Société d’ Histoire de Revel Saint-Ferréol                                      LES CAHIERS DE L’ HISTOIRE - N°16 - Année 2011

 

LA FEMME, LE PANTALON ET L'HISTOIRE

COMMENT EST ARRIVEE A REVEL, LA MODE Des PANTALONS POUR LES FEMMES ...

Par Mlle SNOCK

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Le premier septembre 1939, Hitler attaque la Pologne sans prévenir. La deuxième guerre mondiale commence. L’armée française est très mal préparée.

 

Quelques mois plus tard, l’aviation allemande bombarde des villes belges, de nuit, et les gens se sauvent comme ils peuvent.

Ils descendent vers la France, avec leurs enfants...

 

Notre pays est envahi à son tour, et Paris ne pourra pas résister. Nous sommes alors en 1940. La France capitule. Beaucoup de réfugiés regagneront péniblement leurs maisons. Certains préfèreront  rester. L’hiver 1940-41 fut très froid.

 

Alors les femmes belges et hollandaises habillèrent leurs enfants comme elles en avaient l’habitude, dans leurs pays sillonnés de canaux et de cours d’eau : elles mirent aux filles des pantalons de leurs frères. Cette manière de faire parvint à Revel.

Des françaises les imitèrent, mais, ce ne fut guère facile : les préjugés faisaient des ravages.

 

Quand même, au bout d’un certain temps, les adolescentes qui venaient à l’école ou au collège à bicyclette, eurent la permission de porter des « culottes »... Elles devaient se changer au vestiaire avant la classe !

Et puis, petit à petit, la mode si pratique se répandit... Et de nos jours, même les grands-mères mettent des pantalons... Quelques unes, maintenant très âgées, sourient quand elles en parlent...

 

Texte transmis par Mlle Snock

 

 

PERMISSION-DE-TRAVESTISSEMENTL’ordonnance du 16 brumaire an IX*

(7 novembre 1800)  

 

« Le Préfet de Police, informé que beaucoup de femmes se travestissent, et persuadé qu'aucune d'elles ne quitte les habits de son sexe que pour cause de santé ;

Considérant que les femmes travesties sont exposées à une infinité de désagréments, et même aux méprises des agents de la police, si elles ne sont pas munies d'une autorisation spéciale qu'elles puissent représenter au besoin.

Considérant que cette autorisation doit être uniforme, et que, jusqu'à ce jour, des permissions différentes ont été accordées par diverses autorités ;

Considérant, enfin, que toute femme qui, après la publication de la présente ordonnance, s'habillerait en homme, sans avoir rempli les formalités prescrites, donnerait lieu de croire qu'elle aurait l'intention coupable d'abuser de son travestissement,

Ordonne ce qui suit :

1 - Toutes les permissions de travestissement accordées jusqu'à ce jour, par les sous-préfets ou les maires du département de la Seine, et les maires des communes de Saint-Cloud, Sèvres et Meudon, et même celles accordées à la préfecture de police, sont et demeurent annulées.

2 - Toute femme, désirant s'habiller en homme, devra se présenter à la Préfecture de Police pour en obtenir l'autorisation.

3 - Cette autorisation ne sera donnée que sur le certificat d'un officier de santé, dont la signature sera dûment légalisée, et en outre, sur l'attestation des maires ou commissaires de police, portant les nom et prénoms, profession et demeure de la requérante.

4 - Toute femme trouvée travestie, qui ne se sera pas conformée aux dispositions des articles précédents, sera arrêtée et conduite à la préfecture de police.

5 - La présente ordonnance sera imprimée, affichée dans toute l'étendue du département de la Seine et dans les communes de Saint-Cloud, Sèvres et Meudon, et envoyée au général commandant les 15e et 17e divisions militaires, au général commandant d'armes de la place de Paris, aux capitaines de la gendarmerie dans les départements de la Seine et de Seine et Oise, aux maires, aux commissaires de police et aux officiers de paix, pour que chacun, en ce qui le concerne, en assure l'exécution. »

Le Préfet de Police Dubois
* Rappelons que l’ordonnance du 16 brumaire, an IX  (7/11/1800) n’est pas abrogée.

 

Paris, le 12 Mai 1852 Nous, Préfet de Police, [...] Autorisons la demoiselle Rosa Bonheur demeurant à Paris, rue d’Assas, n° 320 à s'habiller en homme ; pour raison de santé sans qu'elle puisse, sous ce travestissement, paraître aux spectacles, bals et autres lieux de réunion ouverts au public. La présente autorisation n'est valable que six mois, à compter de ce jour.

 

 

 

DE ROSA BONHEUR (1822) à MICHELLE ALLIOT-MARIE (2010) - LA CONQUÈTE DU PANTALON.

Par Michèle GUIGOU

 

Le mot pantalon, qui vient de l’italien -pantaleone  est un personnage de la Commedia dell’arte- entré dans la langue française en 1800, suivi la même année par une ordonnance de la Préfecture de Paris interdisant aux femmes le port du costume masculin et rendant obligatoire « une demande de travestissement pour celles qui désirent le porter ».

