Société d’ Histoire de Revel Saint-Ferréol                                LES CAHIERS DE L’ HISTOIRE

 

L'ABBAYE ET LE BOURG MONASTIQUE DE SOREZE


d’après  Nelly Pousthomis-Dalle

        Soréze, l’intelligence et la mémoire d’un lieu –
Presses de l’ Université des Sciences Sociales de Toulouse.

 

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L'abbaye-école de Soréze ayant fait l'objet d'un nombre conséquent d'études et de publications (1), il m'a semblé intéressant d'en renouveler l'approche en abordant un aspect moins connu, celui de son impact sur le peuplement par la constitution d'un bourg.

Celui-ci peut être considéré comme une variante de village ecclésial dont la morphogenèse et l'évolution méritent attention. Le cas de Soréze soulève, en outre, quelques questions méthodologiques, notamment en matière de sources, de cartographie et de parcellaire. Ces points seront abordés dans une démarche s'inscrivant sur la longue durée, du IXe au début du XXe siècle.

L'étude des campagnes d'extension et d'embellissement du XVIIIe siècle se fonde sur l'analyse des bâtiments, sur les notes prises par Jean Cailhassou, curé de Soréze de 1743 à 1790, les délibérations consulaires (5), enfin sur des plans de la ville ou de l'École de la période révolutionnaire et du début du XIXe siècle.

 

Les sources

 

Pris par les protestants en 1571 et 1573, le monastère est anéanti, les bâtiments sont rasés et les archives détruites.

De quoi décourager toute entreprise sur l'histoire de l'abbaye et du bourg de Soréze au Moyen Âge.

Cependant, celle-ci peut être esquissée grâce à des analyses succinctes d'actes médiévaux, copiées dans un Sinopsis rerum memorabilium... rédigé par le mauriste Étienne Dulaura en 1696 (2), et dans une compilation du début du XVIIIe siècle, dite "cartulaire" (3).

Ces mêmes Mauristes, à qui fut confiée la réforme de l'abbaye en 1637, ont laissé des écrits et des plans (4) sur la reconstruction et l'agrandissement du monastère au XVIIe siècle, que des registres notariés permettent de compléter (5). ­

 

 1. Notamment CLOS (J.A.), Notice historique sur Soréze et ses environs, (Toulouse 1822) rééd 1845 et Albi 1984; FABRE DE MASSAGUEL (J.), L'Ecole de Soréze de 1758 au 19 fructidor an IV (5 septembre 1796), Toulouse 1958 ; POUSTHOMIS-DALLE (N.), L'abbaye de Soréze (Tarn). Recherche archéologique, thèse de 3e cycle d'histoire de l'art et d'archéologie, sous la direction de MM. les professeurs Y. Bruand et M. Durliat, Université de Toulouse-le-Mirail, 1983, 3 vol. (texte, catalogue, illustrations).

2. AD Tarn, 2J1 et BN, Ms lat. 12697, 12698 et 12779.

3. AD Tarn, 69 J 2.

4. AN, NIII Tarn 1, 2 et 12 (16 pièces de 1638 à 1680) ; vue perspective de 1687, BN, Ms lat 11821, Monasticon Gallicanum, f. 103, publié par Peigné-Delacourt, rééd. Bruxelles 1967, pl. 136.

5.  AD Tarn, Fonds Fischer, notaire à Soréze, principalement 3E 48/ 1 à 143, 296 à 300, 310 à 318 (à partir de 1472, mais principalement des XVIe et XVIIe siècles).

 

L'étude des campagnes d'extension et d'embellissement du XVIIIe siècle se fonde sur l'analyse des bâtiments, sur les notes prises par Jean Cailhassou, curé de Soréze de 1743 à 1790, les délibérations consulaires (5), enfin sur des plans de la ville ou de l'École de la période révolutionnaire et du début du XIXe siècle.

La physionomie du bourg et l'évolution de son parcellaire sont connues grâce aux compoix de 1595 et 1747. Le notaire François Catala, chargé de ce dernier, a pris soin d'y joindre un atlas cadastral du territoire de la communauté. Fait remarquable, il avait déjà, en 1736, reconstitué schématiquement le plan cadastral de 1595 du bourg

et de quelques parties du terroir environnant (6). La confrontation de ces atlas entre eux et avec celui de 1833 nécessite quelques traitements préalables. Passé les premières étapes de dessin informatisé de ces plans, réduits approximativement à une même échelle afin de les superposer, quelques remarques s'imposent. En partant du présupposé que la forme générale des moulons n'a pas changé, le plan restitué de 1595 apparaît très schématique (fig. 1), ses proportions et la forme de ses moulons sont inexactes (7). Sa superposition directe sur le cadastre de 1833 (fig. 3) s'avère impossible.

