Société d’ Histoire de Revel Saint-Ferréol

LES CAHIERS DE L’ HISTOIRE- 2002 - N°8

 

HISTOIRE DE L'ALIMENTATION EN EAU
DE LA VILLE DE REVEL

Par Albin Bousquet

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C'est avec la charte de fondation de la bastide que commence l'histoire de l'eau à Revel. Parmi les privilèges consentis par le roi aux futurs habitants, celui de l'usage de l'eau se présente avec des accents bucoliques; tel est l'article 22 recopié dans le vidimus de Louis XI

 

                "Les consuls de la communauté pourront fermer la ville et construire autour des fossés, des portes et des murailles ... ces fossés remplis d'eau pourront servir d'étang pour les poissons qui y seront nourris à la volonté des consuls ... " l'article 89 ajoute "Les consuls construiront des moulins sur les rives du Sor et du Laudot dont le cours sera changé par la bastide ... ". revel notre dameEt on peut imaginer des Revélois, assis sur les remparts, en train de pêcher dans les douves, avec, en toile de fond, des moulins sur les ruisseaux; ajoutons-y des bergères et de blancs moutons ...

En fait ces déclarations engageantes répondaient aux impératifs politiques et aux doléances des habitants de la région; consuls, prêtres et négociants avaient fourni des renseignements sur les possibilités qui se présentaient. À l'égard des lieux voisins, déjà habités, le détournement des eaux du Sor et du Laudot devait présenter un intérêt dont on ne peut aujourd'hui mesurer toute l'importance. Fut-il le résultat d'un acte volontaire ou forcé entre le consulat de Vauré et l'abbaye de Soréze ? Aucun document ne confirme les conditions de cet arrangement.

On peut distinguer tout au long des siècles trois périodes dans l'histoire de l'alimentation en eau de la ville;


                 La première commence au 14e siècle et s'étend jusqu'au 17
e siècle; elle est le résultat d'une initiative propre à la communauté de Revel. La deuxième commence en 1670 sous l'effet de l'édit royal d'octobre 1666 ordonnant la création du Canal du Midi ainsi que le droit sur l'eau attribué à Pierre-Paul Riquet. Cette période de débit contrôlé pour Revel s'étend jusque dans les années 1960. La Révolution, la confiscation du Canal aux héritiers de Riquet n'auront rien changé à la tutelle des administrateurs sur l'eau de la rigole. Enfin la troisième période vit le jour au cours de la décennie 1940 sur le plan législatif d'abord avec la création en 1947 de l'Institution Interdépartementale pour l'Aménagement Hydraulique de la Montagne Noire. Cet organisme eut pour tâche de faire modifier le droit sur l'eau (abrogation de l'édit d'octobre 1666) afin de répondre à l'intérêt général grandissant; cette démarche accomplie, la voie était ouverte aux grandes réalisations dont nous reparlerons.

Avant de traiter chacune des périodes, force est de reconnaître que les ressources en eau étaient faibles sur cette frange de plaine coincée entre le Sor et les collines qui la bordent au sud. Quelques faibles résurgences pouvaient suffire à un habitat dispersé.

La source de l'Horte située près de Saint-Pierre-de-Calvayrac était peut-être connue; la fount de la bouscaillo (la fontaine de la forêt), tel est son signalement sur le plan cadastral napoléonien. Dreuilhe s'était déjà constitué autour de sa source. Çà et là un filet d'eau avait retenu ou allait retenir un colon en des lieux appelés Gouttemirou, la Mittatmens, Fontfroide, le Pépelier.

Il y avait aussi les puits des pauvres appelés tardivement pouzéraques dans le Revélois, simples trous creusés dans le sable ou la vase séchée des ruisseaux, soumis à un long étiage et non pris en compte ni enregistrés dans les héritages; la survie de quelques légumes pouvait dépendre de ces éphémères points d'eau, que le moindre orage comblait à chaque fois.

À Revel, Louis Sablayrolles et René Salles ont connu la pouzéraque du chemin du Riat; ce point d'eau était situé à une vingtaine de mètres du pont de la rigole sur le tracé de l'ancien lit du ruisseau venant de la colline de Rastel, découvert au cours de travaux d'assainissement; ce tracé se dirige vers l'angle sud du cimetière.

À l'amont de la rigole, il y avait la source dite d'En Mounié.

Ces maigres ressources ne se prêtaient pas du tout au développement d'une bastide dont on souhaitait sûrement qu'elle s'étendît rapidement.

On pensa à l'eau du Laudot et à celle du Sor; on s'accommoda de celle du Sor, choix peut­être imposé par suite de l'opposition de quelque seigneur établi dans le vallon du Laudot.
 

LA PREMIÈRE PÉRIODE ( des origines à 1670 )

  

L'autorisation de détourner l'eau du Sor fut obtenue auprès du seigneur abbé de l'abbaye de Soréze. À partir du Pont-Crouzet, l'eau fut dirigée vers Revel par la rigole que les consuls firent creuser. Pour mémoire et clarté de l'exposé nous l'appellerons rigole des consuls. C'est à partir de là que l'eau arrivait au padouvenc de Soréze, terrain destiné au pacage et autres usages, à un endroit non localisé appelé A ïgo partens ; c'était un lieu de répartition de l'eau rendu nécessaire dès la création de la rigole des consuls, pour éviter que les crues d'orage venant du versant de la Pergue n'entrent dans la ville; on peut penser que la dérivation existant encore dans les années 1950 à l'angle de l'avenue Alexandre Monoury et du chemin de la Bourdette était l'emplacement de l'Aïgo partens; quant au tronçon du grand fossé situé entre l'avenue Alexandre Monoury et le boulevard Jean Jaurès, que l'on appelle le Farel, il n'est autre que le vestige de la rigole des consuls; en clair, le ruisseau le Farel était dirigé vers la ville par un fossé important qui descendait le long de l'avenue Monoury; il semble que dans un premier temps, il n'y eut qu'un seul fossé qui alimentait les deux ou trois réservoirs de la ville et les fontaines.

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C'est seulement plus tard, lorsque Riquet détourna l'eau vers le canal, que l'alimentation des fontaines fut séparée de l'alimentation des fossés mayrals (les égouts). Au cours de cette première période, les fossés de défense furent creusés et les remparts dressés. On ne sait rien sur les fossés; un plan les montre entourant la ville; mais la ceinture de cette dernière se situait à différents niveaux; en quels points alors les biefs des fossés étaient-ils barrés ? Autre inconnue, comment était assainie la ville au temps des fossés ?

 

Un premier fossé collecteur des eaux usées fut, semble-t-il, créé intra muros dans la partie basse de la ville (à moins que l'on ait construit le mur du rempart après). Son tracé qui existe toujours commence à l'escoussiére du levant; il traverse en leur milieu les pâtés de maisons entre la rue des Sœurs et la rue Georges Sabo et les suivants, se dirigeant vers le Paty et le padouvenc Saint-Antoine; il recevait les eaux de la rue Notre-Dame et de la rue de Dreuilhe; c'est le mayral; mais à la fin du 17e siècle, on l'appela mayral inférieur pour le distinguer du mayral supérieur qui assainissait la partie nord-ouest de la ville. Ce dernier commençait à la porte de Castres; son tracé passait sous le foirail, il était parallèle à l'alignement des maisons; il rejoignait le mayral inférieur au padouvenc Saint-Antoine.

Un réservoir fut créé à la porte de Soréze, un autre à la porte Notre-Dame et le troisième à la porte de Castres; le premier alimentait les deux autres dont chacun se trouvait à proximité de la tête d'un fossé mayral.

Ces réservoirs dont on ne connaît pas la contenance assuraient une réserve d'eau; ils palliaient les inévitables coupures d'eau au temps de la rigole des consuls, comme plus tard du temps des gestionnaires du Canal; ces derniers consentirent à la demande des consuls à ne pas couper l'eau plus de six jours de suite.

 

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Ces réservoirs étaient désignés du nom de la porte près de laquelle ils avaient été construits. Du fait du rôle défensif des portes, ceux de la porte de Castres et de la porte Notre ­Dame prirent le nom de Fort de Gaillard au 18e siècle. Ils existaient encore en 1830.

 

Du temps de la rigole des consuls, des prairies situées entre la route de Castres et l'avenue des frères Arnaud étaient arrosées par une rigole dont l'eau actionnait des moulins; on ne sait rien ou presque de leur emplacement, tout ce quartier ayant été profondément transformé par l'implantation des gares et des lignes de chemin de fer aux 19e et 20e siècles. Sur la carte des rigoles dressée en 1666 par Andréossy figure un moulin de Caraman qui n'est autre qu'un ancien moulin de la ville acquis par Riquet; il est situé au padouvenc de Soréze.

