Société d’ Histoire de Revel Saint-Ferréol PARU DANS LES CAHIERS DE L’ HISTOIRE N° 22 - 2020 |
Un Revélois mort en combat aérien
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(Tous nos remerciements à M. Étienne Clément pour nous avoir fait connaître « cette histoire »,
à Madame Bernadette Desplats pour nous avoir permis d’utiliser ses archives familiales
et à M. Albin Denis pour nous avoir permis de publier ses informations).
Les circonstances du décès
Ce matin du 24 février 1918, le sergent Henri-Jean Albrecht (né à Revel) s’apprête à monter, en compagnie de l’adjudant André Lévy, à bord de son avion pour une mission de bombardement (SOP 29 ).
Henri est le mécanicien-mitrailleur et André le pilote. Ils ont déjà effectué de nombreux vols mais celui-ci est le dernier. Ils seront abattus au-dessus du village de Lutterbach (un autre document précise le village de Niederaszach), situé près de Mulhouse dans le Haut-Rhin (68) par la JASTA 41 . Henri sera gravement blessé (et fait prisonnier). Il succombera au bout de 1 mois (le 24 mars 1918). Leurs corps reposent dans le cimetière militaire de Lutterbach.
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-----La tombe d’Albrecht dans le cimetière militaire du village de Lutterbach.
Crédit photo : Damien Kuntz site internet Cf. http://albindenis.free.fr/Site_escadrille/escadrille029.htm
Le Revélois Albrecht Henri et l’escadrille 29
Henri est de la classe 1917 ; il s’engage le 15 juillet 1915 à Toulouse, à l’âge de 18 ans, et est incorporé dans le deuxième groupe d’aviation. Son matricule est le n°1473. Le premier octobre, il part de la gare de Lyon (ou de l’aérodrome de Lyon-Bron) et rejoint le 5 octobre 1915 le G.B. 104 (Groupe de Bombardement 104) à Luxeuil-les Bains (Haute-Saône) situé au nord-ouest de Belfort . Il est « mécanicien voilier » .
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Le 11 novembre 1918, l'escadrille BR 29 était installée sur le terrain de Plivot (département 51). Quinze victoires avaient été homologuées dont 2 probables.
Cette escadrille avait payé un lourd tribut à la guerre avec 37 tués au combat (dont 12 par accident), onze blessés au combat. Sept membres d'équipage ont été faits prisonniers pendant les opérations aériennes.
La SOP 29 (BR 29) est l'une des unités de l'aéronautique militaire française de la Grande Guerre qui a subi le plus de pertes humaines. Pratiquement le triple des autres !
L’escadrille 29 a été créée quelques mois avant son engagement, le 29 mai 1915, pour remplacer l’escadrille V 29 dissoute le 15 mai 1915. Elle devient l’escadrille de bombardement de Belfort. Cette unité est placée sous le commandement du capitaine Maurice Happe , un des pionniers de l’aviation de bombardement en France.
Le recensement des pertes, victoires est tiré du site :
http://albindenis.free.fr/Site_escadrille/escadrille029.htm
Naissance de l’escadrille MF 29, le 4 juin 1915
L’escadrille reçoit l’appellation de MF 29, le 4 juin 1915. Ses personnels et le matériel roulant font la liaison entre Lyon-Bron et Belfort par chemin de fer. L’échelon volant est parti du Bourget entre 14h10 et 14h15, le 3 juillet 1915. Les premiers avions, six MF 11, arrivent le même jour entre 18h55 et 19h15. Au total c’est donc 8 MF 11 qui forment la dotation initiale de l’escadrille MF 29.
Dès le 5 juillet 1915, le Capitaine Happe teste les vols en formation de sept appareils. Cette mission, sur l’itinéraire Belfort - Luxeuil - Lure - Belfort, soit 77 km, a été réalisée en deux heures de vol et a nécessité 210 litres d’essence et 35 litres d’huile. Il a fallu aux avions entre 45 minutes et 1 heure pour monter à 2000 m.