Après les bouleversements de la Révolution Française, -qui touchent aussi, bien évidement, l’apparence-  se met en place une moralité bourgeoise : le pouvoir aux hommes qui ont définitivement abandonné leur parure vestimentaire : culottes collantes, maquillage, perruque, redingotes cintrées et colorées, souliers à talons et boucles, pour le costume sombre, pantalon, col dur, gilet. Les femmes travaillent dans les usines, dans les champs, dans la sphère domestique, sur les trottoirs, en jupes.

-Quelques précurseurs-, le mot n’a pas de féminin, vont oser afficher leur liberté, et les signes visibles de cette liberté.

Elles vont se servir de leur notoriété  et de leur statut de « stars » intouchables pour porter le vêtement masculin, fumer en public, afficher ou ne pas cacher leur homosexualité

 

Georges Sand

 

George Sand :(1804-1875),

Née Aurore Dupin, a pris un prénom masculin pour publier en 1832, car éditer est interdit aux femmes.

Dans son enfance à Nohant, elle refuse de porter le corset, met des sabots, elle monte à cheval à califourchon.

Dans une œuvre foisonnante, elle se pose en défenseur de la femme, attaque la société qu’elle juge opprimante, réclame le droit à la passion et recherche une vérité idéale. Elle est coquette, élégante, et s’habille de manière recherchée, dans des tenues féminines ou masculines, qui l’autorisent à flâner sans se faire remarquer. Elle écrit : « Je n’ai qu’une passion : l’idée d’égalité », (1848), évoquant dans son œuvre à la fois l’égalité homme femme, mais aussi l’égalité sociale.

 

 

 

 

Rosa Bonheur : (1822-1899).Rosa Bonheur

Peintre. Formée par son père, -les écoles d’art sont fermées aux filles-. Dès l’enfance elle vit très libre, près de la nature, coupe ses cheveux, porte le pantalon par sécurité et     commodité. Elle a demandé et  obtenu l’autorisation de  travestissement.                

Peintre reconnue, elle expose à l’étranger. Ses tableaux sont au musée d’Orsay, au Métropolitan à New-York. Première femme française faite chevalier de la légion d’honneur  (1865), puis officier en 1894. Elle assume avec sérénité ses choix, fume le cigare et vit cinquante ans avec la même compagne, près de la forêt de Fontainebleau. Ne porte que des costumes d’hommes.

 

 

 

Sarah Bernhard

Sarah Bernhardt : (1844-1923).

Grande tragédienne, incarne au théâtre des rôles    masculins : Hamlet, Lorenzaccio, l’Aiglon et obtient des triomphes.

Elle n’est pas la seule à interpréter des rôles travestis sur la scène. Elle s’affiche avec sa compagne dans le Montparnasse des années 1920, porte le pantalon mais le féminise par des fourrures, bijoux ; elle prend position contre la masculinisation des tenues et même contre la bicyclette « dangereuse pourla nature féminine ».

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Colette : (1873-1954) Colette Colette1

Bisexuelle et libertine, elle écrit : « Les deux genres d’amour ». Sa série des Claudine (signée du nom de Willy) connait un succès scandaleux. Elle choque à la fois par sa vie, et ses écrits, prône la liberté du corps, l’indépendance, mais condamne la masculinisation : « le pantalon, oui, mais en restant élégante »...

La fin du XIXème, le début du XXème siècle, de nombreuses femmes connues ou anonymes affirment leur liberté, remettent en cause l’ordre moral. Rien.n’arrêtera l’invasion du pantalon, malgré résistance et critique.

Dans le sport : aviation, alpinisme, équitation et surtout la bicyclette, s’imposent malgré les mises  en garde de la médecine.

Le sport se pratique au féminin et en pantalon.

 

Marie Curie et Einstein

 

 

 

 

Marie Curie

 

 

 

 

 

 

 

 

Marie Curie  née Maria Skbodowska en Pologne le  7 novembre 1867 et décédée en France le 4 juillet 1934 : grande physicienne.  Elle part en voyage de noces à bicyclette et en pantalon de zouave (1895).

 

 

 

Violette Morris

 

 

 

 

 

 

 

Violette Morris : grande sportive, championne de boxe, course automobile, athlétisme, affiche son homosexualité et vit en costume d’homme. Provocatrice, elle finit par être exclue des Jeux Olympiques en 1927.

En 1903, 2 000 mille femmes participent, en pantalon, à une course cycliste « Tuileries-Nanterre ». Dans les arts, peintres, comédiennes, écrivaines, journalistes, poétesses sont en pantalon.

 

 

 

 

 

 

 

 

Lucie Delarue-Mardus, écrit dans une revue : « Madame, ce n’est pas laid d’être habillée en garçon ».

 

Marie Rose Astié de Valnayre, milite pour le port du costume masculin dans « la ligue pour l’affranchissement des femmes » qu’elle a créé.