Trois siècles s'étaient déjà écoulés avant la réalisation de la carte de la rigole, ce qui rend quasiment impossible de situer les premiers moulins. Les textes mentionnent l'endroit appelé le Labyrinthe auquel Molles de Puiredon, premier consul en 1773, fait allusion pour établir une promenade; il déclare :"Il serait intéressant de prendre le lieu des anciens moulins de cette ville, vulgairement appelé labyrinthe, pour agrandir cet espace", et il ajoute :"Il est nécessaire de faire échange du champ de Blanc avec une partie du communal appelé padouvenc Saint-Antoine qui se trouve au midi du chemin de cette ville à Toulouse".

En 1784 l'échange des terrains avec Blanc se confirme après publication et affichage destinés à inviter toute personne qui voudrait prendre à locaterie perpétuelle plusieurs hieysses du nombre desquels se trouve l'hieys dit del mouly situé entre le champ de Blanc et celui d'Isaac Bastoulh. Dans la délibération du 24 novembre, après la publication, il est mentionné que "Z'hieys del mouly ne pouvait être d'aucune utilité pour la communauté". Ceci laisse entendre qu'il y a eu preneur. Au cours de la même année, le premier consul Dirat propose de faire des réparations à "la chaussée de Caraman qui vient d'être construite". De quelle chaussée s'agit-il ? Très certainement il s'agit de la dérivation créée à la tête du ruisseau du Farel en remplacement d'Aïgo-partens dont Puiredon s'inspira pour moderniser l'alimentation des fontaines.

 

Les fontaines et les aqueducs

 

Au 18e siècle et pas seulement à Revel, les fontaines faisaient partie, comme LES_MOULINS, les fours banaux et les bancs des bouchers, des biens fonds de la communauté qui payait redevance soit au seigneur, soit comme à Revel, au roi.

C'est sans doute par dérision que les habitants attribuaient le mot fontaine à tout endroit où l'on faisait usage de l'eau : une vanne, un endroit où l'on détournait l'eau, un autre fréquenté par les animaux. Le jet de la fontaine, et parfois les tuyaux qui alimentaient la fontaine étaient désignés par le mot canon ou faux canon. En 1746, Pierre Daydé, entrepreneur de la conduite d'eau, dit :"Le faux canon de la grande fontaine est bouché par les déchets qui viennent du lavage du blé ... Le maire doit faire découvrir autant de longueurs de faux canons pour tout nettoyer".

L'usage de ce mot était courant; au village d'Arfons, la fontaine des trois canons est mentionnée au début du 17e siècle. Ce mot désigne ainsi tout tube, qu'il soit l'élément d'une canalisation ou celui d'une arme à feu.

 

L'utilisation des tuyaux en poterie, malgré le peu de résistance à la pression, permit de relever le niveau des fontaines et de créer un petit réservoir d'un ou deux mètres cubes à chacune des fontaines publiques. Le réservoir assurait deux fonctions : décantation de l'eau et petite réserve en cas d'incendie. Le réservoir était surmonté d'un mur circulaire recouvert par une toiture de tuiles qu'on remplaça plus tard par des ardoises. Les propriétaires des maisons refusaient que la fontaine soit accolée au mur; faute de trottoirs et de caniveaux, l'abord des fontaines devenait une flaque d'eau stagnante.

 

Dans la plupart des cas, le canon de la fontaine était scellé dans l'appareillage de pierres du réservoir; un fénestron permettait de curer le réservoir et de puiser l'eau en cas d'incendie. Ce dernier rôle était assuré aussi par les abreuvoirs. Comme les fontaines, la réalisation de certains abreuvoirs fut financée par les habitants du quartier réunis en syndic; ils faisaient appel à un tailleur de pierre qu'ils rémunéraient directement sous le contrôle des consuls, maîtres d'ouvrage.

 

L'abreuvoir qui fut installé à la porte Notre-Dame étant surtout destiné à abreuver les chevaux des régiments de passage, son financement fut en partie assuré par l'Intendance de Montpellier sur le budget de l'entretien des casernes et des frais d'hébergement des troupes; le complément vint du diocèse civil de Lavaur.

Les réparations faites aux aqueducs étaient fréquentes, mais là encore, le mot aqueduc s'appliquait à tout conduit: tuyau, fossé dallé, gouttière, caniveau ... Au croisement des rues, un aqueduc assurait l'écoulement de l'eau. Soumis au roulage des roues ferrées, ces aqueducs subissaient une dégradation permanente. La circulation des charrois était souvent interrompue. Le pavage des rues consolida les chaussées; le fossé central fut dallé; il recevait l'eau souillée des caniveaux venant de chaque habitation. Dans la maison, le rejet des eaux usées se faisait au niveau de l'évier; une pierre scellée dans le mur comportant une petite gorge les évacuait directement à l'extérieur sur la chaussée. Les lieux d'aisance étaient, lorsque l'arrière de la maison confinait un mayral, un cabanon en surplomb sur ce collecteur très efficace du fait de l'abondance des eaux qui y circulaient; dans les autres cas, l'usage d'un seau, ancêtre du seau hygiénique, s'imposait.

 

Le ruisseau du Farel et la rigole des consuls

 

L'origine du nom de ce ruisseau n'est pas connue; quant au ruisseau lui-même, on peut penser qu'il était, avant la réalisation de la rigole des consuls, le collecteur des ruisseaux de Saint-Roch, la Pergue et les Dauzats. À partir de la ferme le Bouriou, une petite proéminence détournait l'écoulement de ces ruisseaux vers Revel. Le relief de la plaine montre encore aujourd'hui la petite dépression, le long de la route de Revel à Soréze, qui fut assainie lors de la création de la rigole. Le fameux rec Mouré, aujourd'hui disparu, mais cité par Barrau vers 1850, n'était que la section qui drainait, entre le Bouriou et la tête du Farel, cette partie basse.

La rigole des consuls coupa le cours des ruisseaux chargés des apports d'orages; ce fait est certain, mais conduit à des questions. Comment l'alimentation de Revel était-elle protégée de ces afflux intempestifs ? Pouvait-on, à l'Aïgo partens, détourner les eaux dans le ruisseau du Farel ?

En 1817, dans une session du CONSEIL_MUNICIPAL relative à la demande de construction d'un moulin à huile sur le Farel (il n'est pas précisé à partir de quel fruit), le maire déclare :"Le ruisseau le Farel n'est qu'un ruisseau creusé de main d'homme avant la réalisation du Canal". Fut-il creusé? agrandi? Ce détail nous échappe ...

Le ruisseau de la Garrigole dont le bassin versant est le plus important put franchir la rigole en amont du Bouriou; deux indices sont à signaler. Proche de nous, vers 1900, lorsque c'était nécessaire, l'eau de la rigole était détournée vers le Sor par un fossé dit de l'administration, mentionné dans une clause d'un acte de vente de la ferme de la Landelle. Le détournement se faisait à partir d'un batardeau dont les maçonneries sont encore en état, situé dans la courbe de la rigole, à mi-chemin entre le Bouriou et le moulin de Lauzy, ce qui permettait une mise à sec des ouvrages du Moulin du Roi à Revel. Plus curieux est le deuxième indice figurant sur un ancien plan cadastral de Soréze de 1747. Ce document inestimable montre par le dessin une parcelle de terrain très étroite, irrégulière, de cinq à quinze mètres de largeur qui allait de la rigole directement jusqu'au Sor; elle rejoignait la rigole dans la courbe déjà citée juste en face le batardeau; à son débouché sur le Sor, on ne distingue aucune trace de gué dans le ruisseau; sur le cadastre, on peut lire "hieys (sortie) du chemin venant des prés"; on peut penser que cette parcelle était un chemin-ruisseau, souvent présent dans la campagne autrefois, qui servait d'exutoire aux crues d'orage du ruisseau de la Garrigole. Entre le hameau d'en Taillade et le Sor, sur une centaine de mètres, cette parcelle n'a pas été comblée; son encaissement dépassait un mètre de profondeur; elle fut utilisée comme chemin (c'est ce qui est marqué sur le cadastre); elle coupait perpendiculairement le chemin de Soréze à Vauré qui suivait le Sor à partir du Pont-Crouzet. Cette hypothèse de dérivation du ruisseau de la Garrigole est renforcée par les vestiges d'un profond fossé aboutissant à la rigole sur sa rive gauche juste en face le batardeau; faute de document, on ne peut affirmer que les consuls de Revel avaient résolu le problème de l'écrêtement des crues; comme nous allons le voir, Riquet y parvint par sa volonté de détourner autant que possible l'eau vers son canal. (Voir à ce sujet la note ci-dessous).

 

Note

 

 Tout récemment, un particulier vient de creuser une fouille destinée à un petit ouvrage dans le champ, à l'endroit où passait à quelques mètres près, l'hieis ou chemin signalé dans le plan cadastral du 18" siècle de Soréze. A 1,20 m de profondeur, la fouille a montré une nappe de galets de gneiss et de schistes roulés qui n'est autre qu'un vestige d'un ancien lit du Sor; la faible épaisseur de terre entre le niveau du sol et la nappe laisse penser que l'écoulement des ruisseaux a pu se modifier au cours d'une période relativement récente.