Dans le Journal Officiel du 14 juin 1918,
p. 5138 on peut lire :
« ALBRECHT (Jean-Henri), matricule 1473, caporal au 2e groupe d’aviation, mitrailleur à une escadrille : mitrailleur courageux et plein d’allant. A exécuté un grand nombre de bombardements et missions de reconnaissances au-dessus de l’ennemi et a descendu un avion au cours de l’une d’elles.
Est glorieusement tombé dans les lignes allemandes ».
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............Fanion de l'escadrille SOP 29 de 1917 (recto-verso). Il mesure 38 cm x 22 cm hors passants et présente de nombreuses traces d'utilisation. Ce fanion étant beaucoup plus petit que la taille réglementaire, il s'agit probablement d'un fanion d'avion car il a été fabriqué « en très solide ».
http://albindenis.free.fr/Site_escadrille/escadrille029.htm
Collection Jean-Laurent Truc.
Fiche militaire - fiche matricule d’Henri Albrecht archivée aux Archives Départementales de la Haute-Garonne : classe 1917 - Recrutement de Toulouse sous le matricule n° 1473.
Le détail des services précise (il n’est pas dans l’ordre chronologique - des numéros rajoutés donnent la chronologie) :
« A contracté le 15 juillet 1915 à la Mairie de Toulouse un engagement volontaire pour la durée de la guerre pour servir dans le 2° Groupe d’Aviation. Arrivé au corps et soldat de 2° classe le 17 juillet 1915 - (3) Passé au 3° groupe d’aviation le 1er janvier 1916 - Caporal mitrailleur le 5 novembre 1917 - Sergent mitrailleur le 20 février 1918.
(4) Disparu le 24 février 1918 (N.D.L.R. avec ajout complémentaire de la mention - « et fait prisonnier le dit jour ») au cours d’un bombardement sur les lignes ennemies - Décédé à Niederaszach le 24 mars 1918 (chute en avion) (2) Parti aux armes le … Certificat de bonne conduite ».
(fiche communiquée par M. Albin Denis site : http://albindenis.free.fr/Site_escadrille/escadrille029.htm).
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.................Le 18 du boulevard de la République ;
actuellement le Crédit Agricole et une agence immobilière occupent l’ancien magasin Hermann. .
Fiche militaire d’Henri Albrecht constituée au G.D.E. (Groupement des Divisions d'Entraînement) qui ne présente que les personnels qui ont fait des formations,
stages au sein de ce groupement (cf. Albin Denis).
Cf. fiche : Ministère de la Défense Nationale -
Mémoire des Hommes
Henri Albrecht - le cadre revélois
Henri est né le 17 avril 1897 à 3 h du matin à Revel (la déclaration sera faite le lendemain 18 avril à 10 h du matin) .
Ses parents sont Hermann Albrecht, mécanicien âgé de 38 ans et Marie-Apollonie Massip, couturière âgée de 18 ans .
En 1901, ils habitent dans « la maison Varennes » située porte du Temple. Lors de l’incorporation d’Henri leur domicile sera au n°18 du boulevard de la République où se situe le magasin « Hermann », point de vente et de réparation de vélos.
Un fils de réparateur de vélos devait faire à cette époque un bon mécanicien d’avion. En tout cas, lors de son incorporation, Henri deviendra mécanicien navigant d’avion.
États des recensements - Archives Municipales de Revel
Recensement 1901 : ils habitent la maison n°421 « Faubourg du Temple et Fuziès ».
1906 : « maison n° 789 boulevard de la République ».
1911 : « maison n° 10 boulevard de la République ».
Nota : les numéros de maisons correspondent au numéro d’ordre de recensement et pas au numéro officiel de la rue. Pour le recensement de 1901 la mention « Faubourg du Temple et Fuziès » (sur l’acte de mariage il est aussi indiqué « porte du Temple ») désigne la même situation de domicile, c’est-à-dire le boulevard de la République.
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Le magasin de vélo d'Hermann,
son père (debout à droite). On distingue des affiches des cycles Humber Beeston, Terrot de Dijon, cycles Gladiator, etc. certaines ont été personnalisées avec le nom du commerce revèlois "Hermann".
