Société d’ Histoire de Revel Saint-Ferréol                                       LES CAHIERS DE L’ HISTOIRE

 

LE VENT D'AUTAN

 Par Jean Odol

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Le Lauragais est le pays des vents qu'ils viennent de l'Ouest (les cers) ou de l'Est (les autans). L'agitation de l'air est incessante et rares sont les journées calmes : à Villefranche, 68 jours par an seulement peuvent être qualifiés « sans vent ».




L'Autan, le vent maître du Lauragais

 

Comme le mistral, qui est le vent dominateur de la vallée du Rhône et de la Provence, l'autan est le maître du Lauragais par sa violence, sa vitesse et ses effets dévastateurs. Son importance dans la vie des populations lauragaises est si significative, que toute une littérature lui est consacrée avec une foule d'observations précises et de proverbes. Les dégâts qu'il entraîne dans les récoltes, dans les maisons (il ne faut jamais ouvrir les fenêtres par vent d'autan), sur les arbres fruitiers, le font appeler le « vent du diable », comme si c'était le Malin qui l'envoyait sur Revel ou sur Castelnaudary pour punir les hommes de leurs péchés ...

 

Un vent fou

 

À Bram ou à Castelnaudary, on l'appelle le marin, c'est à dire le vent qui vient de la mer Méditerranée. Mais son domaine ne se limite pas au Lauragais puisque son souffle se fait sentir jusqu'à Rodez, Cahors, Agen ou Auch. Sa vitesse et sa violence sont maximales vers Castres et en Lauragais où les vitesses records sont observées à Dourgne, Revel, Saint Félix, les Cassès (j'ai ainsi le souvenir d'une conférence sur les lieux mêmes du bûcher de 1211 où périrent des dizaines de cathares, et où le conférencier n'était pas entendu à quelques deux mètres ; l'autan « décoiffait » vraiment et ce n'était pas une image... ). Il peut souffler à 140 km à l'heure mais contrairement à ce que l'on pense parfois, le record des vitesses est détenu par le cers, le vent qui souffle du Nord Ouest.

 

Les directions de l'Autan sont variables. Il peut venir du Nord Est (l'autan de Sibérie ou manja fanga), plus généralement du Sud Est, parfois du Sud alors appelé vent d'Espagne, vent de Pamiers, de Mazères où même de Lybie. Plusieurs jours avant qu'il ne souffle, signe annonciateur, on peut voir très nettement les Pyrénées : « l'autan bol bufa » (l'autan va souffler) observent alors nos paysans.

 

Il se lève, lentement d'abord, furieusement ensuite. Il couche la végétation, dépouille les arbres de leurs feuilles ou de leurs fleurs, brise les branches chargées de fruits (une des raisons, sans doute, pour laquelle il n'y a que très peu de cultures fruitières en Lauragais), abîme les vignes. En juin, il peut « moissonner le blé » avant les hommes. Il abat les cheminées et les antennes de télévision ou fait faire la culbute aux anciennes « 2 chevaux ». En mai 1916, il y eut même mort d'homme lorsqu'il renversa sur la voie, à un kilomètre de Revel, plusieurs wagons du petit train du Lauragais (aujourd'hui disparu). Au lycée de Revel, une classe préfabriquée a été complètement retournée.


L'explication des spEcialistes

 

Comme nous l'avons déjà vu, il existe donc plusieurs types de vents d'autan, avec parfois des caractères très spéciaux pour l'autan de Sibérie, ce courant du Nord Est, très froid et très violent qui sévit seulement en février. Pour les autres types, l'autan résulte d'abord d'un effet de barrière : en se heurtant aux Pyrénées, le flux (ou courant) méridien (orienté Sud Nord) crée, sous le vent de la chaîne, au Nord, une petite zone de basses pressions dynamiques d'une extrême importance. Ce petit centre d'action amorce le mouvement en attirant autour de lui l'air méditerranéen par le couloir lauragais. Un effet de foehn (*) peut s'y ajouter. Déchargé de son humidité sur le versant espagnol, l'air se comprime et se réchauffe sur le versant Nord. Cet effet thermique vient renforcer la petite dépression dynamique et active l'appel d'air méditerranéen. Un autre effet de foehn se fait sentir sur le versant nord de la Montagne Noire, augmentant ici la vitesse du vent à Revel et à Saint Félix.