 

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LA DEUXIÈME PÉRIODE (de 1670 à 1947)

 

Au 17e siècle, la propriété des eaux alimentant Revel changea de mains. Après avoir introduit les eaux de la montagne dans la vallée du Sor, Riquet les reprit au Pont-Crouzet pour les diriger vers Naurouze. Il utilisa la rigole des consuls; il la fit élargir "d'un jet de pelle"; il releva le niveau à l'approche de Revel pour obtenir la hauteur de chute nécessaire et convenable à l'édification du moulin que l'on appela le Moulin du Roi; il réalisa le Port-Louis à l'aval du moulin et fit creuser la rigole de la plaine à partir de là, en direction de Naurouze. Le détournement des eaux vers le Canal fut pour la communauté de Revel une mesure sans appel.

 

prise d'eau

moulin du roi

 

LE "MOULIN DU ROY"

Prise d’eau de la ville de Revel sur la rive droite de la rigole à Port Louis, dite « fontaine de Revel ». Les dimensions de cette prise furent arrêtées à huit pouces au carré (environ 22 x 22 cm, soit 5 dm3

 

 

D'après la rumeur publique, tardive mais agitée au cours des périodes de disette, ce fut une ruine pour la ville. Pourtant jusqu'à la fin du 18e siècle, on relève peu de critiques dans les documents d'archives. Il en sera tout autrement plus tard avec l'augmentation de la demande de la part des particuliers, mais aussi des industriels et des agriculteurs; la colère grandit alors chez les habitants de la ville et de la campagne.

 

Les Revélois furent-ils spoliés ? On ne peut rien affirmer tant ont évolué les chiffres qui traduisent la consommation de l'eau et les habitudes de la société urbaine à cet égard; autrefois, on s'approvisionnait à la fontaine et l'on prenait moins de dix litres par jour et par habitant, alors que la consommation moyenne actuelle est de cent cinquante litres; autre changement : les fontaines coulaient nuit et jour; dans une optique moderne, cette eau était perdue; mais avait-on les moyens de la stocker ?

Rendons-nous à "la fontaine de Revel"; ainsi fut appelée la prise d'eau destinée à alimenter Revel à partir de la rigole. Cette prise n'a jamais été déplacée bien que de nombreux travaux et modifications aient été apportés dans ce secteur du Moulin du Roi; elle est située sur la paroi du mur de la rigole entre le Moulin du Roi et Port-Louis; elle est totalement indépendante du fonctionnement de ces ouvrages; les dimensions de cette prise furent arrêtées à huit pouces au carré; le pouce-du-roi est le 1/72 de la toise, soit pour la prise 21,6cm de côté.

 

 

 

Pour une charge constante, délimitée par une petite chaussée, son débit était d'environ 30 litres/seconde, soit 2500 m3 par jour. À cette époque, la mesure des débits manquait de précision; il y avait à peine une trentaine d`années que le célèbre mathématicien, astronome et physicien Galilée avait publié ses travaux sur la chute des corps et sa relation sur la charge d'eau pour la détermination du débit des orifices circulaires.

Jusque là, seuls les Grecs avaient eu une certaine connaissance d'une mesure des débits à partir d'un instrument appelé lulè, sorte de tuyau de onze lignes de diamètre relié à un réservoir appelé maçour.

 

Le débit d'eau affecté à la ville de Revel fut déterminé plutôt d'une manière empirique. Cette imprécision fut compensée par un arrangement émanant d'une convention verbale établie par Riquet, convention qui permettait de petits déversements quand les besoins étaient trop importants, à partir des vannes de Port-Louis. Au 18e siècle, cette convention avait pris une forme institutionnelle; s'adressant au directeur du Canal, le premier consul de Gouttes demande : "Veuillez bien vouloir faire ouvrir l'écluse (la vanne de Port-Louis) selon les arrangements verbaux, émanant de la convention établie par M. de Riquet".

Les pénuries d'eau, les changements de directeurs ont souvent remis en question ces arrangements verbaux et réveillé chaque fois l'accusation faite à Riquet d'avoir ruiné Revel en détournant l'eau vers le Canal.

Nombreux sont ceux qui se trompent d'époque. La rigole des consuls, il est vrai, pouvait d'après ses dimensions fournies par Andréossy véhiculer près d'un mètre cube/seconde, soit mille litres; réduire ce débit à 30 litres/seconde est une mesure pénalisante à l'extrême; on devrait arrêter là la critique, car ces données ne sont qu'apparentes; les références ne peuvent s'appuyer sur les dimensions d'une rigole et nous n'avons aucun document concernant cette alimentation, sinon la certitude qu'il y avait des difficultés.

Au cours de l'étiage, le débit du Sor s'abaisse à moins de 100 litres/seconde pendant une période allant d'un à dix jours. Pendant une période beaucoup plus longue, le débit est compris entre 100 et 300 litres/seconde.

 Cette période d'étiage était à l'époque aggravée par l'usage coutumier pratiqué par les meuniers. C'était par le réglage des vannes (l'état et les dimensions de celles-ci variait) que l'usage coutumier s'appliquait; enfreindre les règles en amont, au cours des disettes, aggrave progressivement la pénurie vers l'aval; les Revélois des 15e et 16e siècles connurent les inconvénients de cette situation.

Après l'intervention de Riquet, l'alimentation de Revel fut régularisée par un volume d'eau plus important transitant par la rigole. Il faut ajouter à cela que la ville de Revel n'était pas épargnée par les difficultés financières que connaissaient les communes de l'Ancien Régime; les documents attestent souvent d'une situation préoccupante.

Jusqu'au 19e siècle, la fonction de fontainier est plus que précaire, sinon inexistante d'un point de vue strictement professionnel; la charge est attribuée à un entrepreneur moyennant arrangements. Céder la gestion de la rigole des consuls à Riquet fut sans aucun doute une bonne opération; on sait que Riquet avait investi tous les rouages de l'économie de Revel en achetant les fermes sur les droits de fonds; (après la Révolution, l'épouse du comte de Caraman percevra encore les rentes de ces droits, acquis par le glorieux Riquet); ces droits venaient des fours banaux, des boucheries, des poids et mesurages des grains et de l'huile de table, des cuisines des casernes. Riquet ne pouvait sacrifier tous les intérêts qu'il retirait de Revel au moment du détournement de l'eau vers le Canal.

 

Une gestion compliquEe

 

Les canalisations : L'entretien du réseau a presque toujours fait l'objet d'un bail à ferme. En 1732, Bertrand Desplas, tuilier à Revel, offre à

la Communauté de prendre en charge l'entretien du chemin dans la partie comprise entre le padouvenc de Soréze et la porte de Soréze; dans cette charge sera compris l'entretien de la conduite d'eau.

 Desplas demande en échange deux coupades de terre (environ 1500 mètres carrés) au padouvenc de Soréze pour établir une tuilerie. Après délibération, accord lui est donné par le premier consul Pébernat.

 

Les ruisseaux et les mayrals : Autrement important était l'entretien de la rue du Ruisseau, que nous appelons rue du Temple; cette large artère traversant la ville d'est en ouest était divisée tout au long de son axe par une tranchée, dite le Ruisseau, sorte de petite rigole sur les bords de laquelle s'étaient installés divers ateliers ou baraquements dépendant des manufactures existant de part et d'autre de cette voie : curateries (corroyage du cuir), affacheries (tanneries) et teintureries; ces baraques de bois et ateliers en dur faisaient garlandes (galeries) afin de ne pas entraver la circulation piétonne; l'eau arrivait en abondance dans cette artère depuis la porte de Soréze à la hauteur du four de l'Aïga (actuellement, la maison portant le n° 1, objet d'une complète réfection en vue de l'agrandissement du Conservatoire du bois) par un canal souterrain au plafond en voûte et au plancher dallé (le sotoul); ce canal se terminait au carrefour de la rue du Taur où commençait le Ruisseau.

 

En 1744, la Communauté (la municipalité) avait fait ouvrir la voûte de la partie souterraine et curer le sotoul ; on retira une telle épaisseur de limon que le sotoul se trouva plus bas que le fond du Ruisseau, tant ce dernier était rempli de vase et encombré de ruines (matériaux de démolition abandonnés par les riverains) et autres objets divers ... une vraie décharge publique !

 

Le consuls et les conseillers, lors de la réunion du 11 septembre, demandèrent qu'il soit pris une ordonnance par le procureur de l'hôtel de ville, chef du bureau de Police, ordonnance nécessaire aux consuls pour agir selon les vœux du Conseil et qui fut prise aussitôt, à savoir :

"chaque aboutissant (riverain) est obligé 1) de récurer et approfondir à ses frais et dépens le ruisseau jusqu'au niveau du sotoul de la voûte, chacun pour la partie située vis-à-vis de sa propriété, 2) et, pour éviter que des ruines ne se jettent dans le ruisseau, d'y construire un parepet de quatre pans d'hauteur (90 centimètres) avec muraille à chaux et sable; 3) des couvertes (des dalles) seront placées sur les parepets pour éviter que la mauvaise odeur n'occasionne des maladies épidémiques."

