Société d’ Histoire de Revel Saint-Ferréol                                       PARU DANS  LES CAHIERS DE L’ HISTOIRE numéro 14 – 2009

 

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BRIGANDS ET BRIGANDAGES DANS LE REVÉLOIS
 ET LA MONTAGNE NOIRE  AUX XVIIIème  ET XIXème SIÈCLES 

 

           Maurice de POITEVIN

 L’indulgence  pour le crime est une conspiration contre la vertu. » (Maxime révolutionnaire).

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Par des recherches dans les archives (nationales et départementales), l’auteur recense les causes possibles du brigandage dans notre région : quelles soient politiques (insécurité sous la Révolution, l’Empire au moment de la guerre d’Espagne, la Restauration), économiques (mauvaises récoltes, hausse des prix agricoles).
Puis il précise les sites propices au brigandage, ainsi que la composition sociale de ces bandes plus ou moins organisées.
Il détermine aussi la manière dont elles opéraient. Des documents officiels décrivent la capture et la répression des bandits, dont quelques-uns jouent au robin-des-bois, défenseurs des pauvres paysans, du type de Mandrin, dont la complainte est encore sur toutes les lèvres.

Le brigandage est une réalité historique difficile à cerner, car il fascine les imaginations et rejoint rapidement la légende.

Dans la France de l’Ancien Régime, le brigandage est un fléau très répandu, vu la multitude de mendiants et de vagabonds qui encombraient les villes et les campagnes : les Routiers aux XIIème et XIIIème siècles, les Grandes Compagnies au XIVème siècle, les écorcheurs  aux  XVème et XVIème siècles. Au XVIIIème siècle, le Toulousain et l’Albigeois sont largement touchés par ce mal. ([1]) Sous l’Empire, les départements de la Haute-Garonne et du Tarn figurent parmi les quatorze départements du Midi les plus atteints par le brigandage.

     Le mot brigand vient de l’italien « brigante » qui désigne « celui qui va en troupe ». Pour les auteurs de la grande Encyclopédie, le brigand était un « vagabond redoutable qui court les campagnes pour piller et voler les passants », et, pour ceux du Dictionnaire de Trévoux, « un voleur de grand chemin ».

 Le brigandage est un ensemble de crimes et de délits -c’est-à-dire des vols à main armée et en troupe auxquels s’ajoutent souvent des assassinats et des incendies- perpétrés sur les grands chemins et dans les campagnes. (2)

Quelles pouvaient être les causes des actes de brigandage ? Les conditions politiques ont eu leur importance dans l’essor du brigandage. D’une manière générale, les troubles et l’instabilité politique de l’État engendraient l’insécurité, la diminution de la moralité publique et l’affaiblissement de la répression.  Ce fut le cas sous la Révolution en particulier sous le Directoire, l’époque type du brigandage, sous l’Empire, à partir de 1808 (début de la guerre d’Espagne) et aux débuts de la Restauration.

Cependant, à côté des facteurs politiques, les conditions économiques et sociales jouèrent sans doute un rôle important dans l’origine et le développement de toutes les formes de brigandage.

A partir des années 1760, la France entrait dans une longue période de hausse des prix, justifiée (en partie) par de mauvaises récoltes dues aux aléas climatiques (hivers très rudes de 1765, 1766 et 1770 ; étés très secs de 1767, 1771 et 1772).

La crise de l’An III (1794-1795), due aux troubles révolutionnaires  et à des hivers les plus terribles du siècle, provoqua, comme de coutume, une effroyable crise de misère : le chômage, « la cherté des grains », « la disette du pain » et l’exode massif des villes vers les campagnes. (3)  La chute de L’Empire, avec la crise économique de 1810-1812, et les débuts de la Restauration (1815-1818) furent des périodes particulièrement difficiles.

 

 Les invasions de 1814-1815 avaient épuisé les réserves de céréales du pays et la récolte de 1816 fut très insuffisante pour de nombreuses productions (grains, pommes de terre, vin).

 En novembre 1816, une insurrection éclata à Toulouse, au faubourg Saint-Cyprien.

 

    1. GARRIGUES (Damien), « Misère et brigandage en Pays Toulousain et Albigeois (XIVème _ XVIème siècles) », Gazette du Tarn, 30 décembre 1934.
    2. GEREMEK (Bronislaw), « Criminalité, vagabondage, paupérisme : la marginalité à l’aube des temps modernes », Revue d’histoire moderne et contemporaine, tome XXI, juillet-septembre 1974, p. 358.

    
3.  DUBY (Georges), « Histoire de la France rurale », Paris, Seuil, 1976, tome III, p. 50.

 

 

 

En bref, un certain nombre d’actes de brigandage semblaient correspondre à des hausses périodiques du prix des grains, génératrices de mécontentement et de misère. (4)

     Comment devenait-on brigand ? En dehors des malheurs individuels (invalidité, maladie, mort des parents ou du conjoint), c’étaient surtout les crises politiques et économiques qui provoquaient des déracinements collectifs. Dans les sociétés traditionnelles (c’est-à-dire préindustrielles et à prédominance agricole), tout individu était profondément lié à son milieu familial et professionnel. Toute rupture était dramatique, faute de structure d’accueil.

