Histoire de Revel Saint-Ferréol                                  Collection Lauragais-patrimoine 2014 pp 158-162.

L'ABBAYE D'EN CALCAT

d'après le livre de Michel Gô

 

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Le monastère bénédictin d’En Calcat

Lorsque Romain Banquet naît en 1840 au hameau d’En Calcat, nul ne peut imaginer qu’un demi-siècle plus tard il deviendra le fondateur et le premier Père Abbé du monastère actuel.

Son aïeul, Jean-Pierre, issu d’une famille de briquetiers de Couffinal (où résident encore ses descendants), vient s’établir, en 1815, à la Tuilerie de Touscayrats. Puis, en 1820, Etienne Mijoule, un maçon de Massaguel ayant acheté une maison et des terres au hameau d’En Calcat (maison qui s’appelle de nos jours encore « la Mijoule » du nom de son ancien propriétaire) aide Jean-Pierre Banquet à s’y établir et à obtenir de la sous-préfecture  l’autorisation d’y créer une briqueterie. C’est là que le futur Dom Romain verra le jour. La « Mijoule » et les terres deviendront la propriété des Banquet lorsqu’Auguste en fera l’acquisition en 1843. Une grande maison d’habitation sera même construite pour la nombreuse famille, le père du futur Dom Romain étant le septième enfant de Jean-Pierre Banquet.

Ordonné prêtre en juin 1866, Dom Romain revient à Dourgne en 1885 avec un de ses moines, à la demande du curé de la paroisse l’abbé Brieu, y prêcher une mission. Il est alors Prieur du monastère de Saint-Pierre-de-Canon en Provence. A cette occasion l’archevêque d’Albi, Monseigneur Fonteneau, exprime à Dom Romain le désir, l’espérance et la volonté de le voir rétablir l’ordre bénédictin dans son diocèse. Dom Romain repart en Provence mais l’idée émise par l’archevêque a fait son chemin. Moins de trois ans après, avec quelques religieux de Saint-Pierre-de-Canon, il vient s’établir au monastère de Mottes près de Vielmur. Ce ne sera que provisoire. Satisfait, l’archevêque l’invite à poursuivre son œuvre en fondant aussi dans son diocèse un monastère de bénédictines. Toujours sur les instances de l’abbé Brieu, Dourgne serait ce lieu idéal propice à la méditation et la prière. Dom Romain fait don des terres et des biens qui appartenaient à la famille Banquet depuis 1843. C’est là, sur sa terre natale d’En Calcat, que sera donné, le 15 janvier 1890, le premier coup de pioche des fondations du monastère. Le 24 octobre de la même année, la première aile du bâtiment construite, les religieux de Mottes viennent s’y installer. C’est le point de départ du renouveau de la vie monastique en pays dourgnol.

Vue générale de l’intérieur de l’église en construction de l’abbaye Saint Benoît d’En Calcat

Dès lors les travaux vont s’accélérer. Un temps interrompues par l’exil des moines en Espagne au début du XXème siècle, ces constructions, de 1890 à 1996 (année qui vit l’inauguration de l’Hôtellerie Neuve), jalonneront durant un siècle l’histoire de l’abbaye. Depuis la pose de la première pierre, le 15 janvier 1890, provenant du socle de la statue de saint Stapin qu’on venait de refaire, treize années s’écoulèrent dans le calme, la paix et la prospérité d’En Calcat. Erigé en prieuré en 1892, puis en abbaye en 1896, le monastère vit, la même année, en la personne du petit Louis-Basile Banquet devenu par la grâce divine le Père Dom Romain, la nomination de son premier abbé et de son premier Prieur.

La lumineuse pierre polychrome de Dourgne donnait aux bâtiments le cachet si particulier qu’on leur connaît aujourd’hui. Pourtant l’année 1903, avec l’expulsion des moines, allait porter un coup funeste aux travaux. Dans le cadre du cabinet de défense républicaine de Waldeck-Rousseau, la Loi de 1901 avait déjà posé les jalons d’un anticléricalisme latent avec, sinon la suppression, du moins la mise sous surveillance des congrégations religieuses. Cet anticléricalisme atteindra son apogée le 27 juin 1902 sous la présidence de l’ancien séminariste Emile Combes devenu anticlérical militant. Le décret ordonnait la fermeture de plus de 2500 établissements scolaires pas forcément tous congréganistes. Le 29 avril 1903, malgré la résistance et en dépit des objections soulevées par la  droite conservatrice, la troupe  fait évacuer par  la force armée le monastère de la Grande Chartreuse. Afin d’éviter ces persécutions Dom Romain choisit, pour sa communauté d’En Calcat, l’exil vers l’Espagne. Il a alors vraisemblablement en mémoire le souvenir de cette année 1883 où, dans un contexte politique déjà hostile aux congrégations religieuses, la communauté de Saint-Pierre-de-Canon avait été expulsée au petit jour par trente gendarmes armés de fusils pour chasser les moines et de haches pour défoncer les portes du site. Il venait d’ailleurs d’être avisé, le jour de Pâques, que sa communauté, présentant le double crime d’être un monastère d’hommes et un établissement d’enseignement, devait être dissoute. En réalité une dérogation fut accordée aux enseignants et aux élèves jusqu’à la fin de l’année scolaire. Quant aux moniales de Sainte Scholastique, dont nous reparlerons dans les lignes consacrées à cette abbaye, elles purent rester à Dourgne sans être inquiétées ne relevant pas elles-mêmes d’un établissement d’enseignement.