 

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Le « Riou Mairal » près de son départ dans la rue des Escoussières

 

 

La même ordonnance imposait le curage du mayral inférieur (qui courait, rappelons-le, de la fabrique Get jusqu'au Paty) "lui aussi comblé d'immondices",

... "à peine de vingt-cinq livres d'amende contre chacun des refusants, applicable (c'est­à-dire au profit de ) moitié aux Pauvres (il s'agit du Bureau de Charité) et l'autre moitié à la Fabrique de la paroisse."

Quatre conseillers furent désignés pour veiller à la bonne exécution des travaux : les sieurs Loiseau et Filhol pour le mayral inférieur et les sieurs de Rieumouré et Jean Roquefort pour la rue du Ruisseau. Le sieur Jean Dumas, ancien capitaine, se refusa à faire les travaux qui lui incombaient; le sieur Molles de Puiredon, avocat et substitut du procureur de police, le contraignit à payer le salaire des ouvriers.

La grande fontaine : Cette importante ordonnance de voirie municipale réglemente aussi l'usage et l'entretien de la grande fontaine située au découvert de la place en face de la maison, actuellement propriété de maître Trouche, notaire.

"... Et pour ce qui regarde la propreté et maintien de la grande fontaine, qu'il soit loisible à tous les habitants de pouvoir laver le blé auprès de ladite fontaine, en faisant de façon que la fontaine ne sera souillée par aucune comporte ni chauderon, mais bien avec des seaux et des bassines propres.

"Il sera loisible encore à tous les habitants de prendre l'eau qui sort des tuyaux sur les servantes de la fontaine avec tous les vases de terre, cuivre et bois qu'ils voudront se servir en observant qu'ils soient toujours propres, & qu'il soit fait défenses à toutes personnes de laver tant dans le bassin qu'au bord d'iceluy aucun lynge, étoffe, herbes ni rien en un mot qui puisse altérer la propreté de ladite fontaine à peine de cinq livres d'amende".

Le service contre les incendies : Parmi les préoccupations principales venait d'abord la disponibilité de l'eau, afin de limiter les risques d'incendie.

La population prenait peur chaque fois qu'il y avait un appel au feu. En 1754, Tailhade, lieutenant de maire et premier consul, déclare :"Sans l'eau qui arrivait par un aqueduc durant l'incendie de la maison du sieur Dumas, rue Notre-Dame, la nuit dernière, toute la ville était menacée". Tailhade ajoute : "Il y a des particuliers qui ont construit des fours; ces derniers sont appuyés contre les murs en bois des maisons; les boulangers déposent le bois près des fours; les gens du bas peuple font du feu dans les chambres dans lesquelles il n'y a pas de cheminée; les particuliers ne ramonent pas les cheminées". Les propos de Tailhade eurent une suite; Dirat, premier consul, dicta les mesures qui s'imposaient :"Aucun chaufournier (celui qui possède un four à chaux ; on ne stockait pas

pas la chaux vive; elle était préparée à la demande) n'aura dorénavant aucune gerbière considérable à portée de son four, mais encore de la ville; et pour cet effet, il sera fait défense de ne plus à l'avenir construire aucune gerbière de fagots de bois de plus de douze à quinze pans d'élévation (2,70m à 3,40m), et que, en outre, elles seront construites à l'endroit qui sera désigné".

 

Des projets

 

En 1746, la ville change de fontainier; c'est Pierre Daydé, entrepreneur, qui prend l'entretien de la conduite d'eau des fontaines. Un an après, les habitants se plaignent qu'ils sont obligés d'aller prendre l'eau à la rigole "à cause que des tuyaux sont rompus".

 L'un d'eux émet l'idée d'augmenter le nombre des fontaines dans la ville et de réaliser une nouvelle conduite en poterie, à partir de la Fontaine de Revel (la prise d'eau sur la rigole); près de trente années seront nécessaires pour aboutir. Mais nous n'avons aucun document sur l'existence de la première canalisation.

 

Les travaux des années 1763-1765

 

En 1763, le premier consul Puiredon présente au cours d'une délibération un devis estimatif des travaux dont le montant total est de 5000 livres; les représentants du syndic du consulat approuvent le devis, mais la suite des événements se complique à l'extrême par le changement des élus. Devals fut élu à la place de Puiredon; ce changement entraîna aussi celui du secrétaire de la maison de ville (l'hôtel de ville); des insuffisances et des contradictions notoires apparaissent dans les comptes rendus des délibérations du conseil de la communauté; la confusion et l'erreur semblent venir d'une mauvaise interprétation des devis et d'erreurs de nivellement.

Certains moments des délibérations nous mettent dans l'ambiance municipale de l'époque. Un regrettable vide nous prive de l'essentiel : quel était le détail des travaux envisagés ? Aucune liste ne figure sur les registres d'archives, si tant est qu'il en existât une.

Le 25 mars 1763, Puiredon avait lancé l'appel d'offre des travaux envisagés.

"L'adjudication se déroula en présence du bailliste, le sieur Barthélemy, maître maçon de Dourgne; ce dernier proposa de réaliser les travaux pour la somme de 5500 livres; on fit savoir à son de trompette que l'offre de Barthélemy était de 5500 livres avec les charges; comme personne ne comparut pour moins dire, une autre bougie fut allumée, la trompette retentit plusieurs fois;

 

Germain Milhau proposa 5300 livres aux mêmes causes et charges précédentes. Jean Falcou, ménager au consulat de Castelnaudary se porta caution pour Germain Milhau et Pierre Maurel, tailleur de pierre; Blanc, entrepreneur à Soréze proposa 4900 livres; on lui réclama une caution à déposer un jour fixé; il ne se présenta pas; il fut condamné pour responsable de folle enchère. Quelque temps après, Blanc déclara qu'il était absent de Revel le jour du dépôt de la caution, mais qu'il était prêt à signer et qu'il pouvait baisser le prix à 4750 livres".

On confia les travaux à Blanc, mais le marché fut modifié et le rocambolesque continue avec le consul Mellis fils chargé de réceptionner la première tranche des travaux (il était d'usage que l'entrepreneur reçût alors la moitié du montant du devis).

En séance du Conseil, Mellis tente d'expliquer "ce nouveau devis du tracé; il s'est trouvé qu'on était obligé d'emprunter dans ce champ-là deux pieds de pente de plus qu'il était porté dans l'ancien devis de sorte que pour réparer ces deux pieds de pente réelle, il est de dernière nécessité, pour conserver le dégorgeoir qui doit être placé d'environ quinze toises de la porte de Soréze comme il est dit dans l'ancien devis, d'emprunter douze pouces de pente dans le champ de Paquet et aussi de la veuve Fabre ;... ; des longueurs de canalisation sont terminées dans les champs de Chazottes, Durand et Barthes; il est estimé qu'il y a déjà la moitié des ouvrages de fait ; ... ; les avons examiné de plus près ; ... ; les ouvrages de pierre de Pezens et d'autres matériaux destinés aux fontaines sont arrivés dans notre ville".

Mellis nous renseigne sur beaucoup de choses : le dégorgeoir qui doit être placé à une quinzaine de toises (trente mètres environ) de la porte de Soréze n'est autre que le lieu de répartition de l'eau situé près de l'ancienne école de garçons (actuellement, la perception) que l'on appelle aujourd'hui l'eau vieille. On créa là un bassin de répartition destiné à alimenter les divers quartiers de la ville. Il nous apprend aussi que la carrière de Pézens a fourni la pierre pour réaliser les fontaines. Un siècle après Riquet, la renommée de la carrière de Pézens se maintenait à Revel. C'est là que Riquet s'était fourni, en particulier à Villesèque.

fontaine temple
fontaine soeur
fontaine soeur1
FONTAINE A L'ANGLE DE LA RUE DU TEMPLE    Fontaine de la rue des Sœurs  

 

Voici maintenant la transcription de la délibération du Conseil présidé par Devals le 10 septembre 1765 :"de plus a été proposé qu'en conséquence de la délibération de l'assemblée du 23 octobre qui renvoyée à la première assemblée pour être délibéré si on faira les aqueducs des fontaines sur le pont qui doit être jeté au padouvenc sera fait en pierre de Pézens ou s'il subsistera en briques comme il avait été résolu par la délibération du (en blanc) ou si aux fontaines il sera fait de pierre de Pézens ainsi

que l'auge du dégorgeoir relativement au projet du 23 octobre". Ceci est un rappel des faits; voici la décision : "délibéré d'une voix unanime que l'aqueduc qui traversera le pont qui doit être jeté sur le passelis sera en pierre de Pézens ainsi que l'auge du dégorgeoir relativement au renvoyé de la délibération du 23 octobre. En outre que le nouveau aqueduc de pierre de taille de Pézens qui sera pratiqué sur le pont qui doit porter l'aqueduc à la porte de Soréze sera de trois toises de longueur environ, lequel à cet effet les entrepreneurs seront indemnisés à dire d'expert, sur ce point nous prions d'accepter la présente délibération". Quel est donc le pont qui doit être jeté au padouvenc de Soréze sur le passelis ?

