Société d’ Histoire de Revel Saint-Ferréol                                   PARU DANS LES CAHIERS DE L’ HISTOIRE Numero 14 - 2009

 

Soréze et les saint-simoniens

D'après René RAMOND

 

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(Article traduit du Languedocien paru dans la revue culturelle « Occitan ! » N° 113 du printemps 2004)Henri_de_Saint-simon

 

Soréze est une petite ville du Tarn de 2000 habitants à 27 kilomètres de Castres. Mais tant vaut-il ne rien dire de Soréze si on ne parle pas de son Abbaye-­École qui occupe une bonne moitié de la ville et qui faisait travailler tout le pays sorézois.

Mais aujourd'hui l'Abbaye-École est fermée. Et si vous regardez une carte Michelin ou le petit dictionnaire Larousse, vous ne trouverez plus mention de cette petite ville du fond du Tarn.

C'est pourtant là que se développèrent, au début du XIXème siècle, les idées du Comte de Saint-Simon.

Ce mouvement saint-simonien qui envahit tout le Midi, de Toulouse à Montauban jusqu'à Montpellier, avait véritablement Soréze comme centre de cette église du Midi et pour chef désigné, Jacques Résséguier, au point que Soréze va devenir vite le centre le plus important du saint-simonisme après Paris.

 

Henri de Saint-simon

 

 

 

Que pouvons nous dire maintenant des saint-simoniens et de leur mouvement ?

 

Les saint-simoniens avaient certes beaucoup d'idées. Politiquement, ils ne sont pas faciles à situer, mais ce sont des libéraux et les premiers socialistes, bien avant Marx (et cela les marxistes hégémonistes ont du mal à l'admettre. Il faut dire aussi que lorsque le « Père » Enfantin devint le chef de l'église saint-simonienne, le mouvement prit une forme religieuse bizarre).

Ceci dit, nous retiendrons surtout de ceux-ci deux idées qui marqueront leur temps, à l'aube de la première révolution industrielle :

. La nécessité d'améliorer la condition ouvrière en unissant capital et travail et en supprimant l'exploitation de l'homme par l'homme,

. La nécessité de conférer à la femme tous ses droits et sa dignité (1). Avouons que sur ce point ils étaient en avance sur nous qui n'y sommes pas encore complètement arrivés.

 

Bourgeois et fortunés, les saint­simoniens sont des idéalistes et ils vont se ruiner, pour la plupart, pour faire connaître et appliquer leurs idées (ce qui est à leur honneur et font d'eux des hommes bien sympathiques).

Les saint-simoniens se recrutent le plus souvent dans le vivier de l'élite intellectuelle qu'était, en ce temps là, l'École Polytechnique, l'École de Soréze et aussi l'École de Médecine de Montpellier.

Ainsi, ces saint-simoniens que le Roi des Français, Louis Philippe, se mit à persécuter, les prenant pour des détraqués, joueront un rôle des plus grands dans la construction des premières lignes de chemin de fer, dans le percement du canal de Suez ainsi que dans la création des premières sociétés industrielles.

 

Comment et pourquoi ce mouvement saint-simonien put se développer à Soréze ?

 

Tout commença en 1825. Depuis 150 ans, Soréze possédait une Grande École. Le prestige de cet établissement était au plus haut.

 En effet, depuis la Révolution de 1789, l'enseignement était devenu laïc et voltairien ; et chaque année des Soréziens étaient admis directement à l'École Polytechnique de Paris.

Or, en 1824, quand le Roi Charles X arriva au pouvoir, il censura cette école qui s'étalait comme un vilain bouton sur le visage d'une France que, lui voulait ultraroyaliste.

Il fit licencier le Directeur, Raymond FERLUS, pourtant propriétaire de l'École, ainsi qu'une bonne poignée de professeurs bonapartistes ou voltairiens.

Il fallut donc remplacer les professeurs licenciés, et l'École engagea, avec d'autres, un professeur de philosophie du nom d'Émile Barrault. Déjà converti aux idées du Comte de Saint-Simon, cet enseignant sema ces idées révolutionnaires à l'École et dans la ville de Soréze.

 Il devint l'ami et convertit à ce mouvement Jacques Résséguier. Il le fit abonner au journal »Le Producteur ».