 

fig. 1 : Soréze, dessin informatisé du plan cadastral dressé par F. Catala en 1736 à partir du compoix de 1595 (dessin N. Pousthomis­Dalle)

fig. 3: Soréze, dessin informatisé du plan cadastral de 1833 (dessin N. Pousthomis-Dalle

 

Le même constat, plus nuancé, s'impose à propos du plan de 1747 mais, ici, les mesures sont plus justes, le notaire ayant procédé à un arpentage (fig. 2). Il convient donc, pour tenter d'approcher chacun des états du parcellaire, de suivre une démarche régressive qui consiste à ajuster le plan de 1747 sur celui de 1833 (8) (fig. 4), puis le plan de 1595 sur celui de 1747 ajusté, ce qui entraîne, à chaque étape, des déformations et des choix qui relèvent de l'interprétation (fig. 5). Ces points de méthodes précisés, et conscient des limites qui en résultent, on peut tenter une étude comparative prudente, sans perdre de vue les plans originaux.

L'ensemble de cette documentation permet de saisir la naissance de l'agglomération à l'ombre de l'abbaye, son développement au cours du Moyen Âge, puis son évolution en liaison avec l'expansion du monastère et de l'école jusqu'à l'orée du XIXe siècle.

 

fig. 2 : Soréze, dessin informatisé du plan cadastral dressé par F. Catala en 1747 (dessin N. Pousthomis-Dalle)

fig. 4 : Soréze, plan cadastral de 1747 ajusté sur le plan cadastral de 1833 (dessin N. Pousthomis-Dalle)

fig. 5 : Soréze, plan cadastral de 1595 (reconstitution de 1736) ajusté sur le plan cadastral de 1747 précédemment ajusté sur celui de 1833 (dessin N. Pousthomis-Dalle)

 

6.  AC Soréze, GG5 à GG9 ; BB 3 à 5. 3 AC Soréze.

7. Le notaire a réalisé un travail auquel les historiens se livrent parfois à partir de ce type de document et sur la base cartographique du cadastre dit napoléonien, à la différence près que F. Catala était plus près de l'état de la fin du XVIe siècle.

8.  Ajustement de la forme des moulons, et de la répartition des parcelles à l'intérieur des moulons par la recherche de limites fortes ayant perduré.

 

 

Le monastEre au Moyen Age

 

La charte de fondation, bien que falsifiée, paraît reposer sur une tradition authentique et permet de situer la création de l'abbaye Sainte­Marie vers 816 (9). Implantée entre montagne et plaine, près de la rivière Soricinus (ou petit Sor, soit l' Orival), elle s'installe dans une zone probablement peu ou pas mise en valeur puisqu'elle est dite Sainte-Marie de la Sagne (des marécages), zone qui n'est cependant pas vide de toute occupation puisqu'elle est située près du castrum de Verdun (juxta castrum quod dicitur Virdiminus). On retrouve cet ancien oppidum protohistorique, probablement devenu forteresse publique à l'époque carolingienne (10), sous le nom de Brunichellis, en 1141, aux mains des Trencavel et de l'abbé de Soréze. Le vicomte de Béziers Roger inféode alors à Pierre Guilhem Escaffre, seigneur de Roquefort, et ses fils, ce castellum et castellare (1141) (11), qualifié en­suite de bastimentum (1143 et 1153) (12).

Textes et archéologie nous le décrivent comme un habitat aggloméré et fortifié, d'une centaine de bâtiments auquel s'ajoutait un faubourg hors les murs (13).

Lui étaient liés, en 1141, des droits sur les fours ainsi que des droits ecclésiastiques mais sans aucune mention d'église.

Située au sommet de la pente douce sur laquelle s'est développé le village, on sait fort peu de choses du monastère médiéval qui, rasé au moment des guerres de Religion, est rarement évoqué par des archives peu abondantes et peu loquaces à son sujet. Ainsi, en 904, l'abbé Walfrid entreprend-il de décorer l'abbatiale, récemment reconstruite à la suite d'un incendie dont on ignore la cause (14). L'abbaye connaît une période d'expansion jusqu'au XIIIe siècle, non sans quelques remous liés à la réforme grégorienne puis à la crise cathare (15).

 

9.  Elle est citée dans la Notitia de servitio monasteriorum en 819, comme redevable uniquement de prières.

10.  Comme ce fut sans doute le cas pour d'autres sites de hauteur tel Malast au­ dessus de l'abbaye de Montolieu (Aude).