 

Dans le désordre de ces déclarations, des décisions sont prises : l'aqueduc sera en pierre de Pézens et non en briques, ce qui fait penser qu'il fut posé sur un pont situé à proximité de la porte de Soréze et non sur le pont des vannes de Port-Louis; le passelis de ces vannes reçut probablement dès la construction de Port-Louis l'aqueduc monolithique en granit, bloc de pierre de près de trois tonnes dans lequel on creusa une petite rigole de 24 centimètres de profondeur sur 28 de large; il fut déposé près du pertuis et remplacé par un tuyau en fonte vers 1843. A notre demande, il fut sauvegardé dernièrement avec le concours de la municipalité; il est exposé au rond-point de la route de Soréze.

 

calibreur

pierre de calibrage

 

Pierre taillée pour calibrer l’eau donnée à Revel

 

Cette pièce fut l'objet d'une surveillance constante de la part des Revélois; pleine à ras bord, la rigole permettait l'écoulement du débit de la prise de huit pouces au carré; c'était une mesure infaillible; le débordement de la rigole faisait que l'eau était perdue en tombant dans le pertuis; d'un autre côté, elle devait couler à ras bord pour respecter la mesure attribuée par Riquet. Dans son rapport de tournée, le garde de la rigole logé au poste de la Badorque apprécie la commodité de cette installation.

 

On relève dans la délibération du dix septembre 1765 transcrite ci-dessus des passages intéressants; mais des doutes subsistent : la longueur de l'aqueduc, trois toises environ, soit six mètres, est une longueur importante; était-ce un pont posé sur le fossé de défense ?

 

Comment la REpublique faillit priver Revel de son eau

 

Ces installations terminées, l'alimentation de Revel était améliorée, mais personne ne se doutait que c'était l'eau qui allait être visée. Par qui? Pourquoi? L'arrêté départemental du 21 floréal an III (10 mai 1795) ordonna de réduire la prise d'eau de la ville à deux pouces au carré.

Que s'était-il passé? Le Canal du Midi venait d'être confisqué à la famille Riquet, émigrée, et déclaré bien national. Un relâchement dans la gestion de l'alimentation du Canal laissait apparaître un déficit en eau qu'il fallait vite combler. Le CONSEIL_MUNICIPAL de Revel s'opposa à cette réduction par la voix de son maire, le citoyen Mélier (ci-devant de Labarthe) :
    "... considérant que lors de la faction du Canal, la ville de Revel fit à la chose publique tout le sacrifice qu'elle était en droit d'exiger puisqu'alors elle se dépouilla de la propriété de la rivière du Sor qu'elle avait acquise de la commune de Soréze, transaction que l'on peut produire. La commune ne se réserva de toute cette eau que la quantité nécessaire pour abreuver les fontaines...

"... considérant que la prise d'eau pour les fontaines a été toujours depuis la création du Canal de la même ouverture qu'elle est aujourd'hui, et que toujours elle a été respectée, même par la jouissance ambitieuse des anciens propriétaires ...

"... considérant que cette prise a été réparée et remise à son état primitif en 1788 sous les yeux de M. Pin qui en instruisit et dirigea les dimensions .. ."(Gilles Pin père fut directeurgénéral du Canal de 1774 à 1802).

Un sursis fut réclamé pour l'exécution de l'arrêté afin de faire valoir les droits de la commune. L'affaire fut réglée à l'amiable; le ton du courrier changea :" ... les besoins de la navigation du Canal exigent que la ville soit privée de ses droits pour quelques jours". La municipalité fut d'accord, tout en précisant :"La commune de Revel espère que dorénavant le département ne confondra point un sacrifice volontaire avec une expropriation".

 

La gestion de l'eau au XIXème siEcle

 

Dès le début du siècle apparaissent les premières tentatives en vue de faire payer au consommateur la distribution de l'eau; en 1806, le représentant du Conseil départemental écrit au maire de Revel :"Vous ne devez point négliger qu'il existe beaucoup de propriétaires qui ont ouvert les routes publiques pour introduire vos eaux dans leur propriété, qu'ils utilisent d'une manière bien avantageuse. Si ces eaux augmentent leur fortune, elles doivent nécessairement augmenter vos ressources. Je pense donc que vous devez m'autoriser à faire le recensement de tous ceux qui ont pratiqué de pareilles œuvres et les assujettir à une redevance quelconque. Cette redevance deviendra pour eux un titre de propriété qui ne pourra pas leur être contesté".

Il était difficile de mettre en application cette idée pertinente; la suite le démontre :"II fut pratiqué la division des eaux dans deux lits différents, l'un appelé le Farel, l'autre la Guirguille, que le premier servait à pourvoir la partie nord et le second de différents abreuvoirs ... compte tenu aussi que l'eau a été conduite dans la rue de Castres par la générosité des gens qui habitent cette rue".

 

À la Révolution, la gestion de l'eau s'était compliquée davantage. Les associés Bermond Lacombe, qui détenaient la Teinturerie en rouge au padouvenc de Soréze, avaient obtenu la concession à perpétuité de cette gestion le 9 brumaire an 5 (30 octobre 1796) en conformité avec la loi du 3 floréal précédent (22 avril); le contrat stipulait " ... à charge pour eux d'entretenir les fontaines construites et celles qui pourront être construites à l'avenir de manière qu'elles coulent tous les jours à pleins tuyaux ... L'autorité existante pourra faire faire des réparations aux frais des entrepreneurs dans le cas où ces derniers failliraient à leur engagement; l'eau est la propriété de la ville; aucun détournement ne sera toléré sauf s'il est fait dans l'intérêt de la ville".

 

 Le dénommé David François Fauré était subrogé aux droits et charges de cette société ; il prit peur et proposa de payer à la commune la somme de quatre mille francs afin d'être dispensé d'entretenir les fontaines; la municipalité accepta et la dispense fut enregistrée par Me Jean François Marie Durand, notaire rue de Castres. Les Bermond Lacombe furent sommés de déguerpir avec obligation de démolir les bâtiments.

 

Après la réparation en 1839 des réservoirs ou abreuvoirs, leurs canaux de fuite, dits aussi mayrals, furent recouverts de grosses dalles, pour le premier de la porte de Castres à la porte Saint-Antoine, pour le deuxième depuis l'escoussière (aujourd'hui disparu) de la porte Notre­Dame jusqu'en un point non précisé, sans doute à la pointe de l'actuelle propriété Fauré(fleuristes-pépiniéristes).

 

 Ces couvertures furent réalisées avec de grandes dalles prises dans la carrière de la Garrigole; depuis ce hameau, le chemin de la carrière empruntait le lit du ruisseau.

 

En 1841, la municipalité adopta à l'unanimité l'utilisation des tuyaux de fonte à la place des tuyaux de poterie, sur les conseils prodigués par Barthes, architecte de la ville de Castres.

 

Et c'est en 1845 que la canalisation en poterie réalisée autrefois pendant les magistratures de Puiredon et de Devals fut remplacée par une canalisation en fonte depuis la prise d'eau au Port-Louis jusqu'à la future école de garçons (aujourd'hui, la perception); c'est probablement au cours de ces travaux que l'aqueduc en pierre du passelis du Port-Louis fut remplacé.

 

Une eau douteuse

 

En 1841, il avait été également décidé de faire un réservoir de décantation; le projet aboutit en la construction d'un modeste bâtiment portant la date 1846, dont le fonctionnement paraît aussi astucieux qu'efficace, il est situé au bord du chemin qui mène au camping municipal, sur la gauche.reservoirL'idée d'améliorer la qualité de l'eau n'était pas nouvelle; en 1832, il avait été évoqué le vœu de construire un réservoir à la porte de Soréze ainsi que la création d'un filtre "qui procurerait de l'eau salubre et limpide et qui nous délivrerait à jamais des causes de maladies fiévreuses que nous avons à déplorer". Le danger microbien était encore mal perçu.

En 1866, un vaste projet d'irrigation fut lancé dans le département du Tarn, et nous le citons parce que Revel y fut intéressé. Un canal devait être creusé à partir du Thoré au lieudit Montségou pour irriguer une vingtaine de communes dont Revel et Saint-Félix-Lauragais afin de recréer des prairies naturelles. Revel adhéra au projet après avoir fait cinq réserves à savoir :

 

Ce premier décanteur doublé d’un filtrage simple, était destiné à faire des chasses répétées (par la vanne purge) des matières en suspension contenues dans l’eau.