Au Nord des Pyrénées, les hautes couches s'affaissent créant un couvercle qui maintient l'autan dans les basses couches. Son épaisseur est en effet de l'ordre de 800 à 1200 mètres seulement. Coincé par le relief de la Montagne Noire et des Pyrénées et par le couvercle en altitude, l'autan subit une accélération ou effet de Venturi. Après Naurouze, un effet de dépression déclenche une brutale aspiration, non seulement de l'air du Sud Est, mais aussi de l'air supérieur, ce qui explique la violente turbulence du vent, avec des tourbillons d'axes horizontaux et de grosses irrégularités dans la vitesse, accélération à l'avant et ralentissement à l'arrière de ces tourbillons.


Le vent du diable

 

L'autan est bien sûr entré dans l'histoire. « La Chanson de la Croisade contre les cathares 1209-1229 » dépeint avec réalisme la tempête d'autan qui accompagnera l'ultime attaque lancée par les Croisés lors du siège de Toulouse, le dimanche 1er juillet 1218. Les historiens de Toulouse évoquent immanquablement l'incendie de la ville sous Louis XI, le 7 mai 1463, qui fut attisé par l'autan et détruisit sept mille maisons, soit les deux tiers de la cité.
Le vent du diable est détesté par les populations paysannes. L'autan est interprété comme une lutte manichéenne entre le bon vent ou « vent de Dieu » (représenté par le vent d'Ouest ou Cers) et le mauvais vent ou « envoyé du Diable », celui de l'Est). Il ravage les récoltes, casse, brise les champs de maïs et de tournesol. Dans les barriques, le vin « tourne » et se transforme en vinaigre.
Les anciennes habitations étaient quant à elles adaptées à l'autan. L'axe principal de la métairie était ainsi parallèle à la direction du vent qui se heurte toujours à un mur sans ouverture. La cuisine était placée au midi et souvent protégée par un auvent appelée « la capelada ». Aujourd'hui ces impératifs sont complètement oubliés et l'on s'étonne que, par vent d'autan, portes et fenêtres claquent brutalement avec souvent des bris de vitres ...

Les hommes supportent très mal ce vent fou qui provoque des migraines, une fatigue anormale, et une excitation que les enseignants retrouvent chez leurs élèves. Un dicton est bien connu : « quand l'auta bufa, los fats d'Albi dansan" (quand l'autan souffle, les fous d'Albi dansent). Le vent agit également sur les animaux : les boeufs donnent des coup de cornes, les chevaux des coups de pied, les chiens mordent, les vipères attaquent. Même les poissons n'ont pas faim suivant le dicton « l'auta es pas cassaire, es pas pescaire, es pa femnejaire », soit « l'autan n'est pas chasseur, n'est pas pêcheur, n'est pas favorable aux coureurs de jupons », (dans femnejaire, il y a le mot femna, la femme).

Le vent d'Est est maudit car selon un témoignage que je tiens d'un très vieux paysan Lauragais aujourd'hui disparu : « le vent d'Est soufflait le Vendredi Saint. Il ne voulut pas apporter de l'eau au Christ en croix et c'est pour cela qu'il est maudit ».

Ami lecteur, allez vous promener en Lauragais et découvrez que le vent d'autan s'inscrit dans le paysage humanisé. Sur la route, entre Castelnaudary et Revel, les platanes sont déformés par le vent et l'on voit concrètement la direction d'où il vient. Regardez toutes les anciennes métairies, toutes parallèles à la direction du vent. A Soréze ou Revel, on aperçoit encore de grosses pierres sur certains toits. Toutes les métairies étaient entourées de haies brise vent, avec beaucoup d'ormeaux. Aujourd'hui, ceux-ci sont morts, beaucoup de haies ont disparu, mais regardez les haies modernes que l'on replante un peu partout, pour se protéger ou mettre à l'abri les parcelles portant blé, tournesol, ou pastel (vers le Mas Saintes Puelles par exemple) : contre quoi ?

 
Preuve que l'autan demeure, encore aujourd'hui et sans doute pour longtemps, le seigneur maître du Lauragais.

 (*) le foehn est un phénomène remarqué dans les Alpes autrichiennes : après avoir passé les Alpes, l'air se comprime, s'échauffe et devient très violent. Le vent d'autan subit un effet de foehn identique sur le versant Nord de la Montagne Noire.

 

Bibliographie:


Jean Odol : "Le Lauragais, pays des cathares et du pastel" Editions Privat. 1995


Article paru dans Couleur Lauragais N°15 - Septembre 1999