11.  HGL, V, 1046.

12.  HGL, V, 1133.

13.  LAUTIER (J.), "Berniquaut, Soréze, Tarn", in Travaux et Recherches, n° 14, 1977, 173-191.

14.  À cet effet, il concède à vie à Garcias, comte et marquis de Gascogne, les domaines gersois de l'abbaye, en remboursement d'une somme de 1 000 écus prêtée par ce même comte pour reconstruire totalement l'abbatiale. Ces biens, situés entre Gers et Save, à proximité du prieuré de Saramon (Cella Medulphi), avaient été donnés par Louis le Pieux en 817. Soréze ne rentrera en possession de ces biens qu'à la fin du XIe siècle.

15.  POUSTHOMIS-DALLE (N.), "Moines et laïcs : l'exemple de l'abbaye de Soréze (Tarn) du Xe au XIIIe siècle", In DEBAX (H.) textes réunis par, Les sociétés méridionales à l'âge féodal (Espagne, Italie et sud de la France Xe-XIIIe s.), Hommage à Pierre Bonnassie, UTM-CNRS, collection "Méridiennes", Toulouse 1999, p. 251-258.

 

 

L'église et sans doute le cloître font l'objet de travaux probablement importants entre le milieu du XIe et le début du XIIIe, si l'on en juge par les vestiges lapidaires (16). La grande crise du XIVe siècle met fin à cette ère de prospérité. Un redressement, amorcé vers 1470, s'accompagne d'une rénovation de l'abbatiale entre 1513 et 1520, qui comportait alors une nef, sans doute unique et charpentée, six chapelles latérales, et un chevet semi-circulaire ou polygonal, et se voyait dotée de nouveaux pavement, vitraux et stalles (17). Quant aux bâtiments, ils restent inconnus. La présence d'une communauté féminine, sans doute des oblates, à proximité du monastère d'hommes, est suggérée par une prise d'habit

en 1060 (18) et confirmée par la mention, en 1253, d'un lieu anciennement dévolu aux moniales "entre le mur de clôture et la place Saint­ Michel" (19). À la fin du XVe, les moines semblaient vivre comme des chanoines, dans des maisons particulières et pensionnés par l'abbé. Malgré le rappel à l'observance de la règle et de la vie commune en1498 (20), la séparation de mense en 1565 montre des moines habitant des maisons séparées et servis chacun par un valet et mentionne "le corps de tout le bâtiment du pressoir et les greniers joignant l'infirmerie (21).

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16.  Ces éléments, environ 150, sont dispersés à Soréze et dans un rayon de 5 km, hormis quelques pièces à Toulouse, Revel, Vaudreuilhe, Saint-Amancet et Mazamet. Ils sont soit remployés dans des constructions (chevet de la paroissiale Saint-Martin, maisons et manoirs), soit regroupés dans des collections comme celle de la Maison du Parc. S'agissant de colonnes (bases, fûts, chapiteaux et tailloirs), de claveaux, de bandeaux et de modillons, ces vestiges peuvent provenir d'une ou deux églises (abbatiale et peut-être paroissiale), secondairement d'un cloître. Cf. POUSTHOMIS­DALLE (N.), "Les chapiteaux de type corinthien altéré de Soréze (Tarn) ", in Archéologie du Midi Médiéval, t. 2, 1984, p. 71-80, "Nouvelles sculptures romanes de Soréze (Tarn) ", in Archéologie du Midi Médiéval, t. 4, 1986, p. 21-47 et note sur "le pilier historié de Soréze", in Archéologie du Midi Médiéval, t. 5, 1987, p. 178­181.

17.  POUSHOMIS-DALLE (N.) et CAUCANAS (S.), "La restauration de l'abbatiale de Soréze (Tarn) au début du XVIe siècle : analyse d'un bail à bâtir", in Bulletin de la Société des Sciences, Arts et Belles Lettres du Tarn, XLI, 1989, p. 517-529.

18.  Adebald et sa mère Aldiarda reçoivent l'habit en 1060 (AD Tarn, 2J1, Sinopsis, f. 5).

19.  Unum localem qui fuerat quondam dominarum monacharum et erat inter murum claustri usque ad planum de sto Michaele (AD Tarn, 2J1, Sinopsis, f. 12). Si le lieu de Saint-Michel (métairie et Sol du dixme dépendant de l'abbaye) n'a pas changé d'emplacement (à l'entrée de Soréze côté ouest) depuis le XIIIe siècle, il vaut mieux interpréter le terme de claustrum comme une clôture (monastique ou mieux villageoise) que comme le cloître.

20.  AD Tarn, 2J1, Sinopsis, f. 38.

21.  CLOS (J.-A.), "L'abbaye de Soréze", in Revue historique et littéraire du département du Tarn, IX, 1892, p. 292-299. Il s'agit de notes extraites d'un mémoire que J.-A. Clos a eu entre les mains, probablement un des documents conservés- aux Archives départementales du Tarn sous la cote 50J, non classés.