Ainsi, on peut suivre la dégradation qui fait du  « travailleur de terre » (ouvrier agricole) en surnombre, un chômeur, puis un « mendiant d’occasion » avec encore quelques menues activités (par exemple colporteur), avant de devenir un mendiant d’habitude, vivant entièrement de la charité publique.

Les mendiants s’assemblaient en bandes errantes, qui étaient en dehors de toute légalité, car elles mendiaient sans passeport, ni autorisation. Hors la loi de par sa situation même, le mendiant le devenait très vite par nécessité, le vol étant le complément obligé de la mendicité : il était alors un délinquant, puis un criminel, lorsqu’il tuait sa victime qui défendait ses biens avec acharnement.

De la mendicité au brigandage, le passage est logique, mais un brigand n’était pas nécessairement un mendiant, ni un vagabond. (5).

 

L’organisation et la composition des bandes de brigands

 

     Quels étaient les sites propices au brigandage ?  Pour l’historien Fernand Braudel, les lieux privilégiés du banditisme étaient les chaînes de montagnes et les grands espaces forestiers. Effectivement, les brigands appréciaient la Montagne Noire et ses alentours immédiats à proximité de Dourgne, Soréze et Revel- avec ses ravins profonds, ses cavernes et la possibilité d’y avoir « des retraites souterraines » ; ils « se tenaient en sentinelle » sur les lieux les plus élevés pour déjouer les recherches effectuées contre eux.

 En outre, cette zone, « située aux confins du Tarn, de l’Aude, de la Haute-Garonne et de l’Hérault », c’est-à-dire à la limite d’une frontière administrative et judiciaire, permettait aux brigands d’échapper aux poursuites de toutes sortes. (6)

Les malfaiteurs hantaient volontiers les forêts et les bois en particulier ceux de l’Aiguille et de Malabarthe dans le Sorèzois, ou toute trace précise s’effaçait.

Ils s’y retiraient après leur expédition pour le partage du butin ou pour se mettre à l’abri des poursuivants. Les marchés et foires de Revel étaient « visités » régulièrement par les brigands ; divisés en petits groupes, ils parcouraient le champ de foire en « se distribuant les rôles et les postes et en se faisant des signes d’intelligence pour escroquer, voler ou faire tomber quelques personnes dans leurs pièges. » (7)

Qui étaient ces brigands ?  C’était généralement des « gens du pays » ou des départements limitrophes. Les métiers de l’artisanat venaient largement en tête -valets de moulins, ouvriers maçons- avec en particulier les travailleurs du textile, c’est-à-dire les garçons tisserands, les cardeurs ou peigneurs de laine et les fileurs de coton.

Autre prédominance, le salariat rural avec la présence exclusive des « travailleurs de terre » ou  « brassiers », c’est-à-dire des valets de ferme. En fuyant la misère, ces paysans cherchaient les moyens de vivre.

Quant aux anciens militaires, déserteurs ou réfractaires, ils étaient, semble-t-il, peu nombreux, bien que l’armée et les guerres aient été souvent présentées comme l’école du brigandage.

En revanche, nous n’avons rencontré aucun Bohémien, ni colporteur, que leur profession vouait à l’errance et qui attiraient la présomption de délinquance. Il s’agissait d’une population jeune, car plus de la moitié avait moins de 30 ans.

Ces bandes de brigands n’excédaient pas une dizaine d’hommes (de l’ordre de 3 à 8 brigands le plus souvent), parfois une douzaine.

 Ce petit nombre d’effectif empêchait toute action d’envergure, mais permettait aussi d’échapper plus facilement aux recherches de la Gendarmerie. C’était très souvent des groupes peu organisés, assez inconsistants, formés à l’occasion d’un coup de main et vite dispersés une fois l’opération réalisée.

La disparition du chef entraînait souvent la dissolution de la troupe, qui revenait au vagabondage ou à la mendicité classique. Ces associations précaires, nombreuses durant les périodes de crises économiques, régressait fortement pendant les bonnes années.

 

 

4. BRAUDEL (Fernand), « Misère et banditisme », Annales E.S.C., 1947, pp. 133-136 – MARJOLIN (Robert), « Troubles provoqués en France par la disette de 1816-1817 », Revue d’histoire moderne et contemporaine, 1933, pp. 424-437.

5. Aspects modernes du banditisme, XVème Congrès français de criminologie, Clermont-Ferrand, 1976, p. 93.

6. Archives Départementales du Tarn (en abrégé A.D.T.), IV M 4  4,  Lettre du Sous-préfet de Castres au Préfet du 12 juillet 1820.