 

Gyp

 

 

 

 

Gyp,née Sibylle Gabrielle de Riquetti de Mirabeau, comtesse de Janville (1850-1932), auteur d’une centaine de livres, « star » de la Belle Epoque, adopte le costume masculin.

 

Sport

 

 

 

Enfin, dans le monde du travail, le début de l’industrialisation voit l’arrivée massive des femmes ouvrières dans les usines d’armement, dans les mines (en surface), dans l’édition..

Dans le monde rural, bergères, dans les champs, les parcs à huitres, les femmes sont en pantalon, souvent les cheveux cachés par des coiffes, bérets, ou foulards.

De très nombreuses cartes postales datant de cette époque témoignent des travailleuses en pantalon.

Dans les années 30, des couturiers Poiret (1883-1971), Chanel, Vionnet rendent au corps féminin sa liberté, créent des pantalons pour le sport, des smokings. Des aristocrates, comme les comtesses de Voguë ou Polignac sortent en pyjama du soir, en satin et fourrure.

 

 

 

 

 

 

Marlène Dietrich, en 1933, porte le même costume que son amant Jean Gabin. En photo dans les magazine elle prouve que féminité et élégance sont compatibles avec le pantalon.

 

Lucie Aubrac, déjà résistante, donne ses cours en pantalon.

Des exploratrices, des voyageuses sont en pantalon. Le port du pantalon se banalise dans les colonies. En 1952, une adolescente et son frère, en jeans, sur la promenade des Anglais sont arrêtés par des promeneurs qui les interrogent sur l’origine de ce pantalon. En 1956, Brigitte Bardot, Jean Seberg, Françoise Sagan sont dans tous les magazines en pantalon. Il se vend, en 1960, en France, plus de pantalons pour les femmes que de jupes. Mais en 1975, une jeune femme notaire en stage s’entend recommander : « pas de pantalon, ni de mariage pendant votre stage ».

En 1972, Michelle Alliot-Marie, conseillère au cabinet d’Edgar Faure répond à l’huissier qui essaie de lui interdire d’entrer : « Si c’est mon pantalon qui vous gêne, je l’enlève dans les plus brefs délais… ».

Nous avons en mémoire la photo du gouvernement d’Alain Juppé et des « jupettes » sur le perron de l’Elysée, en mai 1995.

 

En mai 2007, sur les sept femmes du gouvernement Fillon, cinq sont en pantalon.

Les hôtesses de l’air d’Air France n’ont droit au pantalon qu’en 2005.

Ainsi le port du pantalon apparaît comme un long combat ... toujours d’actualité si l’on se réfère à l’absence d’abrogation de la fameuse ordonnance du 7 novembre 1800.

 

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Il fut un enjeu en termes de pouvoir, de domination sur le plan politique, social et moral. Il a accompagné le long chemin de l ‘émancipation des femmes ces deux siècles derniers. Quelques nuances toutefois.Sport2

Le pantalon s’est féminisé, adapté à la morphologie, mais, il reste tributaire de la mode sans cesse renouvelée (même le « Jean’s » suit la tendance), génératrice de contraintes, d’adaptation. Ce qui n’est pas le cas pour le pantalon masculin, stable depuis un siècle et demi. La deuxième nuance concerne les significations différentes dans d’autres lieux, cultures ou civilisation.

 

Dans certains pays islamiques, ce vêtement fermé est considéré, sous le voile bien sûr, comme un rempart supplémentaire, isolant et protecteur. On arrive à ce paradoxe qu’en France, dans les banlieues, dites difficiles, ce ne soit pas le pantalon, mais la jupe qui devient interdite.

 

Pour passer inaperçues, « elles » portent des survêtements et masculinisent leur apparence, afin d’éviter les insultes des petits caïds. Dans ce cas, le pantalon, obligatoire, certes protecteur, n’est plus du tout émancipateur. Ce serait la jupe qui devient symbole de résistance. Le 25 novembre 2010 la première journée de la jupe permis quelques débats entre animateurs et jeunes.

La dernière nuance à noter : aucune des tentatives des couturiers pour proposer des jupes aux hommes n’a abouti. Si le pantalon masculin, et l’uniforme qu’il compose avec la veste reste pratiquement inchangé depuis plus d’un siècle (1880) n’est ce pas parce qu’il apporte aux hommes sécurité, liberté de mouvement, aisance et confiance en soi, qualités indispensables pour mener toute action, affronter et gouverner le monde ?

 

 

Bibliographie

 

1. Christine Barol : « Une histoire politique du pantalon », Seuil, 2010

2. « Ce que soulève la jupe », Autrement 2010.

3. Maïté Albistur - Daniel Armogathe « Histoire du féminisme Français », Edition des femmes, 1977.

4. L. Benaïm : « Le pantalon, une histoire en marche »  Amateur 1999.

5. F. Chenoune : « Des modes et des hommes, deux siècles d’élégance masculine ». Paris, Flammarion, 1993.

 

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