 

 

L'incendie puis la destruction totale du monastère en 1571 et 1573 posent la question de l'emplacement exact et de la disposition des bâtiments antérieurs. Or, la reconstruction entamée en 1638 a permis quelques observations, consignées par les mauristes :"partout où on a fouy et fouillé soubz terre dans l'enclos, on a trouvé grand nombre de fondements et plusieurs restes de logements carrelés de briques ou pavés de cailloux et si bas peut-être à cause des grands vents [...] que tout en devait être humide ; tant de fondements donnent à connaistre que les édifices n'estoient pas tant réguliers estant séparés les uns des autres et que le monastère a été souvent détruit" (22).

Or, l'on sait qu'avec les matériaux de démolition, les protestants bâtirent "leur presche laissant les fondements de l'église et les murailles seullement de deux coudées de haulteur", puis qu'on "a basti sur de nouveaux et comme on croid forbtes fondements laissant les anciens tout proches qui estoient très solides sur l'appréhension qu'on a eu que en bastissant dessus et les suivant, cela eust obligé à de très grandes et excessives despenses" (23). L'acte consignant la pose de la première pierre de l'église, le 26 mai 1638, indique que l'abbé Robin a "renversé l'auditorium, dit "prêche", construit par les calvinistes dans les fondations de l'ancien monastère" (24). L'emplacement primitif du monastère, et notamment de l'église, a donc été à peu près respecté.

 

LE BOURG : NAISSANCE ET DEVELOPPEMENT (XIè-XVIè siècle)

 

Le développement du monastère s'est traduit par un pouvoir d'attraction sur les populations locales, contribuant à la désertion du site fortifié de Verdun-Berniquaut, à l'orée du XIIIe siècle, abandon progressif révélé par l'archéologie. Les textes, de leur côté, permettent de suivre la formation et l'extension d'une agglomération auprès de l'abbaye, dont l'émergence semble attestée en 1057 par la mention d'une domus in eadem Soricinii villa (25). Les églises Saint-Martin (vocable de la paroissiale) et Saint-Michel de Soréze sont citées en 1120 par une bulle pontificale parmi les dépendances du monastère. En 1153, la ville est assez importante pour susciter l'inquiétude des seigneurs locaux Ugo Escaffre et ses frères, seigneurs de Roquefort et Berniquaut, qui en demandent le déplacement, contre l'avis de Raymond Trencavel.

 

22.  BN, Ms Lat. 12698, f. 118.

23.  BN, Ms Lat. 12698, f. 119.

24.  AD Tarn, 2J1, Sinopsis, f. 42.

25.  AD Tarn, 2J1, Sinopsis, f. 4.

 

L'arbitrage se fait en faveur de ce dernier qui obtient que la ville reste là où elle est et soit protégée de toute attaque (26). Par la suite, on peut juger de l'extension de l'agglomération au travers de quelques actes des XIIIe et XIVe siècles : une borde et jardin sont situés dans la ville neuve (ad villam novam) en 1280 (27), une maison est citée dans le faubourg supérieur en 1286 (domus in superio ejusdem villae barrio (28)), en 1322 une borde et jardin sont dits hors la ville et au barri d'icelle (29).

Or les compoix de 1595 et 1747 situent des maisons dans la ville vieille et le long d'une rue de Villeneuve. Sur les atlas cadastraux de 1595 (reconstitution), 1747 et 1833 (fig. 6), la ville vieille apparaît un quartier bien individualisé, en forme de croissant, délimité au nord par la muraille, à l'ouest par la rue de Castres (rue du Maquis), au sud par la place de l'église (30) et à l'est par l'enclos de l'abbaye.

 Il s'organise le long d'une rue dont un élargissement forme une place ou esplanade, toutes deux dites de la ville vieille et auxquelles on accède par deux ruelles. Un passage voûté encore visible au-dessus d'une de ces ruelles, allant de la place de la ville vieille à la rue de Castres, a pu suggérer une ancienne tour-porte et donc une première clôture dans son axe (30). Mais ce "pontet" ne semble pas mentionné dans le compoix de 1595 alors que celui de 1747 décrit "une maison en solier à la ville vieille et sur la tour d'icelle", et que la "voûte de la tour de la ville vieille" apparaît dans un confront (31).

En 1595 et 1747 (fig. 6 a et b), peu de parcelles sont traversantes, plusieurs sont imbriquées les unes dans les autres, suggérant un parcellaire qui a subi des divisions. On y rencontre surtout des maisons en solier (à étage) et peu d'espaces non bâtis (cour, jardin ou patus). Le nom de ce quartier, la densité du bâti et l'étroitesse des parcelles et de la voirie suggèrent donc d'y reconnaître le noyau primitif de l'agglomération, peut-être déjà partiellement amputé par l'abbaye.

