Société d'Histoire de Revel Saint-Ferréol                          -                                 CAHIER D'HISTOIRE DE REVEL N° 21     pages 30-31

 

La sinistre fin d'un apprenti bourreau de Revel

 

Par Olivier et Paula Astruc

 

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Cet article est extrait de l’ouvrage de Olivier et Paula Astruc
« Les Mystères du Tarn » Éditions de Borée
avec l’aimable autorisation des  « Éditions De Borée »   (Côte Saint-Vincent   Route d’Argnat  63530 Sayat)
et des auteurs Olivier et Paula Astruc

 

mysteres-du-tarnAu moins jusqu'à la fin du XVIIème siècle, le métier de bourreau est largement répandu malgré l'horreur qu`il inspire.
Certains d'entre eux - parés d'une solide expérience professionnelle et donc élevés au rang de vedettes de cette confrérie pourtant inquiétante - sont salués par des hourras quasiment hystériques provenant de foules avides de justice expéditive et de punitions magistralement exécutées.
Il fallut cependant attendre l'invention du célèbre docteur Guillotin, conçue en 1789 et mise en application pour la première fois en avril 1792, pour que la peine de mort soit exécutée de façon plus radicale, dans l'instantané d'une tête qui tombe.
Mais bien avant l'acquis de ce perfectionnisme dans le châtiment suprême, bon nombre de bourreaux accomplissaient leur sinistre tâche de manière plus ou moins approximative, comme en témoigne René Artigaut dans un chapitre intitulé «Une exécution mouvementée, 15 juin 1632 ›› :

« La plupart des grands consulats de notre province possédèrent un bourreau jusqu'à la fin du XVIIème siècle. Certainement, si la société les traitait alors en parias, l'horreur qu'ils inspiraient venait surtout de leur insuffisance à remplir de difficiles fonctions. Il fallait qu'un exécuteur sût faire office par le feu, l’épée, le fouet, l'écartelage, la roue, la fourche, le gibet ; il fallait qu'il sût traîner, poindre, piquer, couper les oreilles, démembrer, flageller, mettre au pilori, au carcan, etc. Cette étonnante variété de supplices rendait la charge hérissée de difficultés. Il était impossible à un bourreau de petite ville, dont le rôle se bornait d'ordinaire à pendre quelques manants, de ne pas commettre de maladresses lorsqu'il sortait de ses habitudes. Tous les bourreaux ne pouvaient être des Samsons ou des Tristans, dont la dextérité à abattre les têtes savait attirer les faveurs. Non seulement ils étaient inhabiles pour la plupart, mais aussi ils étaient fort mal outillés et adonnés au vin. »

Dans la catégorie des bourreaux inhabiles, on classera sans hésiter le sieur Jean Gouvedin, originaire de Revel et coupable d'une exécution si minable qu'elle ne tarda pas à lui coûter la vie !
Ses ratés lamentables sur le condamné finirent par retourner contre lui une foule qui ne supportait sans doute pas le bricolage amateur dans un exercice de cette importance, aussi capitale que la peine du même nom. Mais revenons aux origines du fait divers qui déclencha cette affaire rocambolesque, relatée par René Artigaut (1) :

« Dans les premiers jours de l'année 1632, aux environs de la ville de Revel, un meurtre fut commis sur la personne d'un notaire, nommé Louis Roustan. Les assassins restèrent inconnus, d'abord.