 Le repos de l’eau s’avéra insuffisant ; l’idée de construite deux grands réservoirs allait aboutir quarante années plus tard.

 

- que le canal passe au nord de la ville

- que la commune ne supporte pas de charges supplémentaires

- qu'aucun emprunt ne soit fait sans l'assurance que les ouvrages soient solides et durables

- que la commune soit de tout repos sur la rentrée des redevances avant de contracter aucun emprunt

- enfin que la Compagnie n'apporte aucun trouble dans la jouissance de l'eau que la commune possède actuellement.

Ce projet ne fut jamais réalisé.

 

La rEglementation des concessions d'eau

 

La tentative de faire payer la distribution de l'eau aux consommateurs, envisagée en 1806 prit une forme plus concrète par l'application des règlements élaborés à cet effet. Dans la séance du 23 août 1874, la municipalité adopta le régime des contrats (le fonctionnement des compteurs était douteux); le projet fut ratifié par le préfet le 23 septembre suivant. La complexité de ces contrats peut rebuter le lecteur; les textes sont cependant reproduits ici dans leur intégralité; le maire, Jean Get, déclara :

 

"Les 30 litres par seconde excèdent la quantité qui est nécessaire au service public. Sur "les 2592 mètre cubes par 24 heures [dont la ville peut disposer] 1200 seront réservés pour le "service public, soit 777 mètre cubes pour 18 bornes-fontaines donnant chacune un demi-litre "par seconde et 423 mètre cubes pour la fontaine monumentale et les bouches d'arrosage et "d'incendie; les 1392 mètres cubes restant disponibles seront attribués au service public 1°) "pour l'usage domestique, 2°) pour les établissements industriels, 3°) pour l'arrosage des "jardins d'agrément."

 

REglement sur les concessions d'eau (aoUt 1874)

 

Mode de dElivrance : l'eau peut Etre dElivrEe

 

1°) par un robinet de jauge débitant par jour une quantité déterminée,

2°) par un robinet à large débit dans un récipient jaugé, rempli tous les jours par un agent de l'administration,

3°) par un robinet libre sous la condition que la cuvette placée sous le robinet pour recevoir les gouttes perdues sera placée au fond ou par côté d'un orifice ayant un centimètre de diamètre, destiné à servir d'écoulement aux pertes du robinet, et non point à son débit continu. La cuvette ne pourra être placée sur un évier de façon à ce que son débordement soit sans inconvénient pour le concessionnaire; mais son orifice de sortie pourra par un tuyau se dégorger, soit dans l'évier, soit dans un aqueduc quelconque : ce mode de délivrance, le plus commode et le plus libéral que l'abonné puisse choisir, exige ces conditions pour que l'administration soit certaine que l'abonné peut user largement, sans abuser de l'eau:

4°) au compteur, si le concessionnaire présente un appareil que l'administration puisse accepter, et sous la condition que le minimum de la consommation journalière sera au moins d'un mètre cube;

5°) par appréciation de jaugeage.

Ces deux derniers modes de délivrance permettent à l'abonné d'employer son eau à tel usage qu'il lui plaira : usages domestiques, bains, arrosages I sans que l'administration ait à s'en occuper.

 

CoUt des concessions (usage domestique) :

 

1°) la plus petite concession délivrée par un robinet de jauge est de 300 litres par jour; le

prix de chaque concession est de 20 francs par an:       chaque hectolitre en plus, 5 francs 2°) pour un robinet contrôle par un agent (300 litres par jour), 30 francs par an;

chaque hectolitre en plus, 7 francs

3°) pour un robinet libre dans les conditions spécifiées dans le 3e mode de délivrance :

1 robinet; par an, le robinet 20 francs

2 robinets: par an, le robinet 15 francs

3 robinets; par an, le robinet 12 francs

Robinets dits d e / a v a b o dépensant 100 litres par 24 heures :

1 robinet; par an, le robinet 6 francs

2 robinets: par an, le robinet 5 francs

3 robinets; par an, le robinet 4 francs

Prise ainsi, l'eau ne peut être employée qu'aux usages domestiques; il est expressément

interdit de l'employer à l'arrosage des jardins; du reste, tous ces robinets ne peuvent être

posés que dans l'intérieur des maisons.

 

Etablissements industriels :

 

 sont ainsi désignés les cafés, hôtels, restaurants, auberges, loueurs de chevaux, chemins de fer et les établissements de l'industrie proprement dite.

 

Eau dElivrEe par un robinet de jauge dans un rEcipient de l'abonnE :

 

1 mètre cube par jour: abonnement, par an pour un mètre cube journalier, 35 francs

2 m' par jour: abonnement, par an pour un mètre cube journalier, 30 francs

3 à 5 m3 par jour; abonnement, par an pour un mètre cube journalier, 25 francs

5 à 10 m'par jour; abonnement, par an pour un mètre cube journalier, 20 francs

 

Eau dElivrEe au robinet libre :

 

 l'importance de la consommation journalière sera établie devant le maire par l'abonné: le chef de service des eaux sera consulté; le maire fixera la quotité de cette consommation; le mètre cube étant l'unité, le prix sera fixé comme ci-dessus.

Arrosage des jardins d'agrément :('eau sera délivrée par un robinet pouvant débiter en 24 heures la quantité d'eau concédée, chaque fois que cette eau sera destinée aux jets d'eau de luxe ou à l'arrosage des jardins. Cette eau sera versée dans un récipient construit par les soins et aux frais du concessionnaire et servira ensuite à l'arrosage ou à tout autre usage que l'abonné voudra bien lui donner

1 m' par jour; abonnement, par an pour un mètre cube journalier, 30 francs 2 m3 par jour: abonnement, par an pour un mètre cube journalier,  25 francs

3 m' par jour; abonnement, par an pour un mètre cube journalier, 30 francs Les abonnés qui voudront avoir des robinets libres pour l'usage domestique dans les maisons paieront par an : le robinet 12 francs.

 

Prise d'eau sur les conduites publiques :

 

 les travaux de branchement des concessionnaires privés sur la conduite publique seront exécutés aux frais du concessionnaire (sous la surveillance des agents du service des eaux) par l'entrepreneur de l'entretien des conduites de la ville, au prix de son adjudication.

(Les travaux de lavage des trottoirs seront à la charge des concessionnaires.)

Chaque branchement sur la conduite publique portera, à son extrémité vers la maison, un robinet d'arrêt sous bouche à clef ; un deuxième robinet sera placé à l'intérieur de la maison; il servira à l'abonné pour arrêter l'eau si la conduite nécessite réparation dans la maison; à ce dernier robinet s'arrêtera la partie canalisation qu'obligatoirement les concessionnaires devront confier et payer à l'adjudicataire les travaux de mise en place et d'entretien.

Le mémoire présenté par chaque concessionnaire devra être approuvé par le chef du service des eaux. Les abonnements seront établis pour une durée de quatre ans minimum; le montant est payable par semestre et d'avance.

 

Suivaient les conditions générales que nous ne reproduisons pas ici; elles comportaient treize articles, les derniers concernant droits, interdits et obligations.

L'arrêt de concession comportait six articles; il était complété par un manuscrit-type destiné à établir la demande de prise d'eau.

Le jaugeage des fontaines : Pour connaître la déperdition des fontaines et envisager éventuellement des réparations, la municipalité demanda un jaugeage de toutes les fontaines; ce jaugeage fut réalisé en janvier 1879 par Cany, chef de section au Service du Canal du Midi; grâce à ce travail, nous connaissons l'emplacement et le débit des fontaines à cette époque.

Au départ du château d'eau, le débit est de 61,538 litres par seconde; celui-ci alimente vingt-six fontaines :

 

fontaine tableau

 

Il y a au total vingt-quatre jets ou prises contrôlés; il en manquerait donc deux.

 

 Une eau toujours plus douteuse

 

Sous la pression préoccupante de l'état sanitaire de l'eau, une commission fut créée avec à sa tête le docteur Fabre comme président. Trois années d'études furent nécessaires pour décider quelle serait la solution à adopter. L'ingénieur Aulmière de Castres prépara un projet présenté par le docteur Fabre que la municipalité adopta en totalité dans sa séance du 5 juillet 1881, et qui aboutit à la réalisation de deux réservoirs de décantation situés près du Port-Louis entre la route de Soréze et l'avenue Roquefort. Cet ensemble monumental que les Revélois appelèrent Château d'eau, possède une seule façade apparente au sud-est de style classique (la balustrade a disparu) montrant de la part de la municipalité une certaine recherche esthétique; afin de protéger l'eau des variations climatiques, l'ensemble fut recouvert de terre.

 

moulin 

Le double réservoir de stockage et de repos de l’eau construit en 1880

 

 

Le projet comprenait en outre la création d'une canalisation en fonte à partir des réservoirs jusqu'au lieu de répartition de l'ancienne école de garçons. Le tracé de cette canalisation traverse les terrains situés entre la route de Soréze et l'avenue Monoury; elle vint doubler celle réalisée vers 1765 (projet Puiredon-Devals).

