Société d’ Histoire de Revel Saint-Ferréol LES CAHIERS DE L’ HISTOIRE  | 
    
FAUNE  PLÉISTOCÈNE DES CHAMBRES  | 
    
La caverne. —
Située au Sud de Soréze (département. du Tarn), la montagne de Bernicaut (ou de  Berniquaut) est constituée par une croupe arrondie, terminée par une crête  rocheuse, qui, à la cote de  561 mètres, entre la  vallée de la Menthe au Nord et celle de Durfort au Sud, domine la plaine de Revel; elle s'élève de ce côté comme le  contrefort le plus saillant de la Montagne Noire (1), dans  les terrains primaires (métamorphiques et cambriens) que comporte ce puissant massif ancien. Tout près  du sommet, se dissimulent dans la crête rocheuse les grottes connues sont le ricin de Chambres de Berniquaut.
    De Soréze on peut y accéder  facilement en prenant d'abord le chemin de Durfort, ensuite la bifurcation qui se détache à. gauche, peu après la route de  Revel, et qui conduit à, la ferme de Berniquaut, puis aux ruines du vieux  village médiévale et antique de Puyvert-Verdinius. Du  plateau où se trouvent les vestiges de ce village, un sentier aboutit, après un  passage frayé le long des rochers, aux Chambres de Bernicaut, largement ouvertes sur une sorte de  terrasse qui court  d'un bout à l'autre de la paroi rocheuse dans laquelle elles sont creusées.
    Ces Chambres regardent vers le Sud, c'est-à-dire du côté de Durfort et  de la vallée du Sor, qu'elles surplombent par des pentes très raides. Elles se  composent de trois cavités  principales, reliées entre elles par des couloirs, faciles d'accès; elles ne sont pas au même niveau, de telle sorte  que leur sol offre une pente assez forte.
(1) Carte géologique détaillée de la  France, à 1/80.000. Feuille NA 231 (Castres 189G [Quart Sud-Ouest]. Le nom de Berniquaut est  inscrit sur la Carte d'État-major.
      (2)Sur l'histoire de la localité,  consulter  (J.-A.Cros). Notice historique sur Soréze et ses environs, suivie d'un voyage  au dedans et au dehors de la montagne du Causse. 1822. 1 vol. 188 p., Bénichet cadet, Toulouse. —  Cros (J.-A.). Notice  historique sur Soréze et ses environs. 1845. 1 vol., A. Dupin, Toulouse. — LA-CROIX (F.): Quelques renseignements sur la  vieille ville de Soréze (Tarn. 1913. 1  vol., Douladoure-Privat, Toulouse.
Les fouilles. —
Au point, de vue des possibilités d'habitat, la situation de ces cryptes est  excellente, puisqu'elles prennent jour vers le Sud, où l'exposition au soleil  est favorable et d'où le regard peut se porter sur un horizon extrêmement  dégagé. La source à laquelle devait s'alimenter le vieux village — et par suite  les grottes en question — se trouve en contrebas, non loin de la ferme actuelle  de Berniquaut.
    Il  est donc possible — et même probable — que l'homme ait jadis résidé en ce lieu,  C'est une telle considération qui en 1925 engagea M. J. Campardou et le P.  Pouget à entreprendre dans ces grottes, connues des promeneurs de Soréze comme  but d'excursion, une campagne de fouilles. Le premier coup de pioche fut donné  le 17 septembre 1925 ; mais, dès le 6 octobre suivant, les travaux durent être  arrêtés, à cause de l'opposition d'un nouveau venu dans la commune de Soréze,  qui prétendait avoir des droits sur les terrains d'accès aux grottes ; une  vieille tradition relative à un « veau  d'or » qui aurait été caché là n'est peut-être pas étrangère à cette  hostilité. Quoi qu'il en soit, l'exploration cessa et c'est grand dommage; car  en ces quelques jours de recherches les matériaux recueillis promettaient une  fructueuse moisson ; le cahier des fouilles, scrupuleusement tenu par nos  investigateurs, est le garant de la méthode qui présidait à l'œuvre et qui  faisait consigner dans leurs moindres détails les conditions de gisement de  chaque reste dégagé.
