d'une route entièrement nouvelle entre Revel et Carcassonne par Sayssac.

Cet effort pour la construction de routes à travers tout le diocèse de Lavaur bénéficie à la région de Puylaurens et à son marché qui occupe le centre du diocèse.

A la fin du XVIIe siècle, au terme des grands changements du réseau routier, notre région se trouve au croisement des deux principaux axes du Haut-Languedoc : le chemin de Toulouse à Castres et celui d'Albi à Castelnaudary par Revel.

Le formidable essor du XVIIème et du XXVIIIème siècle ne s'est pas uniquement concentré dans les villes avec leurs manufactures. Dans nos villages et dans les plus petits hameaux, l'évolution s'est inscrite à mesure que des routes nouvelles étaient ouvertes. Les marchés deviennent des lieux d'échange privilégiés. Pour nos aïeux, celui de Puylaurens avait une importance sans doute plus grande que celui d’aujourd'hui.

Ce marché, ainsi que la proximité de Revel a donné à notre commune une place de premier plan, lorsque l'on pense à cette voie commerciale, le Canal des Deux Mers, qui a eu des implications dans tout le Midi de la France .

 

BIBLIOGRAPHIE

 

DOM VAISSETTE : (1685 Gaillac / 1756 Paris)
Histoire générale du Languedoc – 1733

CLOS Jean-Antoine    (1774/ 1844 Sorèze) :
Notice historique sur Sorèze et ses environs -   1822

MARTY Guillaume de : Mémoires

FRECHE Georges (1938 Puylaurens / 2011 Montpellier)
La région toulousaine vers 1670/1789

Bibliothèque Nationale -  Fonds Doat  - Vol 25 et 26
A.C. de Blan
A.C. de Castres
A.D. du Tarn – Albi - Plan de Blan 1762
A.M. de Toulouse

 

Remerciements :
France et Bernard de Ranchin

NOTES

1 - D’après la publication sur le Bulletin Municipal de Blan (1972 - 1975)

2 - Les divers textes utilisés sont tirés de la Bibliothèque Nationale, fonds Doat, volumes 25 et 26.