 

fig. 6 : Soréze, états du quartier de la "ville vieille" en 1595, 1747 et 1833 (dessin N. Pousthomis-Dalle)

fig. 7 : Soréze, états du quartier de l'église paroissiale Saint-Martin en 1595 et 1747 (dessin N. Pousthomis-Dalle)

 

26. Ut maneret villa Soricinensis ubi est sita et ut eam protegeret ab infestatione omnium hominum, HGL, V, 1136.

27.  AD Tarn, 69J2, f. 346-347.

28.  AD Tarn, 2J 1, f. 20.

29.  AD Tarn, 69J2, f. 386.

30. Abbatiale accueillant alors aussi le service paroissial. Cette place correspond à l'actuelle cour d'entrée du collège, restée place publique jusqu'au XIXe siècle.

31. CAMPECH (S.), L'occupation du sol du piémont nord de la Montagne Noire : enquête archéologique et documentaire, mémoire de maîtrise sous la direction de G. Pradalié, Université de Toulouse-Le Mirail, p. 124.

32. AC Soréze, compoix de 1747, propriétés de Siméon Rastel et Jeanne Fouix, f. 111.

 

 

 

En marge de la ville vieille et au sud-ouest de l'abbaye, se dresse l'abside de Saint-Martin, surmontée d'un clocher, seul vestige de l'église paroissiale, citée à partir de 1120 et partiellement détruite en 1573. D'après les fouilles demandées par le curé Cailhassou en 1760 et un plan de 1773 (33), la nef devait être unique et courte, s'ouvrir au sud, tandis qu'une chapelle avait été ajoutée au nord du chevet en 1508 (34). À la fin du XVIe siècle (fig. 7 a), le cimetière s'étendait au nord, où se trouvait également la maison commune (35), et à l'ouest de la nef détruite (36), dans une parcelle située de l'autre côté de la rue dite "du four", celui-ci jouxtant la portion ouest du cimetière.

Au sud de l'église, s'étendait, jusqu'en 1777, l'esplanade ou place Saint-Martin. C'est apparemment dans ce même secteur qu'on peut situer l'ancienne maison abbatiale, d'abord près ou à l'emplacement de la maison commune, puis, au XVIIIe siècle, entre les rues de Linquant, du four et la rue du cul-de-sac, au nord de l'ancien cimetière (fig. 7 b). Le secteur compris entre les rues de la ville vieille à Malmagrade, des teinturiers, de la parayrié et de Linquant reste toujours composé d'unités assez vastes, malgré les modifications du parcellaire, et la parcelle de l'ancien cimetière, à l'ouest de l'église Saint-Martin, n'a pratiquement pas évolué entre 1595 et 1833.

Il est possible que l'îlot compris entre les rues de l'église, de la ville vieille à Malmagrade et de Saint-Martin soit contemporain de la première phase d'urbanisation (37). En revanche, les parcelles bordant la rue de Linquant appartiennent peut-être à une autre phase.

En effet, le reste de la ville suit un plan régulier où les moulons se répartissent autour de deux rues perpendiculaires dont l'intersection forme une place bordée à l'ouest de couverts (guirlandes en 1747), sur laquelle donnait la boucherie seigneuriale, et qui est dite "place couverte dans laquelle sont les mesures de grains" en 1747 (38), occupée par une halle en 1833 (fig. 3 à 5). Les moulons montrent ici une assez grande régularité des parcelles qui sont allongées, et très souvent traversantes.­

 

 

33. AC, AC, GG7, f. 18, et Archives de l'École n° 105 (consulté en 1980-1982).

34.  AD Tarn, 3E 48/36, registre Roberty, 1508, f. 36. Cf. POUSTHOMIS-DALLE (N.), "L'église paroissiale Saint-Martin de Soréze (Tarn)", in Archéologie du Midi Médiéval, t. T5, 1987, p. 119-122.

35.  La première mention connue des consuls, au nombre de quatre, date de 1330.

36. Cette parcelle est dite "ancien cimetière" en 1747 et l'emplacement de la nef est occupé par le cimetière d'après le plan de 1773.

37.  Cette hypothèse, fondée sur la topographie et le parcellaire de 1595, aurait le mérite d'établir une jonction entre les quartiers de la ville vieille et de Saint-Martin.

38.  On sait que se tenaient à Soréze un marché hebdomadaire le samedi, usurpé par Revel au moment des guerres de Religion, et trois foires annuelles aux fêtes de saint Paul, saint Marc et saint François.

 

Cet ensemble, qui évoque les plans régulateurs des castelnaux et des bastides, pourrait correspondre à l'extension des XIIIe et début XIVe siècles. La rue de Villeneuve, séparant deux îlots de la partie sud-ouest, non loin de la porte de Revel et de l'hôpital Saint­ Jacques, pourrait avoir conservé le souvenir de cette extension.