La plupart des moines gagnèrent donc la station balnéaire catalane de Parramon, en Cerdagne espagnole, et s’installèrent provisoirement dans un modeste hôtel loué à un prix accessible aux faibles moyens monastiques. Le café-dancing fut transformé en chapelle, le comptoir en autel, la salle de billard en sacristie, le salon en chapitre, la salle-à-manger en réfectoire et tout à l’avenant. Pourtant, malgré des conditions pénibles, les moines s’adaptèrent aux circonstances. Dom Romain dira même : « Le chant grégorien, dans cette chapelle improvisée, ravissait les estivants en villégiature à Parramon qui, par ailleurs, étaient contents de trouver des confesseurs disponibles ». Quelques moines s’étaient aussi installés au nord de Barcelone, à Manso-Tapias, où ils cultivaient une propriété et envoyaient les produits récoltés à leurs frères de Parramon. Dom Romain se partageait entre ses moines réfugiés en Espagne et ses moniales de Dourgne en voyages exténuants de trente six heures. Lors du premier hiver, plusieurs moines tombèrent malades. Le froid, les conditions de vie, les installations ne convenaient pas aux soldats de Dieu pour un séjour qui se prolongeait et dont on ignorait l’issue. A la fin de 1908, les moines vont trouver refuge au sanctuaire roman de San Pedro de Besalü, à 25 km de Figueras, près de la frontière française. Les conditions de vie s’y trouvent grandement améliorées. Bâti au XIIème siècle par des Bénédictins comme eux, il restait de cet édifice outre l’église, un ensemble divisé en appartements que l’on proposa à la cinquantaine de moines exilés qui s’étaient regroupés et à la dizaine d’enfants de l’école monastique qui avaient suivi la communauté. L’exil qui n’était que provisoire dura quand même douze ans… mais, pour Dom Romain, Besalü n’était plus qu’à huit heures de Dourgne.

Pendant ce temps les locaux d’En Calcat laissés vacants furent occupés par le Séminaire d’Albi de 1907 à 1909, par les enfants du juvénat de l’orphelinat d’Albi de 1909 à 1913 puis enfin par des réfugiés lorrains. La mobilisation du 1er août 1914 et la guerre vont appeler 33 moines sous les drapeaux, 10 d’entre eux ne reviendront pas du front. Dans cette période, En Calcat accueillera  une des trois ambulances militaires dourgnoles et comptera plus d’une centaine de blessés et de convalescents.

 

Les moines bénédictins participeront à la construction de l’abbaye sainte Scholastique comme à celle de saint Benoît d’En Calcat et quelques années plus tard à celle de la Capelette dédiée à saint Ferréol

Avant même la fin de la guerre, les moines rentrèrent de leur exil espagnol et réoccupèrent leur cher site d’En Calcat. Pour eux, même vie de travail et de prière mais aussi nouveau départ et poursuite de l’œuvre qui leur tenait à cœur. Les constructions, arrêtées en 1902 pour cause d’expulsion, reprirent. Mais son état de santé déclinant avec l’âge (il approche les 80 ans), Dom Romain démissionne, en 1923, pour se retirer à Sainte Scholastique où il restera jusqu’à sa mort en 1929. Le deuxième abbé, Dom Marie Cambarou, perpétue l’action de Dom Romain. Bien que seulement coadjuteur de Dom Romain dont Rome a refusé la démission, Dom Marie, élu par la communauté d’En Calcat dans l’attente de la succession du Père Abbé fondateur, s’investit pleinement durant la vingtaine d’années que va durer son abbatiat (1923-1943).