« Cependant, un paysan trouva, non loin du lieu du crime, un cordon, une croix de chevalier avec son ruban. Les soupçons se portèrent immédiatement sur les frères Jean et Isaac Portal, voisins du notaire et ses ennemis.
Un mandat d'arrêt fut lancé contre eux. Jean ne put être retrouvé. Isaac, seul, fut pris, conduit à Castres dans les prisons de la Tour-Caudière, afin d'être jugé par la chambre de l'édit, qui le condamna à avoir la tête tranchée.
« Portal avait protesté de son innocence, mais au dernier jour, à la dernière heure, lorsqu'on l'eut exhumé de l'un de ces cachots appelés « crotons », où l'on jetait les condamnés, il finit par tout avouer et réclama une prompte expiation de sa faute. Il entendit encore une fois, à genoux, la lecture de son arrêté de mort et pria de nouveau les témoins de cette scène de ne pas prolonger ses angoisses : il connaissait son sort depuis trois jours. On était au 15 juin. Le moment fixé pour l'exécution approchait : 3 heures après midi. Le juge de Castres qui devait présider à la cérémonie cherchait à en assurer le bon ordre. Un homme vint à passer. Le juge l'interpella. C'était le bourreau. Il s'appelait Jean Gouvedin.
On l'avait fait venir de Revel, car à l'exécuteur de cette ville revenait le supplice de Portal. »
Le bourreau ne s'attendait cependant pas à ce que le coupable soit traité en gentilhomme, privilège qui donnait l'honneur d'avoir la tête tranchée. Il se préparait donc à donner le châtiment par pendaison avant de comprendre qu'il lui faudrait manier le coutelas.

La procédure habituelle d'une exécution suivit alors son cours normal : lecture de « Pacte de condamnation » par le greffier, serment du bourreau d'accomplir son devoir jusqu'au bout, cortège dans les rues de Castres jusqu'à la porte de l'Albinque où était dressé l'échafaud, positionnement du condamné : les yeux bandés, la tête sur le billot.
Après la prière du curé et l'ordre du juge de procéder à l’exécution, le bourreau paraissait hésitant et troublé par la grande agitation de la foule. Tellement que lorsqu'il abattit son coutelas sur la gorge du condamné, le pauvre bougre ne fut que blessé !

Une tête coupée qui ne veut pas tomber.

La suite et fin de l'histoire - âmes sensibles s'abstenir - est relatée avec un réalisme effrayant par le dénommé Charles Pradel, dans le chapitre « Deux exécutions capitales au XVIIème siècle ››.

« Et comme ledit Gouvedin n'avait point attaché ledit Portal à l'échafaud, ains (2) seulement lié ses mains par-derrière, iceluy se souleva et sortit sa tête de dessus le bloqueau sur lequel icelle estoit appuyée pour estre coupée plus facilement, et le corps fut renversé sur les aix dudit échafaud, et au lieu que, auparavant, son visage regardoit la terre, il l'avoit lors tourné du costé de la porte de l'Albinque. Nonobstant quoi, ledit Gouvedin, sans remettre ledit corps en sa première posture ni la teste sur le bloqueau, réitéra ses coups par plusieurs fois, jusques à le scier avec le couteau. Voyant qu'il ne la pouvait couper, il la prit par les cheveux, et, en lui tordant le col et la tirant, fit effort de la séparer du corps.
À cause de quoi et de la multiplicité des coups ainsi donnés, partie des assistants, en nombre de mille ou douze cents environ, se mit à crier : "Vilain ! Meschant ! Massacreur ! Il le faut tuer ! Tire à l'occasion ! Desquels cris et du bruit que faisoient les coups que ledit exécuteur donnoit au condamné, le cheval que nous montions se cabra et se jeta à l'écart. Lequel ayant ramené et revenus près de l'échafaud nous vîmes ledit exécuteur au bas de l'échelle, teste nue, le couteau en sa main et des habits en l'autre, s'enfuyant parce que (comme on nous l'a dit après) quelques-uns des assistants lui avaient jeté des pierres après qu'il eut séparé la tête du corps du condamné. Lequel exécuteur, nous et ledit Raymond, procureur du roy avons appelé à grands cris et commandé de venir près de nous. Mais, sans répondre, il continua sa fuite, pendant laquelle on lui tira plusieurs coups de pierre quelques défenses et empêchements que nous ayons su y apporter. Desquels coups, il fut porté à terre et assommé si promptement que nous n'avons pu arriver à temps pour le garantir, quoique nous nous soyons mis en devoir d'y accourir, ce que nous n'avons pu faire cependant à cause de la foule, et aussi parce que entre ledit échafaud et le champ du sieur Poncet où il avoit fui, il y avoit un fossé qui les séparoit, lequel les chevaux ne voulurent franchir.