Tout en tenant compte de la part d'inexactitude et du schématisme du plan parcellaire reconstitué en 1736 d'après le compoix de 1595, nous avons cru pouvoir distinguer trois types de parcellaires qui semblent correspondre à trois zones de l'agglomération : le quartier de la "ville vieille", les moulons immédiatement à l'ouest de l'abbaye et regroupant un certain nombre d'équipements collectifs (église et cimetière paroissiaux, maison commune, four banal), enfin des îlots plus réguliers, distribués autour de deux grands axes,(rues de Linquant et d'en Galauby, du poux nouvel et de la parayrié).

 A l'intersection de ces deux voies principales sont regroupés des équipements commerciaux (couverts, mesures à grains et boucherie), constituant un glissement ou plutôt un dédoublement du centre que l'on pourrait considérer comme primitif, autour de l'église paroissiale et près de l'abbaye.

Linquant, désignant un lieu de vente aux enchères (39), est justement situé à la jonction de ces deux pôles.

 Le parcellaire bordant cette rue, au contact de deux entités probablement plus anciennes, semble marqué, en 1595, par une évolution plus avancée que celui des autres moulons.

 

ClOtures et fortifications

 

Une enceinte existait peut-être dès la période médiévale puisqu'en 1573 les protestants utilisent des planches pour franchir le fossé et s'emparer de Soréze. Mais il est impossible d'en connaître la nature, le tracé exact, ni l'époque d'édification (40) . Là encore, les notes des mauristes viennent à notre secours, autorisant quelques hypothèses sur les relations entre enceintes monastique et villageoise.

A propos des protestants, on peut lire : "voulant fortifier leur ville à l'imitation de leurs voisines Castres, Revel et Puylaurens, ils employèrent la pierre de l'église et monastère dont la plupart estoit d'une belle taille de marbre blanc tirant sur le gris rétrécissant et restreignant l'enclod de la ville du costé du monastère qui estoit d'une belle estendue, bastirent de très

solides murailles party en talus et la plus grande part en tenaille" (41).

 

39.  De l'ancien occitan encant ou incant. Je remercie Pierre-Henri Billy (ERS 2085, CNRS) pour ses interprétations des noms de rues, reportées dans le tableau joint.

40.  Peut-être existait-elle déjà en 1253 si c'est bien elle que désigne l'expression murum claustri.

41.  BN, Ms lat 12698, fol. 118.

 

Ces murailles sont à leur tour détruites par les mauristes :"Aussi, on croid qu'on a faict une grande faulte abattant et abaissant les murailles de la ville du côté du monastère où on les avait faictes à neuf car la grande brèche qu'on y voit affoiblit grandement et la ville et le monastère de quoy on ne peut pas doubter. Cela s'est fait dans le dessain qu'on avoit d'estendre derechef l'enclod de la ville et du monastère mesme au dela de ce qu'il occupoit anciennement et aussi de reprendre la pierre en rebatissant le monastère [...] car si le monastère est affaibli par la contre l'extérieur il est fortifié contre les habitants qui sont presque tous de la Religion et qui n'oseront peut-être plus attenter contre les religieux de peur que cette brèche ne donne entrée à ceux qui leur en pourraient faire porter la punition" (42).

Ces extraits appellent quelques commentaires. Les mauristes parlent toujours de "l'enclos de la ville du côté du monastère" ou de "l'enclos de la ville et du monastère" comme s'il s'agissait d'une même enceinte. Ainsi, en disant qu'on réduit ou qu'on étend "l'enclos de la ville du côté du monastère", il s'agit d'une modification du côté oriental (43). Cette interprétation est confirmée par le commentaire du religieux mauriste à propos de la brèche ouverte dans les murailles (supra). On peut donc en déduire qu'il existait un mur de clôture séparant l'abbaye du village mais qu'une même et seule enceinte, côté est, fermait l'abbaye et le bourg.

Il est possible de connaître le tracé des fortifications villageoises au début du XVIIe siècle, grâce à un dessin (44)qui, non daté ni signé, peut être rapproché de plans de villes et bourgs du Tarn (45) sans doute réalisés dans les années 1620. Ce plan ne représente pas le bourg lui-même mais ses lignes de fortifications. La muraille interne est ponctuée de trois tours carrées correspondant aux trois entrées de la ville, de deux tours circulaires aux angles nord et ouest et de deux tourelles semicir­culaires sur le flanc sud. Ce tracé est encore sommairement figuré sur une carte de Soréze à Revel des années 1767-1784 (46), et se retrouve sur certaines planches de l'atlas cadastral de 1747 (47) (fig. 2). Malgré la destruction des remparts, décidée par délibération du 5 germinal an X, son tracé subsiste dans la ceinture de boulevards, dont une partie est encore appelée Ravelin, des vestiges des portes de ville situées au nord-est et de la tour d'angle nord sont encore repérables.