A partir de 1928 sont construites les deux ailes et l’église dont le plan rappelle aux moines celle de Besalü. Les bâtiments enserrent le cloître qui s’ouvre sur le ciel ; il est entouré par l’église, la salle du chapitre, le réfectoire et l’hôtellerie. Des travaux de terrassement à la pose de la première pierre de l’église par l’archevêque d’Albi, Monseigneur Cézérac, le 10 février 1931, presque deux années s’écoulèrent. Les pluies continuelles ralentissaient l’ouvrage et le rendaient pénible. Mais quelle légitime fierté pour ces frères-bâtisseurs que ce mois de septembre 1935 où ils avaient mené à bien leur tâche ! Je dis bien fierté et non orgueil. Il faut laisser l’orgueil aux nantis. La fierté c’est la juste opinion que l’on a de soi… l’orgueil c’est n’estimer que soi. Et les moines, bien au contraire, avaient conservé, dans leur immense réalisation, toute l’humilité de la Règle de saint Benoît. Dom Romain Banquet s’était éteint, exténué, le 25 février 1929, à l’âge de 88 ans, après 33 ans d’abbatiat et après avoir insufflé à ses frères la Foi et le courage nécessaires à l’accomplissement de son œuvre. Son corps, ramené pour un temps sur la terre familiale d’En Calcat, fut transféré et enterré dans l’église où il repose, le 13 septembre 1935, dix ans avant la cérémonie grandiose de consécration de l’édifice religieux. Le 1er septembre de la même année,  le monastère avait procédé à la bénédiction de cinq cloches. A cette occasion une réplique de quelques centimètres d’une de ces cloches avait été offerte à chaque famille dourgnole.

Les bulletins paroissiaux édités pour cette consécration nous donnent un aperçu des dimensions imposantes de l’église abbatiale.

 

Dès l’entrée, depuis le porche principal jusqu’au chœur, les proportions de la nef sont surprenantes. Les lignes de piliers impressionnants qui s’élancent jusqu’aux voûtes et soutiennent de grands arcs confèrent à l’église des traits distinctifs de quiétude et de beauté. Le chœur, de 9 m de côtés, est propice à la célébration et la solennité des grandes fêtes religieuses. Il est fermé, comme on le voit sur la photo, par 16 colonnades jumelées qui servent de support à la demi-coupole de l’abside. L’église ne compte pas moins de 24 autels répartis entre les bas-côtés de la nef, le transept et l’abside elle-même. D’une longueur de 72 m, d’une largeur de 20 m pour le transept et 9,20 m pour la nef, l’édifice culmine en toiture à 22 m avec des hauteurs sous voûtes pouvant avoisiner les 17 m.

L’abbé Gaime disait à Rousseau : « Il vaut mieux avoir l’estime des hommes que leur admiration ». Pour la communauté monacale d’En Calcat la première partie de son engagement était remplie au-delà de toutes les espérances. Avec la consécration de leur église abbatiale, les Bénédictins suscitaient à la fois l’estime et l’admiration des fidèles.

 

Cet engagement se poursuivra sous l’abbatiat de Dom Marie Cambarou, qui s’éteindra en 1944, avec le renouveau apporté par les moines d’En Calcat au Prieuré de Madiran dans le Gers en 1932. Cette communauté s’installera ensuite en 1952 à Tournay près de Tarbes.

Durant les deux décennies suivantes, En Calcat connaît des années de prospérité et d’éclat. Les deux pères abbés, Marie de Floris (1943 à 1953) et Germain Barbier (1953 à 1964), redonnent au monastère, malgré quelques vicissitudes liées à la période d’occupation, l’influence qui était la sienne avant la guerre. En effet, la morale bénédictine imposant à tout moine de porter secours, aide et assistance à toute personne en danger sans distinction de race, de confession, de religion ou d’appartenance politique allait se révéler préjudiciable à l’abbaye. En 1947, lors de l’affaire dite du « complot des soutanes », le Père Abbé Marie de Floris et le Père Hôtelier furent inculpés. Fort heureusement si, pendant les troubles de la libération, quelques collaborateurs avaient pu, en se réfugiant à En Calcat, se soustraire à la vindicte populaire, il fut prouvé que le monastère avait aidé et caché pendant l’occupation bien plus de Juifs, d’Anglais et surtout de Résistants (certains Dourgnols pouvaient le confirmer puisqu’ils en avaient bénéficié). D’ailleurs le verdict d’acquittement prononcé fit jurisprudence en matière de droit d’asile.