    La  cavité choisie pour l'étude, fut la plus orientale des chambres, parce que,  renfermant une importante couche de terre, elle paraît plus susceptible de  recéler une couche archéologique. Après avoir déblayé les buis et les  genévriers qui en garnissaient l'entrée, on creusa une tranchée que l'on poussa  progressivement à l'intérieur.
    Le  sol de la caverne.  —
Le sol de surface renfermait quelques ossements d'animaux non fossilisés, sans intérêt. A une vingtaine de centimètres de profondeur gisait, avec des poteries grossières, un sou en bronze de Louis XV (3). Un peu plus loin, A une profondeur de l'ordre de 0 m. 40, nombreux débris d'une poterie à pâte fine, bien cuite, mais non confectionnée au tour, fragments de vase en verre, une petite pièce romaine en bronze, frappée à l'effigie de Tetricus le père (4),
(3)Au droit, tête laurée de Louis XV, tournée à  droite, avec en exergue les lettres encore visibles LUDOV. XV. DEI GRA. Au  revers, écusson aux armes de France, avec en exergue les lettres REX FRANC. ET  NAVAR.
    (4)Au droit, lettres en exergue encore visibles IMP... ICVS P  F AVG (ce qui peut se lire Imperator (TETR) ICVS Plus Felix AVGVSTVS); tête de  Tetricus le père. Au revers, PAX AVGG.; la Paix debout tenant un sceptre et une  patère ; devant elle un serpent dressé (Cf COHEN ; Tettricus père, petit bronze,  n° 114). —11 s'agit de Tetricus, gouverneur d'Aquitaine, proclamé empereur des  Gaules, après la mort de Marius, en mars 1021 de Borne (268 après J. C.); c'est  donc après cette date que le petit bronze a été frappé. — Je dois la  détermination rigoureuse de cette petite pièce romaine à l'obligeante érudition  du numismate toulousain bien connu, M. Georges Pierfitte, membre résidant de la  Société archéologique du Midi de là France.
du IIIè siècle de notre ère, et  assez endommagée. Ces terres superficielles représentent donc la couche historique.
  Au-dessous  se cachait une assise toute différente : terre argileuse rougeâtre, avec  fragments de pierre plus ou moins volumineux, souvent agglomérés par un dépôt  stalagmitique. La, MM. Campardou POULET ont recueilli de nombreux ossements  dont ils ont bien voulu me demander l'étude. Il s'agit d'une faune pléistocène,  du grand âge des cavernes : la couche rougeâtre à dépôt stalagmitique constitue la couche Préhistorique de la grotte.
  La  faune pléistocène. — Le matériel ostéologique recueilli se fait remarquer par  son état très fragmentaire ; j'ai rarement vu les débris d'os longs aussi  fréquemment réduits à l'état d'éclats ou même d'esquilles. Mais les dents et  certaines pièces crâniennes ou vertébrales sont bien conservées, ainsi que les  os courts des extrémités des pattes, et se prêtent parfaitement à la  détermination. 
Voici la liste des espèces identifiées :
Equus caballus L.  (Cheval). — Une incisive d'un  Équidé assez âgé, de dimensions normales.
    Cervus elaphus L.  (Cerf elaphe). -- Molaires  supérieures et inférieures du Cerf.  L'une d'entre elles, une supérieure, se distingue par ses dimensions un peu  plus faibles, qui sont celles des Daims quaternaires (type Dama somonensis DESM.);  mais sa couronne est allongée dans  le sens autéro-postérieur, comme chez le Cerf, et non presque carrée, comme chez le Daim.
    Cervus-(Capreolus) Capreolus L. (Chevreuil). — Quelques molaires typiques d'un sujet  moyen.
    Rangifer tarandus (Renne). — Quelques molaires supérieures et inférieures de cette espèce, qui paraît rare en ce lieu.