 

 

42.  BN, Ms lat 12698, fol. 119.

43.  J.A. Clos l'interprète ainsi puisqu'il dit que la ville a été étendue du côté du levant (cf. CLOS (J.A.), op. cit., p. 132-134).

 44. BN, Estampes Va 81/fol., t. I, "Sauraise". Les recherches en cours pour l'attribution et la datation de ce dessin n'ont pu aboutir dans les délais requis pour cette publication.

45.  Tels que Castres, Lacaune, Roquecourbe, Viane.

46.  AD Tarn, C 1263.

47.  AC Soréze, I, 95.

 

Abbaye, collEge et bourg aux temps modernes

 

Malgré une tentative de restauration dès 1610, le véritable rétablissement de l'abbaye ne commence qu'à partir de 1637 avec l'abbé Don Barthélémy Robin qui la confie à la Congrégation de Saint-Maur.

Du monastère totalement reconstruit de 1638 à 1642 il reste peu de témoins hormis l'église abbatiale, un premier noyau articulé autour de deux cours, le cloître au sud de l'église et la basse-cour au sud-ouest.

 Les plans mauristes du XVIIe montrent un enclos assez modeste, de tracé irrégulier, confondu au sud avec la muraille de la ville que longe un fossé où coule une dérivation de l'Orival qui alimente aussi le monastère (48) (1657, fig. 8). La décision d'ouvrir un collège entraîne, à partir de 1679 et jusqu'en 1789, d'importants travaux et la nécessité d'agrandir progressivement l'enclos monastique (49) (fig. 9).

 

fig. 8 : Soréze, évolution de l'enclos monastique entre 1657 et 1778 (dessin N. Pousthomis-Dalle)

fig. 9 : Soréze, chronologie de la construction de l'abbaye et du collège du XVIIe au XIXe siècle (dessin N. Pousthomis-Dalle)

 

Un premier projet de séminaire (1677) représente l'abbaye cerné( au nord-ouest par des maisons séculières et repousse au sud-est l'aile projetée, séparée par une rue d'un bâtiment à tour d'angle circulaire partiellement dessiné (50). Ce projet impliquait d'empiéter sur des terrains privés et communaux, notamment la rue de la ville vieille à Malmagrade et l'esplanade Saint-Martin, acquises plus tard (51). Le bâtiment est finalement construit plus près de l'abbaye, à l'angle sud ouest de la basse-cour (1680-1682). Ce séminaire ou collège pour fil de gentilshommes ou d'officiers peu fortunés, répondant à une demande et à une nouvelle orientation des congrégations régulières au XVIIe siècle, connaît un vif succès qui le conduit à accueillir douze pensionnaires à partir de 1718, en plus des "gratis".

 Les bénédictins se lancent donc dans une politique d'acquisitions de terrains. En 1694, ils demandent aux consuls l'autorisation, pour étendre leur enclos au sud et à l'est, d'abattre la muraille de la ville.

 

 

48. AN, N III Tarn 2-1

49. ` POUSTHOMIS-DALLE (N.), "L'abbaye et le collège de Soréze aux XVIIe XVIIIe siècles", in Congrès Archéologique de France, Albigeois (1982) 198: p. 438-459.

50.  Ce bâtiment est indiqué comme "vendu par les habitants pour payer les arriérages de la taille", AN, NIII Tarn 2-4.

51. Ce dessin porte le batiment dans un chemin qui est derrière la cour ~ séminaire qui conduit hors de la ville par une petite porte, auquel on adjoute ui maison et un jardin contigus que nous pouvons acquérir [...] encore sept canes i long et en large d'une place qui joint le chemin qu'il faut prendre de la ville avec 1 chemins qui conduisent le long de nos murailles jusques à la grande place de l'église et du monastère. Et derrière le bastiment du séminaire on perce la muraille de la vii, pour y faire une sortie (lettre de Jacques Hody au Supérieur de la congrégation, mars 1680, AN, NIII Tarn 2-10

 

 

La demande est acceptée condition que les religieux bâtissent de nouvelles et solides murailles longées par un chemin assez large, et que l'eau de la montagne qui passe par deux canaux dans leur enclos continue d'alimenter la ville et notamment les teintureries et l'hôpital avant de servir à l'irrigation (52). Dans les années 1710-1713, les bénédictins achètent assez cher des lopins de terre (prés, champs et petits jardins) à des particuliers pour agrandir leur enclos approximativement jusqu'aux limites du parc actuel. Malgré la fermeture du collège de 1722 à 1758, surtout liée à des désordres intérieurs, les mauristes continuent d'étendre leur enclos et leurs bâtiments (53).