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Les démarches administratives
et juridictionnelles pour valider
le décès d’Albrecht
(La plupart des informations portées dans ce paragraphe sont archivées dans le dossier coté A.M.R. cote 4 H 7).
Le 9 avril 1918, Albrecht est « présumé prisonnier » et « disparu le 24 février 1918 au cours d’une mission de bombardement en territoire ennemi ».
À cette date l’administration n’a pu recueillir de précision et on demande de s’assurer de façon discrète que la famille n’a pas reçu d’information. « Si tel est le cas, on peut alors prévenir la famille des informations ci-dessus portées ».
De Bron, le 22 avril 1918, le 2° groupe d’aviation avertit le maire de Revel de prévenir la famille « avec tous les ménagements nécessaires en la circons-tance » que le décès d’Albrecht est signalé par un avis de la Croix-Rouge de Francfort. Ce renseignement est aussi porté au Ministre de la Guerre. La correspondance délivrée par le message suivant démontre ainsi que cette information est sous réserve :
« Je vous prie de vous assurer par une enquête discrète qu’il a cessé depuis longtemps de donner de ses nouvelles et dans ce cas communiquer à la famille les renseignements qui précèdent en faisant ressortir leur caractère officieux. Je vous prie de présenter à la famille les condoléances du Ministre de la Guerre … ».
Le 8 mai une autre lettre confirme celle du 22 avril.
Toujours de Bron, le 13 mai 1918, le chef du bureau de comptabilité du 2° groupe d’aviation s’adresse à M. le maire de Revel. Il précise que sa lettre du 22 avril avait porté l’information du décès d’Albrecht mais sans connaître le lieu d’inhumation. Par cette lettre il informe qu’il est inhumé au cimetière de Lutterbach à la tombe 335. Une courte note du 28 septembre 1918 du 2° groupe d’aviation porte l’information suivante :
«… prévenir Mr Albrecht, Bd de la République que le Sergent Albrecht Henri-Jean est signalé sur une liste officielle Allemande A.E.M. 2681 comme étant décédé le vingt-quatre mars 1918 à Niederaszach au sud de Sennheim (sic) ».
De Bron le 16 juillet 1920.
Information est donnée au maire (pour transmission à la famille) que le tribunal de Villefranche, en date du 9 juin 1920, a rendu un « jugement déclaratif de décès concernant le sergent Albrecht Henri ».
Ce jugement est transcrit à la mairie de Revel le 11 juin 1920 en fixant la date de décès au 24 février 1918.
Le 17 mai 1922, l’officier délégué du Conseil d’Administration du 35° Régiment d’Aviation opérant pour le 2° groupe d’Aviation envoie une lettre au maire de Revel pour « communication à la famille » : « J’ai l’honneur de vous faire connaître que le corps du Caporal Aviateur Albrecht Jean, du 2° groupe d’aviation, escadrille n°29, classe 1917, recrutement de Toulouse N° Mle 1473 décédé le 24 février 1918 a été découvert et identifié au Cimetière Militaire 9. L’. (?) de Mulhouse, carré 67, tombe 284, et a été transféré au cimetière militaire de Lutterbach Arrondissement de Mulhouse (Haut-Rhin) le 3 février 1922, par les soins de l’État Civil secteur de Mulhouse, numéro de la tombe 284. Un avis ultérieur indiquera le numéro définitif de la tombe ».
Signé « l’Officier délégué ».
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Le Bréguet 14 est l’un des appareils majeurs du premier conflit mondial. Engagé au combat en septembre 1917, son exceptionnelle robustesse permet son emploi sur tous les fronts comme appareil de bombardement et de reconnaissance. Son moteur Renault de 300 chevaux permet d’évoluer vite et à haute altitude sans aucune escorte.