Il faut signaler en passant une troisième canalisation indépendante longeant la route de Soréze ; elle part d'une prise d'eau qui fut attribuée par l'administration du Canal du Midi à la Compagnie des Chemins de fer du Midi pour remplir le disgracieux réservoir, heureusement disparu, alimentant les tenders des locomotives à vapeur en gare de Revel.

Pour financer ces travaux, bassins et conduites, la commune de Revel consentit un emprunt de 80 000 francs au Crédit foncier, amortissable sur cinquante ans, de 1891 à 1941.

 

reservoir1
voutes reservoir

 

 

Après les observations présentées par le ministre, la municipalité consentit à réduire la durée de l'amortissement à vingt et un ans en votant une imposition extraordinaire sur quatre chapitres du budget du 1'janvier 1891 au 31 novembre 1915.

Le 16 novembre 1882, alors que les démarches nécessaires à la réalisation du marché traînaient, le maire Sarrat demanda au préfet de la Haute-Garonne de bien vouloir presser : "Par tous les moyens en votre pouvoir, veuillez approuver ce projet ... " On peut comprendre l'insistance de Sarrat quand on connaît la suite; le 3 mars 1884, il se plaint auprès du sous ­préfet à Villefranche : "J'ai l'honneur de vous informer que l'établissement d'une usine de défilochage à Durfort, sur le cours d'eau qui alimente les fontaines de la ville, inspire des craintes sérieuses à la population pour la salubrité de nos eaux...

 

À certaines heures, le ruisseau se couvre de détritus noirâtres sans qu'il puisse être pris aucune mesure utile pour empêcher ces matières suspectes de s'introduire dans la conduite d'eau des fontaines". Pour limiter les nuisances, des travaux furent imposés par le Conseil d'hygiène du Tarn à cet industriel peu soucieux de respecter la qualité de l'eau; ce dernier se fit prier; la situation ne changea guère.

Consommée directement, l'eau du Sor devint de plus en plus douteuse. Comme partout, l'industrialisation porta des nuisances; elles s'ajoutèrent à d'autres, ancestrales, non moins condamnables : combien de chatons et de chiots finissaient leur jeune vie dans les ruisseaux au fond d'un sac lesté d'une pierre. Les cas de fièvre typhoïde devinrent fréquents. Des recherches approfondies montreraient que la population de Revel fut éprouvée; le bacille tuait; aussi plusieurs médecins participèrent à la gestion de la commune pour soutenir le dossier de l'amélioration de la qualité de l'eau.

À la fin du 19e siècle, la situation économique changé; Revel manquait d'eau; un retour dans le passé en explique les causes; le développement industriel aux 15e et 16e siècles fut soumis à des besoins nouveaux, énergie et transport, que seul, l'élément eau pouvait fournir; or le débit du Sor ne permit pas d'assurer ces exigences; Revel fut privé de l'énergie hydraulique.

 

Au cours de la deuxième période, la seule hauteur de chute disponible moderne, réalisée par Riquet au Moulin du Roi fut exploitée par la meunerie, et, sur une très courte période, par le sciage du bois. Elle sera abandonnée avec l'apparition de la fée Électricité.    ( voir l'arrivEe de l'ElectricitE à Revel )

 

En juin 1913, la maison Puech et Laval, spécialistes en techniques de filtres, proposa d'installer des filtres assurant l'épuration physique et bactériologique de l'eau. Au cours de la session de mai 1914, le maire, Émile Séna, demanda d'approuver ce projet.

 

 Mais une modification imprévue augmentait la dépense et eut pour effet de donner raison au conseiller Perramond qui avait voté contre ce projet. Au cours de la session de mai 1917, l'idée de réaliser un barrage pour régulariser le débit du Sor fut évoquée; le maire Séna donna lecture d'une lettre de l'ingénieur du Génie Rural du Tarn qui avait l'intention de reprendre les études ayant pour but de régulariser le débit du Sor avec la participation de l'État, des départements, des communes et des propriétaires concernés. Ce projet devait permettre de redresser et d'élargir le lit du cours d'eau. À l'unanimité, le maire et les conseillers pensaient que les inondations fréquentes du Sor ne pourraient être supprimées sans la création d'un bassin (un barrage) supérieur en amont de Malamort et non en aval du côté de Naurouze. Malgré le tragique quotidien du moment, des idées circulaient déjà.

Aucun de ces projets ne vit le jour; cependant le plus élaboré était celui du captage du Laudot (curieux retour à l'idéal exposé dans la charte de fondation de Revel!) :

"Les indications fournies par l'administration du Canal permirent de s'assurer que le prélèvement nécessaire à l'alimentation de Revel était possible et que le captage et l'adduction pouvaient s'effectuer dans de bonnes conditions". Le prélèvement dans le Laudot présentait des avantages, notamment "la possibilité d'alimenter les deux hameaux de Saint-Ferréol situés sur le parcours de la conduite; une longueur de conduite moindre (5,150 km au lieu de 6,500 km à partir de Durfort), une garantie plus certaine quant à la qualité de l'eau avant filtration, le bassin de retenue établi sur le Laudot assurant une décantation préalable très efficace, et par suite, une constante limpidité, laquelle ne peut être obtenue par le captage du Sor en période de crue".

Un autre avantage, peut-être plus important, était la pression de l'eau que l'on pouvait obtenir. Le projet de captage du Laudot était porteur d'espoir; une majorité d'élus pensa qu'il fallait en même temps, dans un même projet, envisager de créer un réseau d'égouts séparé du réseau d'eau pluviale, et le compléter par une station d'épuration jusque là inexistante.

 

Aqueduc posé vers 1765 sur le pertuis des vannes de Port Louis.La gorge creusée dans le bloc de granit, dans laquelle l’eau circulait à  ras bord, sert de mesure
pierre de calibre

 

reservoir

Petit bâtiment abritant le premier filtre de l’eau venant de la rigole, construit en 1846.
Quelle désolation … ces lieux pourtant si bien aménagés pour le débit de l’eau attribuée à Revel par Riquet. n’ont pas échappé au mal terrible du siècle : les « tags ».

 

En 1925, Herzog, ingénieur du Canal, se plaint que la ville de Revel prélève trop d'eau dans la rigole; pensant qu'il s'agissait là d'une simple tracasserie administrative, le maire, toujours Émile Séna, fit une déclaration, très acidulée, au cours de la séance du 2 avril 1925; il préconisa la désaffection du Canal "qui n'est plus utile, qui est un cadavre et occasionne de grandes dépenses". Il émit le voeu que le Canal soit rendu à l'irrigation de grandes plaines.

(Ironie de l'histoire, c'est à Revel qu'eurent lieu en 1996 les préparatifs de classement du Canal dans le Patrimoine mondial de l'Humanité). La tension était vive à Revel; la municipalité demanda au Canal que "des mesures soient prises pour sauver les personnes qui tombent dans le bassin de Saint-Ferréol".

 

compteur

 

 

 

 

 

 

Dans les premières années 1930, les compteurs d'eau sont posés à Revel, mais une certaine lenteur à souscrire l'abonnement se manifeste chez les particuliers. Le maire, Marius Audouy, se plaint que tous les compteurs ne seront pas posés à la date limite et que le recouvrement du rôle des eaux conjointement au règlement et tarif adoptés le 26 février 1930 ne pourra être porté en recouvrement.

La nécessité de se procurer de l'eau donna lieu en peu de temps à prendre contact avec les ingénieurs de maisons spécialisées. Les regards se portaient sur des sources de la montagne, proches de Revel.

 

Après 1930, la pose des compteurs s’intensifie. Le règlement de l’eau sera désormais basé sur le volume consommé.

 

Cinq projets furent envisagés et devis présenté :

 

- projet Duffieux : captage sur le ruisseau du Laudot en amont du bassin de Saint-Ferréol : 3538200F

- projet Chabal : captage sur le Sor en aval du village de Durfort :  2 993 155 F

- projet Riga : captage du ruisseau de l'Orival, commune de Soréze :  2815750F

- projet Mazic : captage des sources du ruisseau Melzic à Saint-Amancet : 2980000F

- projet Eaux et Ozo:nouveau captage sur la rigole au Moulin du Roi plus traitement de l’eau à l’ozone:1857000 F

 

Pendant les recherches sur les possibilités de captage, deux projets concernant les égouts et le traitement des eaux usées furent réalisés, l'un par Duffieux, l'autre par la compagnie Eau et Ozone; tous deux avaient pour objectif de rendre une bonne salubrité à la ville et d'épurer les eaux usées avant de les rejeter en rivière.

Duffieux proposa le procédé biologique artificiel par les "boues activées" après avoir adopté le système séparatif; le coût du projet était de 2 720 000 francs.

La compagnie Eau et Ozone arrêta son choix sur le procédé biologique artificiel par fosse septique. De très nombreuses discussions s'engagèrent sur les détails, sur les avantages et les inconvénients que chaque projet contenait; il serait trop long de les décrire ici.