    Capra ibex L.  (Bouquetin). — Race de très forte taille.
    Rupicapra rupicapra L.  (Isard). — Quelques molaires supérieures et inférieures, de taille moyenne.
    Bos primigenius - Bos.  (Boeuf primitif ou Urus). — Une phalange du  sabot d'un Bovidé de très  grande puissance, longue de 103 mm, plus large que l'est habituellement celle  du Bison.
    Ursus spelaeus Rosen.m.  (Ours des cavernes). — Quelques pièces, notamment  une mandibule d'un sujet fort jeune, sur laquelle on ne peut encore apprécier le caractère spécifique de la chute  des prémolaires antérieures, mais dont les tuberculeuses possèdent bien la  complication typique de celles de cet animal.
    Canis lupus É. (Loup). — Carnassière puissante, décelant un fauve vigoureux.
    Vulpes vulpes L.  (Renard). — Mandibules avec dentition de taille normale,  sans atteindre la robustesse la plus grande connue chez les Renards  pléistocènes.
    Meles meles te. (Blaireau). —  Diverses dents, dont des canines notablement fortes et courbées  pour l'espèce.
    Hyaena crocula Erxleb. spelaea  GOLDF. (Hyène  des cavernes). —Canine inférieure, P3 supérieure gauche, très massives et  d'usure normale.
    Microfus arvalis Pall  (Campagnol des champs). — Nombreuses mandibules de taille assez constante.  Longueur des trois M inférieures : 6 à 6,5 mm. La sous-espèce voisine agrestis L, pourrait y être représentée, sans qu'on  puisse la distinguer d'après les seules molaires inférieures.
    Pitymys subterraneus Dr SELYS  (Campagnol souterrain). — Mandibule plutôt plus petite que  celle du Campagnol des champs. Ml inférieure  tl 4 angles sortants externes et 5 angles sortants internes,  comme dans l'espèce précédente, mais moins réguliers caractère indiqué par Didier et Rode (5), et avec confluence entre le premier  triangle externe et le premier triangle interne - caractère indiqué par Boule (6).
    Arvicola terrestris L.  (Campagnol terrestre). — Mandibules avec M1 présentant : 3 angles sortants  externes. 4 angles sortants internes et une boucle terminale arrondie. Longueur  des trois M inférieures : 7 mm.
    Arvicola amphibius L.  (Campagnol amphibie, "rat  d'eau"). — Mandibules les pins grandes de celles des Campagnolt.  Longueur des 3 M inférieures : 10 mm.
    Leptis (Oryctolagus) cuniculus L.  (Lapin de garenne). — Mandibule
    un peu  grêle, ayant, bien la morphologie  de celle du Lapin et non du
    Lièvre (reconnaissable notamment au bord de la branche  « horizontale ».
    Talpa europaea L.  (Taupe commune). — Mandibules assez robustes. Longueur de la série dentaire  inférieure : 12 à 13 min.
(5)Didier (Robert) et Roua (Paul). Les : Mammifères de France. ; 935. –in ch. d' Histoir. nat. (Soc. d't. 10, 1 vol. 398 p., 214 fig.. 27 pl.
(6)BOULE (Marcellin). Les grottes de Grimaldi  (Baoussé-Roussé). Géologie et Paléontologie. 1910. T. I., fasc. 3.
    Caractères  généraux de la faune. —
 Les restes qui donnaient ainsi dans le sous-sol profond  des Chambres de Bernicaut sont ceux d'une faune pléistocène, comme  le prouve la présence du Renne, de  l'Ours des cavernes et de l'Hyène des cavernes, espèces de cet âge en notre pays,  actuellement éteintes ou émigrées au loin; bien que de persistance plus  tardive, le grand Bœuf Urus s'associe à leur cortège. D'autres, le Cerf, le  Bouquetin, l'isard, aujourd'hui réfugiés en montagne, vivaient alors plus bas  dans les plaines, avec cette taille robuste qui est l'apanage de leurs races  préhistoriques et que nous avons notée à Bernicaut pour certaines d'entre elles,
    c'est, de plus, une faune exclusivement pléistocène. Quelques espèces  vivent encore dans le pays; mais leurs ossements de la grotte sont  contemporains de ceux du Renne, de l'Ours des cavernes et de l'Hyène; tous  possèdent la même patine, avec ces imprégnations rougeâtres d'oxydes de fer  empruntés à l'argile de décalcification et classiques sur les squelettes  d'animaux des gîtes paléolithiques et antérieurs. L'ensemble fut, en quelque  sorte, mis sous scellés, à l'abri de tout remaniement ultérieur, par la couche  suprajacente.