Combats aériens au-dessus de Lutterbach
Cf. site de la Société d’Histoire de Lutterbach
« Les combats aériens dans le ciel Lutterbachois attiraient toujours beaucoup de monde dans les rues pour observer les différents duels, malgré les arrêtés municipaux prescrivant la conduite à suivre en cas d'attaque aérienne, telle celle de se réfugier dans les caves en laissant toutes les portes d'accès ouvertes, ou encore celui du 28 août 1915 préconisant les diverses mesures à prendre pour l'obscurcissement des fenêtres et des portes.
La supériorité des aéroplanes français était indéniable jusqu'en 1916 mais cela changea par la suite. Ainsi le 18 mars 1916 à 17 heures, une escadrille française composée de 18 monomoteurs biplaces Bréguet-Farman, du Groupe de Bombardiers N°4 de Belfort bombarda la gare de la Wanne et l'aérodrome de Habsheim. Ils furent pris en chasse par 12 Fokker allemands. Un furieux combat aérien s'ensuivit dans le ciel mulhousien et 4 avions français et 3 allemands furent abattus. L'un des appareils français tomba dans le pré près de la Doller et les deux officiers furent tués. D'autres avions français tombèrent encore sur le ban de la commune ; selon les témoignages recueillis auprès de Mesdames Schartner et Stanger, l'avion de Gaston Lebrun tomba dans le pré de la rue de Morschwiller non loin de la maison Spony. Elles fermèrent les yeux de l'aviateur tué. Elles furent également témoins de la chute, le 25 février 1917, de l'avion du Capitaine Rivière qui tomba disloqué dans la forêt. L'aviateur fut enterré sans pompe au cimetière de Lutterbach. Des jeunes filles qui avaient assisté à ce triste enterrement, confectionnèrent dans la nuit une gerbe faite de branches de taxus et de quelques fleurs tricolores et la déposèrent sur la tombe de l'aviateur français. Ce geste pieux mit les autorités allemandes en émoi. La presse locale relata le fait et nombreux furent ceux, parmi eux des Mulhousiens, qui allèrent s'incliner sur la tombe ».
. Cf. fiche d’État civil - Archives Municipales de Revel - déclaration n°42 du 18 avril 1897 validée par François Raissac adjoint au Maire de Revel.
. Le père d’Henri, Hermann, est né à Stadel dans le canton de Zurich (Suisse) le 14 juin 1863. Il se marie avec Marie-Apollonie Massip (« âgée de dix-sept ans passés », née à Revel le 23 août 1878, le 15 février 1896 (acte de mariage n° 11 - Archives Municipales de Revel - acte authentifié par le Maire Arthur Taussac).
. Ce jour-là, trois avions de la SOP 29 ont été abattus. Dans le deuxième avion ce sont le sous-lieutenant Arnault (pilote) et le Caporal Henri Ouanet (mitrailleur) qui seront tués au combat (Bréguet 14 B2 n°1346) ; le troisième équipage aura plus de chance car il ne sera que blessé (le sergent Gustave Baron, pilote et l’adjudant Emmanuel Orain, mitrailleur).
La SOP 29 (avec les SOP 123 - SOP 129 - SOP 131 - SOP 132 - SOP 134) était stationnée à Luxeuil, puis en janvier 1918, à « Le Plessis-Belleville ». Le 18 janvier 1918, les personnels de l'escadrille 29 sont transférés sur Bréguet 14 B2 et l'unité prend alors, comme c'est l'usage, la dénomination de BR 29 (antérieurement à la SOP 29 elle s’appelait MF 29).
. La Jasta 41 (ou « Königlich Preußische Jagdstaffel » n°41) était une escadrille de chasse de l'armée allemande (« Deutsche Luftstreitkräfte » connue avant octobre 1916 sous le nom de « Fliegertruppen des deutschen Kaiserreiches ») durant la Première Guerre mondiale. « Jasta » est un acronyme formé par l'abréviation du mot allemand « Jagdstaffel » (escadrille de chasse).
Ce 24 février 1918 trois pilotes allemands ont revendiqué des victoires pour les trois avions français abattus : les lieutenants Hans Weiss (8ème victoire), Georg Schlenker (12ème victoire) et Albert Dietlen (5ème victoire).