Le captage du Laudot avait la préférence, mais l'ouvrage de retenue était d'une grande dépense; sur le Sor, au lieu dit Malamort, la tête de la cascade se prêtait à un captage tout simple; une murette pouvait suffire. Après les levers de plans, il fut reconnu possible de conduire l'eau depuis le Sor jusqu'à Saint-Ferréol; le coût supplémentaire, pour longueur de conduite était insignifiant au regard de la dépense du barrage sur le Laudot.

La solution fut trouvée; une concession de 12,5 litres/seconde fut consentie par le Canal sans qu'il y ait opposition aucune de la part des riverains du Sor .

Un premier réservoir fut créé au lieu dit Guillaume Fauré, un deuxième près de Revel à droite de la départementale n° 629 en montant (route de Revel à Saint-Ferréol, à 500 mètres après le pont de la rigole). L'eau du premier réservoir reçut un traitement par javellisation (traitement au chlore) automatique. Pour la première fois à Revel, de l'eau traitée put gravir tous les étages des maisons.

Il fut aussi envisagé de capter la source du Canal à Saint-Ferréol; un robinet aurait laissé le libre usage de l'eau traitée mais on pensa que "le Canal ne céderait jamais cette source". En réalité, malgré le captage profond dans le lit du bassin, le débit de cette source est variable et faible. Il aurait été nécessaire de refouler l'eau dans un réservoir haut placé afin de pouvoir alimenter les écarts du site.

Revenons aux autres projets; celui de Chabal tablait sur une population de 5000 habitants à Revel. Le captage sur le Sor à la cote 260,45 aurait été équipé d'une station filtrante du type Puech et Laval, doublée par une station de stérilisation par le procédé de verdunisation (addition de chlore).

Le projet Riga nécessitait la création sur le ruisseau de l'Orival d'un petit barrage de trois hectares de superficie contenant 100 000 m3 ; l'eau traitée par le chlore aurait été dirigée vers Saint-Ferréol. Ce projet aurait été situé à six cents mètres d'altitude, non loin de Saint­Jammes, sur la commune de Soréze.

Le projet Mazic visait les sources des ruisseaux de Melzic et d'Avaris. L'eau de ces sources ne nécessitait aucun traitement; le captage situé à plus de six cents mètres d'altitude permettait comme les projets précédents d'atteindre Saint-Ferréol et d'alimenter Revel avec une pression largement suffisante.

 

compagnie francaise  

 

1930 – lettre d’avertissement pour le règlement de la distribution
 d’eau sur la base du nombre de robinets

lettre

reglement

 

Le règlement en 1930…

 

service des eaux 1930 – lettre d’information relative au nouveau règlement des tarifs
d’abonnement à la concession d’eau à Revel (signature de Marius Audouy)

 

Le règlement en 1930…Le captage sur le Sor à Malamort apporta, nous l'avons vu, la pression et une meilleure qualité de l'eau, mais ce n'était qu'un palliatif au problème de l'eau à Revel. Dans la séance extraordinaire du 9 juillet 1936, le conseiller Millet donna lecture d'un rapport : "comme M. Quillon, ancien préfet de la Haute-Garonne, nous estimons que la situation actuelle de la ville de Revel, où la fièvre typhoïde existe à l'état endémique, ne peut durer plus longtemps. C'est chaque année par un sacrifice de vies humaines que se traduit tout retard dans la réalisation de l'alimentation en eau potable et la création d'un réseau d'égouts".

La parole fut donnée au docteur Félix Carrade, conseiller, rapporteur de la commission. Il fit son rapport (en vingt-six feuillets) traitant des dangers de l'eau. Finalement, l'insécurité des sources, les dangers du traitement des eaux par le chlore firent adopter les avantages de la stérilisation de l'eau par l'ozone. La municipalité se donna pour mission de faire poursuivre la mise au point de ce projet de traitement.

 

bassin piscine  

 

 

 

   Prise d’eau destinée à alimenter le réservoir situé en gare de Revel ; ce réservoir surélevé assurait par gravitation le remplissage du tender des locomotives à vapeur.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

gare

 

 

 

 

M. Arragnon, ingénieur hydraulicien fut nommé par le Conseil départemental de l'hygiène pour coordonner de nouveaux projets. Mais, du fait de la guerre et pendant les années sombres qui suivirent les dossiers furent mis en veilleuse; cependant le ministère des Travaux Publics avait laissé entendre la possibilité d'utiliser les eaux excédentaires du Canal du Midi.

Après la guerre, on rappela ces propos qui provoquèrent une adhésion enthousiaste de tous les intéressés. Un projet d'aménagement d'ensemble sur les deux versants atlantique et méditerranéen fut dressé en 1946 par la compagnie des Eaux et de l'Ozone; pour des raisons d'opportunité, il fut convenu que cette tâche serait confiée à un organisme interdépartemental. C'est ainsi que, par les arrêtés préfectoraux du 10 octobre 1947 et 5 août 1948, fut créée l'Institution Interdépartementale pour l'Aménagement Hydraulique de la Montagne Noire.

Le conseil d'administration de l'Institution fut composé de cinq conseillers généraux par département, y compris le président du Conseil Général. Le président fut M. Roger Sudre, maire de Revel et conseiller général, les vice-présidents, MM. Lafon et Tirand, le secrétaire M. Dandrieu.

Les tâches étaient nombreuses; l'eau appartenait au Canal depuis l'édit de 1666, confirmé par un décret du 2 août 1807 et un arrêt du Conseil dÉtat du 26 novembre 1924. Il fallait donc obtenir du ministère des Travaux Publics pour les collectivités demanderesses une concession d'eau sans précarité, c'est-à-dire irrévocable. Cet accord fut solennellement donné le 13 avril 1948 à la mairie de Revel en présence des représentants des ministères intéressés, Travaux Publics et Agriculture, moyennant une clause de quatre millions de mètres cubes d'eau par an réservés pour la navigation. Le protocole d'accord interministériel du 25 juin 1948 confirma l'accord signé à Revel et l'arrêté préfectoral du 5 août 1948 donna le feu vert à la réalisation des projets. Tous ces grands travaux allaient mettre fin à la deuxième période d'alimentation en eau de la ville de Revel, jusque là assignée à une prise d'eau brute sur le Sor.

 

LA TROISIÈME PÉRIODE (de 1947 à nos jours)

 

Elle débuta par de très grands travaux dont le plus important fut la construction du barrage des Cammazes.

Les travaux préparatoires commencèrent en octobre 1947, les travaux de construction en janvier 1953; ils furent réceptionnés le 5 février 1957. Pendant la construction du barrage, on dressa le tracé des grandes canalisations en direction de Puylaurens,Saint-Félix-de-Lauragais, Castelnaudary, etc.

On mit en place la canalisation d'eau brute; on créa l'usine de traitement des eaux dite Picotalen I, résultat d'un marché sur concours passé avec la compagnie des Eaux et de l'Ozone à Paris, approuvé le 18 septembre 1957.

 

 La consommation croissante de l'eau potable nécessita le doublement de la canalisation d'eau brute et de l'usine de traitement; Picotalen II fut alors réalisé et sa réception définitive eut lieu le 30 octobre 1968.

 

Dans les années soixante, l'eau du Sor, emmagasinée dans le barrage, traitée à l'ozone, fut distribuée dans toute la ville. Ainsi, l'alimentation de Revel entrait dans un maillage de distribution collectif intéressant 123 communes.

 

Outre l'eau potable, la réserve d'eau sur le Sor contribue au développement de richesses: irrigation, industrie, tourisme.

Des structures ont été réalisées: modernisation du réseau d'égouts, stations d'épuration à Revel et Saint-Ferréol (leur capacité a été triplée), création d'une rigole de décharge sur le ruisseau du Farel, d'une piscine, de bouches à incendie ...

 

Dans la ville elle-même, l'usage des fontaines publiques a changé; après avoir presque totalement disparu, elles réapparaissent sous forme de points d'eau, situés aux carrefours, toilettes, parcs à voitures. Après six siècles, autres temps, autre société, avec une constante tout de même, c'est toujours l'eau du Sor qui alimente Revel.

 

 

 Sources et bibliographie

 

Archives communales de Revel - Séries D 1 à 15 et BB 4 à 10. Archives communales de Soréze - Plan cadastral Catala 1747 et 4e série p. 44.

Archives du Canal du Midi - Copies de lettres 1860-1875. I.I.A.H.M.N. (Institution Interdépartementale pour l'Aménagement

Hydraulique de la Montagne Noire) - recueil 1973-1983.

Notes de Jean Hébrard et René Rouanet.

Notes sur les jaugeages du ruisseau du Sor, 1970.

L'alimentation en eau de Constantinople, recueil du comte Andréossy, 1860.

La rue au Moyen Âge - Jean Pierre Leguay, 1984.

 

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