C'est ainsi que les idées saint-simoniennes se développèrent dans ce milieu d'élite et que ses membres se sentirent investis d'une mission sociale. Car les machines qui se perfectionnaient, les possibilités de la métallurgie et de l'industrie en pleine mutation annonçaient le progrès social et la venue d'une ère nouvelle.

 

Qui se souvient aujourd'hui de cette École ?

 

Le temps a tout effacé et c'est bien dommage.

Mais il faut se souvenir de ce que le regretté Christian Laux (2) a écrit dans la préface du livre « En cèrca d'Elisa : Sorese e los sant­simonians », touchant l'histoire de cet établissement :

 

« Dans ce temps obscur du Moyen-âge, le premier Parlement du Languedoc se serait justement installé à Soréze dans ce qui était alors l'Abbaye de la Sagne. Après la ruine et les malheurs du XVIème siècle, l'Abbaye se relève et adhère à la congrégation de Saint-Maur. Le Collège nouvellement fondé put accueillir parmi ses étudiants le futur historien, Dom Devic, né à Soréze en 1670, celui qui écrivit en collaboration avec Dom Vaissette, l'admirable « Histoire Générale du Languedoc ».

 

L'École de Soréze est, hélas ! fermée depuis 1991. Pourtant les bâtiments sont là, riches d'une longue tradition. Nous faisons nôtre le vœu des auteurs que ces vénérables lieux puissent être à nouveau des lieux de vie et de savoir.

Claude Devic avait travaillé là en contact avec la langue et la culture occitane, il avait pu y lire les actes et les pièces qui décrivaient l'histoire de notre Pays. Et cela serait un signe face à l'avenir si l'occitan se faisait à nouveau entendre entre ces murs où l'accord est entier entre le lieu et les hommes à travers les siècles écoulés ».

 

 (1) Dans le but de donner à la femme sa dignité et son autonomie, les saint-simonniennes, à la tête desquelles était la sorézoise Elisa LEMONNIER, créèrent la première école professionnelle féminine dès 1862.

(2) Christian LAUX, érudit et auteur occitan reconnu, professeur de mathématiques au Lycée Rascol d'Albi est décédé en 2002. Il fut Président de l'Institut d'Etudes Occitanes du Tarn durant de longues années.

 

Élisa Lemonnier :

Elisa-LemonnierEst née Marie-Julienne-Elisa Grimaihl à Soréze (Tarn) le 25 mars 1805 et décédée à Paris le 5 juin 1865. Elle est considérée comme la fondatrice de l'enseignement professionnel pour les femmes .

Elisa Grimaihl est très jeune orpheline de père. Elle est élevée par sa mère et sa grand-mère. C'est dans les salons de François Ferlus, directeur du collège de Soréze, qu'elle rencontre Charles Lemonnier, professeur de philosophie et adepte des idées saint-simoniennes. Elle l'épouse en 1831.

La famille réside à Bordeaux, puis Charles Lemonnier devient responsable à Paris du contentieux des Chemins de Fer du Nord.

Les troubles qui agitent Paris pendant la Révolution de 1848 montrent la misère et le dénuement des femmes. Elisa Lemonnier organise un ouvroir pour procurer quelques ressources aux femmes démunies.

Consternée par la maladresse de ces ouvrières, elle conçoit le projet de donner un véritable enseignement professionnel à des jeunes filles afin de leur permettre de gagner leur vie.

En 1856 est créé la Société de protection maternelle qui devient en mai 1862 la Société pour l'enseignement professionnel des femmes.

Elisa Lemonnier loue un atelier et ouvre le 1er octobre 1862 rue de la Perle à Paris la première école professionnelle pour jeunes filles. Cette école rencontre un rapide succès : elle compte 80 élèves dès la seconde année. Les locaux sont trop petits et l'on est obligé d'en trouver de plus vastes rue du Val Couture Sainte-Catherine. Puis deux autres écoles s'ouvrent : une rue Volta et une rue de Rochechouart. Ce sont environ 500 jeunes filles qui suivent l'enseignement des écoles Lemonnier. Les élèves sont issues de la petite bourgeoisie et de la classe ouvrière aisée car l'école est payante.

Sources

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