    Il s'agit enfin d'une  faune pléistocène banale et assez variée : 1 Ongulé  imparidigité, 6 Ongulés paridigifés, 5 Carnassiers, 5 Rongeurs et 1  Insectivore. Et ce n'est pas là une statistique complète des restes que peut  recéler la grotte, encore moins un catalogue des Mammifères qui vivaient alors  dans la région.
    En  sus les considérations qui précèdent et ; qui définissent une physionomie  faunique d'ensemble, notons quelques points particuliers.
    D'abord les  micromammifères (Rougeurs et Insectivores) : la liste donne une contribution  intéressante à l'histoire de leur peuplement. Remarquons le « rat d'eau », dont  les restes se trouvent dans cette crypte, bien au dessus de tout  point aquifère : avait-il jadis des habitudes moins spécialisées et moins  aquatiques que de nos jours ? On ne saurait le dire ; car il s'éloigne parfois  assez loin des rives ; et d'ailleurs l'homme l'a peut-être transporté à  Bernicaut.
    Ensuite la situation  du gisement à l'extrémité occidentale de l'éperon montagneux qui commande la  plaine du Castrais, et des coteaux du Lauragais, c'est-à-dire vers le milieu du  bassin sous-pyrénéen. Or là les documents pléistocènes sont rares; les Chambres  de Bernicaut constituent donc un repère paléontologique du Quaternaire dans une  contrée qui n'en est pas prodigue Les grottes elles mérites y ont été tenues un  peu à l'écart des campagnes spéléologiques du premier quart de ce siècle (7). Les  gîtes ossifères, ce sont Surtout les  cavernes des Pyrénées qui les fournissent ou bien celles des calcaires du Nord du Tarn et  du Quercy ou encore, pour la Montagne Noire, celles de son district oriental et  central. 
    Enfin l'absence de restes humains : malgré que les terres  de la, partie fouillée aient, été passées au crible, rien n’a été trouvé qui  témoigne de l'homme, ni squelettes, ni industries. Pourtant les os longs d'animaux  sont si brisés, parfois même réduits à l'état de menues  esquilles, qu'on ne voit pas qui aurait pu les diviser ainsi, sinon des mains  humaines.
    Aux  contacts du monde méditerranéen et du Bassin d'Aquitaine, dans cette région qui  marque l'extrême limite du Massif central (au sens large du mot), mais pour laquelle  le domaine pyrénéen n'est pas loin,  les Chambres de Bernicaut  constituent donc une station moyenne par excellence: ni de haute montagne ni de  plaine, mais pouvant avoir des rapports avec l'une et l'autre, ni exclusivement  du pays de l'Autan, ni exclusivement soumise aux vents atlantiques.
    On se trouve donc dans une zone de  carrefour, où pourraient être distinguées paléontologiquement  des influences de diverses origines. Les grottes en  question auraient ainsi l'intérêt de constituer un refuge de carrefour : telle  a peut-être été leur vraie fonction, du point de vue biologique, pour  les êtres vivants dont elles conservent les restes ou pour les hommes qui les y  ont laissés.
(7) Sur l'état de nos connaissances concernant les grottes et l'hydrologie souterraine de la région de Soréze, voir : MARTEL (E.-A.). La France ignorée. Des Ardennes aux Pyrénées. 1930. 1 vol. 306 p. Cf pp. 167468, 175.