En ce début de XXIème siècle où le monde est chaque jour confronté à la violence, à l’intolérance, à l’agressivité et à la haine, le monastère donne toujours l’exemple d’un foyer humain de paix, de confiance et de sérénité. Cette communauté de moines, unis sous une seule autorité, dans une même charité et qui poursuivent un idéal commun de perfection évangélique contribue, chaque jour, par les diverses activités et selon la nature propre de chacun de ses membres, à entretenir et développer la vie de l’abbaye. Bien sûr la charpente de la vie monastique repose sur la prière, qu’elle soit commune, personnelle ou sous forme de lecture méditée et l’office divin. Les deux règles de saint Benoît à ce sujet sont précises : pour la prière les frères sont invités à se rassembler sept fois le jour et une fois la nuit ; pour l’office divin, toutes affaires cessantes, on accourra à la hâte, rien ne devant passer avant le service de Dieu. Ainsi Laudes (louange du matin) à 6 h 20, Messe à 9 h (10 h le dimanche), Sexte à 12 h 20, None à 14 h, Vêpres à 18 h et Vigiles (office de nuit) à 21 h marquent les prières monacales des Heures, l’office de nuit étant précédé à 20 h 30 de la réunion communautaire ou chapitre. Les repas à 12 h 35 et 19 h, pris sous la fresque murale du réfectoire, sont suivis d’une heure de loisir. Tout le reste du temps dont disposent moines, prêtres ou frères convers, est consacré au travail sous ses formes multiples qui, conformément à la Règle de saint Benoît, doit apporter à la communauté les éléments nécessaires à sa subsistance.

 

Comme nous le découvrons sur les photos suivantes d’archives du monastère, longtemps la vie agricole et artisanale a constitué l’essentiel du travail manuel des Bénédictins d’En Calcat. Le travail aux champs, au potager, au verger, en forêt, adapté aux saisons et à la durée de l’ensoleillement, souvent accompli en équipe, rythmait la journée du moine comme était structurée sa journée religieuse. II s’y ajoutait aussi l’apiculture le miel de l’abbaye étant fort  réputé.

 

L’artisanat doit pourvoir également, autant que faire se peut, à l’entretien du monastère. La vie quotidienne, même austère, même frugale, d’un ensemble à la fois complet et complexe de 80 personnes ne doit rien concéder au hasard. Menuisiers, serruriers mais aussi cordonniers, relieurs, apportent, chacun avec son savoir-faire, leur pierre à l’édifice commun. La Librairie, les Editions Siloë, les Editions de l’Abbaye pour les images religieuses et les cartes postales sont au nombre des activités actuelles d’En Calcat. Mais le monastère excelle surtout dans l’artisanat d’art. La musique de Dom Clément Jacob et les tapisseries de Dom Robert, ont porté son renom bien au-delà des frontières et contribué à son rayonnement, on ne saurait taire l’activité d’autres ateliers. La terre cuite, la poterie, la faïence, la porcelaine, n’ont plus, depuis longtemps déjà, de secret pour les céramistes.

Et les vitraux d’En Calcat ont une valeur artistique connue, reconnue et de toute évidence appréciée. Tous ceux de l’église proviennent des ateliers du monastère, qu’il s’agisse de ceux des fenêtres de la nef retraçant les scènes de l’Ancien Testament et de la vie du Christ ou de ceux des chapelles latérales représentant la vie du saint auquel chacune est dédiée. Leurs teintes chaudes et colorées baignent le chœur aux 82 stalles de chêne sculpté et le sanctuaire au centre duquel s’élève le maître-autel. L’artisanat d’art se complète enfin de la fabrication de cithares. Et si l’orgue, construit au Canada en 1923, n’émane pas des ateliers du monastère, avec ses 40 jeux répartis entre les 3 claviers et le pédalier, il se prête cependant fort bien à l’exécution de la musique religieuse très prisée des fidèles durant les offices.

Le travail de la terre a depuis longtemps fait partie intégrante du travail quotidien des moines

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Le repas communautaire pris dans le silence du réfectoire avec la seule écoute de Lectures

 

 

 

L’art du vitrail a été porté par les moines bénédictins d’En Calcat à une valeur artistique élevée

 

 

 

 

 

 

Les ateliers : le cuir, le bois et la reliure

 

 

Pour terminer, on ne saurait passer sous silence la part intellectuelle prise par l’abbaye. S’il n’y a plus l’éducation des enfants par l’entremise du petit collège, si la formation philosophique et théologique d’étudiants est plus restreinte, les travaux de recherche et l’exercice de retraites individuelles et collectives contribuent toujours à la renommée d’En Calcat. Sans omettre enfin, dans la mesure où cela est compatible avec leur vie propre, la mission d’apostolat liturgique et le maintien des offices assurés par les moines dans les communautés religieuses et dans les paroisses du canton de Dourgne où le nombre de prêtres est en déclin.

Ainsi « en n’ayant ni espérance, ni crainte de rien en ce monde, dans la prière, le pain, le travail quotidiens, un jour ressemble entièrement à un autre sauf qu’il est un pas de plus vers ce grand Jour qui absorbera tous les autres, le jour de l’éternel repos ».

 

Extrait du livre de Michel Gô "Si Dourgne m'était conté" paru en 2014 dans la collection Lauragais Patrimoine