Entre 1724 et 1747, la muraille sud est reportée jusqu'à l' Orival et, vers l'ouest, englobe une portion de la rue dite "de la ville vieille à Malmagrade" et l'ancienne porte de ville dite Malmagrade ("mal gardée"). Après la réouverture du collège, le succès du nouveau programme d'éducation et d'études est tel que le nombre d'élèves passe de 29 en 1759 à environ 400 entre 1776 et la Révolution.

Soréze fait partie des douze Écoles royales militaires créées en 1776. L'accueil des cinquante pensionnaires royaux, en plus des élèves déjà présents, nécessite un agrandissement des locaux rendu possible grâce à des gratifications exceptionnelles et un prix de pension assez élevé accordé par le roi.

S'amorce alors une intense campagne d'extension et d'embellissement qu'interrompt la Révolution. L'essentiel des travaux est réalisé sous Dom Despaulx, directeur de 1766 à 1791, qui fait d'abord construire de nouveaux bâtiments scolaires (1773-1777) (54), empiétant sur une partie de l'esplanade

Saint-Martin, située au sud de l'église paroissiale (55). Suit la construction de dépendances, au nord-ouest de l'abbatiale, vers 1778-1780, qui dût nécessiter l'acquisition de parcelles privées, encore mentionnées dans le compoix de 1747 comme grange et maison particulières. Cette nouvelle basse-cour s'ouvrait sur la place publique qu'après de multiples tractations Lacordaire, directeur de 1854 à 1861, acquit en même temps que l'église (56) en 1858-1859.

 

52.  AC, BB3, délibérations des 21 et 26 septembre 1694.

53. Au premier bâtiment scolaire (1680-1682) sont ajoutées deux ailes perpendiculaires entre 1722 et 1727 (fig. 9).

54.  Construction d'une aile qui vient fermer à l'ouest la première cour du collège

(Cour des Rouges).

55.  Dès 1773, les bénédictins arguent de "l'embellissement et de l'agrément" que constituera pour la ville une "magnifique" façade d'entrée du collège. Es s'engagent à ne l'élever qu'au niveau de l'appui des vitrages du chevet de l'église paroissiale Saint-Martin, au cas où l'on viendrait à la reconstruire. En 1776, les consuls autorisent les bénédictins à élever leur bâtiment à la hauteur des autres pour des raisons d'esthétique et de logement des élèves...

56.  Ancienne église abbatiale et paroissiale, devenue uniquement paroissiale à partir de la Révolution.

 

Le cas de Soréze illustre donc les potentialités d'une enquête essentiellement fondée sur une documentation tardive, assez riche et diversifiée, exploitée ici pour ses apports à la connaissance de l'histoire médiévale de l'abbaye et de l'agglomération de Soréze (57).

L'étude du parcellaire n'est qu'ébauchée, elle pourrait être approfondie, notamment par des observations métriques sur les largeurs de parcelles susceptibles de mettre en évidence des phases de lotissements.

 D'autres aspects n'ont pu être évoqués dans cette contribution, en particulier les modalités juridiques de l'éclosion de cet habitat groupé à l'ombre du moûtier (58), ni ses fonctions et notamment sa vocation de place commerciale qui semble devoir le situer au rang des bourgs dont le rôle dépasse le cadre de la communauté, cas assez fréquent parmi les agglomérations d'origine monastique.

 Les rapprochements entre les quelques textes médiévaux conservés, les atlas et les noms de quartiers et de rues permettent néanmoins de suivre la naissance et le développement d'une agglomération suscitée par la présence de l'abbaye, sinon par elle.

Sa morphogenèse ne paraît pas foncièrement originale. Les deux composantes sont juxtaposées, l'habitat s'étant exclusivement groupé à l'ouest de l'enclos monastique, à la différence du plan radiocentrique, bien connu désormais, des villages ecclésiaux. Outre la séparation normale entre moines et laïcs, imposée par la règle, on peut suggérer que c'est la concentration du foncier (à l'est du monastère) qui a pu empêcher un développement auréolaire de l'agglomération. Apparemment en marge du noyau primitif (la ville vieille) mais au voisinage immédiat du monastère, on observe un pôle regroupant des "équipements collectifs" autour de l'église paroissiale, qu'un développement ultérieur de l'agglomération a doublé d'un pôle voisin, plus spécifiquement commercial.

 Le plan régulateur et l'allure de lotissement des moulons venus s'agréger aux quartiers de la ville vieille et de Saint-Martin trahissent une perméabilité aux autres modèles d'urbanisme que sont les sauvetés, castelnaux et bastides.

 

57.  Les compoix et atlas sont une source riche d'informations très diverses sur l'agglomération aux temps modernes, qui restent à exploiter.

58.  Sauveté et immunité.

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