Ayant suivi le chemin pour arriver audit champ, nous avons vu ledit Gouvedin à terre et plusieurs personnes lui tirant des pierres.


« Estant descendus de cheval, sommes entrés dans ledit champ pour voir l'estat dudit Gouvedin et avons trouvé iceluy étendu la face contre terre, tout sanglant de sa tête et plusieurs pierres dessus lui et autour de lui auprès duquel il y avoit un grand monceau de pierres de reste des démolitions des fortifications. Étant ledit corps entouré d'un grand nombre de personnes le regardant, auprès desquelles nous nous sommes informés des auteurs dudit excès : ce que les assistants nous ont dit ne savoir pour avoir été en foule. Ce fait, avons commandé audit Tournier, sergent, de faire venir Jean Murat, écorcheur de bestes, un nommé Trente Arencades, portefaix, et un autre, Jean Joulié, qu'on nous avait dit avoir tout le jour hanté, fréquenté et bu avec ledit Gouvedin, afin de lui jeter de l'eau dessus pour le faire revenir et le tourner pour pouvoir examiner ses plaies ; car tous les assistants refusoient de ce faire. Lequel Tournier fut longtemps sans nous apporter aucune nouvelle. Enfin Arnaud Mirepoix, hoste de la présente ville, nous mena de nostre mandement, ledit Murat, lequel ayant tourné ledit Gouvedin, nous avons reconnu qu'il estoit mort. Ce fait, nous avons commandé audit Ricard, notre greffier, de nous faire venir un chirurgien pour visiter ledit Gouvedin et rapporter l'estat de ses plaies ; lequel, après, revint et nous dit qu'ayant trouvé dans la foule Jean Peravy, chirurgien, et lui ayant fait part de notre mandement, il se mit en fuite. À cause de quoi, nous avons résolu de faire porter le corps dudit Gouvedin dans la maison destinée aux exécuteurs de la présente ville et commandé audit Murat d'aller chercher lesdits Arencades et Joulié pour apporter le corps dans ladite maison, afin qu'il put aisément estre visité et après enterré. Mais voyant que ledit Murat ne revenait point... nous sommes allés trouver ledit Trente Arencades dans sa maison pour lui ordonner d'assister ledit Murat... À quoi ledit Arencades ne voulut jamais obéir. Il se couchoit à terre, assisté de sa femme qui se couchoit contre lui, disant qu'on les tuast...
Voyant l'impossibilité de faire enlever le corps, avons mené ledit Murat audit lieu pour commencer à faire la fosse pendant que nous travaillerions à avoir des chirurgiens pour le faire visiter. ››

Soulignons pour conclure cette horrible boucherie que le terme de bourreau vient du verbe
« bourrer ››, qui au XVIIème siècle était synonyme de maltraiter. Comme quoi, à cette époque-là et même dans le Tarn réputé plutôt paisible, la maltraitance pouvait parfois atteindre des degrés extrêmes.
Enfin, vu le funeste destin de ce sinistre Jean Gouvedin, on peut imaginer que la ville de Revel, dont il était originaire a dû avoir beaucoup de mal à se trouver un nouveau bourreau, en espérant de sa part deux qualités essentielles : une meilleure précision dans l'exécution et une grande aptitude à la course à pied en rase campagne !

Chapitre II du livre de Paule et Olivier Astruc
« Les mystères du Tarn » -  1944
édition de Borée 2007

 

Références bibliographiques
données par les auteurs

1. Archives départementales du Tarn à Albi (cote 7 US 38)
2. Charles Pradels : « Deux exécutions capitales au XVIIème siècle » édité à Toulouse en 1881 par l’imprimerie Douladoure-Privat.



NOTES

1 -.  René Artigaut, « Grands jours de Castres » édité en 1984 par la Société Culturelle du Pays Castrais .
Une note de ce dernier précise que le texte original utilisait le conditionnel à la place de l’indicatif, mais que lui a choisi d’écrire à l’indicatif afin de faciliter la lecture du document.

2 -.  Mais