7. Archives nationales (en abrégé A.N.), F7  9574, dossier I  6775, 31 décembre 1828.

 

Cette forme de brigandage pouvait même avoir un rythme saisonnier. Durant la belle saison, le nombre de mendiants et de vagabonds (c’est-à-dire souvent de futurs brigands) diminuait, car les travaux agricoles employaient beaucoup de bras. En revanche, dès l’approche de l’hiver, le travail était moindre dans les fermes. Effectivement, un certain nombre d’actes de brigandage étaient commis durant la saison froide (novembre-mars), car, en outre, « la longueur des nuits et le mauvais temps favorisaient les brigands. »

     A côté de ces groupes plus ou moins épisodiques, il existait des bandes fortement constituées (très minoritaires) qui commettaient de nombreuses infractions graves. En 1805, une bande de brigands, dirigée par Mazars, dit la Déroute, « occupait les montagnes » situées sur les confins des départements du Tarn, de l’Aude et de la Haute-Garonne, suivant une « ligne » déterminée par les localités d’Arfons, Les Cammazes, Soréze, La Pomarède et Saint-Félix de Lauragais.

Ces bandits avaient « des domiciles fixes », où ils se recevaient mutuellement et qui leur servaient éventuellement « d’asile » ou de « retraite », en cas de poursuite. Ils entretenaient « des correspondants » dans plusieurs communes et ne « se ralliaient par des signaux convenus que lorsqu’ils avaient quelque expédition à faire. » Elle est la seule bande que les « renseignements » de Gendarmerie mentionnent expressément comme n’étant « point errante ». (8)
 

Toutes les autres bandes structurées ont pour principe général de « parcourir les mêmes endroits » -dans un rayon approximatif d’une trentaine de kilomètres, d’après nos calculs, mais « sans jamais séjourner ». La « bande de La Plume » fut certainement « la plus fameuse » que nous ayons rencontrée au cours de nos recherches. (9)

 Constituée sous le Directoire L’An III est sa période de grande activité-, elle regroupait au moins une douzaine de « sélérats », dont la moyenne d’âge est d’environ 37 ans. Nous ne savons rien sur son  « chef », La Plume, sinon qu’il était âgé « d’environ 38 à 40 ans ». En revanche, nous sommes mieux renseignés sur ses « compagnons » ; deux d’entre eux étaient étrangers à la région, c’est-à-dire nés en Normandie ou « se disant d’Alzonne » (Aude) ; les autres étaient « des gens du pays », à savoir de Castres,  Saint-Amancet, Roumens et Saint-Félix de Lauragais.  Parmi les anciennes professions exercées par ces brigands, notons trois anciens militaires, un maquignon et un ancien domestique de la famille Cafarelli du Falga. Cette bande parcourait « le district de Castres, Lavaur, Revel et Montolieu» et  « paraissait occuper la montagne. » 

Ils détroussaient les passants dans le bois de  l’Aiguille  ou au  pont de la  Mayre, à la sortie de Revel, sur la route de Castres allant même jusqu’à assassiner trois voyageurs au Pas del Rieu (commune de Labruguière).

 Une chaumière, établie sur le chemin de Revel aux Cammazes au lieu-dit la Baraque dans un « véritable coupe-gorge appelé le Trou du loup » était devenue « le repaire nocturne » de ces brigands. Le « fameux La Plume, auquel la renommée attribue beaucoup de crimes », sera arrêté pour brigandage le 2 pluviôse an VII (21  janvier 1799). (10)
 

De quelle maniEre opEraient les brigands ?
 

La plupart du temps, ils agissaient masqués. Pour tromper la vigilance de leurs victimes, ils se déguisaient en mendiants, couverts de haillons, en paysans, en soldats mourant  de faim, en prêtres même parfois, ils s’habillaient en gendarmes qui prétendaient rechercher des réfractaires ou des déserteurs.

Leurs armes favorites étaient généralement les fusils à deux coups, les pistolets de poche ou espagnols avec garniture d’argent, mais aussi des armes tranchantes (sabres, haches, poignards, baïonnettes) ou quelquefois des bâtons ferrés.

 Ils s’introduisaient dans les habitations, généralement de nuit, soit par la force (fausses clés, passe-partout, madriers pour briser les portes), soit « par ruse et par finesse » ; dans ce cas, ils pouvaient imaginer des supercheries : réclamer quelques secours pour un malade pour forcer la porte d’un presbytère, ou bien invoquer la blessure d’un cheval pour s’introduire dans une ferme.

Ils s’en prenaient aux puissants (propriétaires nobles ou bourgeois, marchands ou négociants), mais aussi aux faibles, c’est-à-dire les classes populaires dont ils aggravaient la misère générale. (11)

 

8. A.N., AF IV 1494, bulletin du 10 messidor An III (29 juin 1805) ; F7 8493, dossier 3924, les 4, 14, 17, 25, 30 prairial et 17 messidor AN III (24 mai, 3 juin, 6 juin, 14 juin, 19 juin et 6 juillet 1805). – A.D.T., IVM 4  1, 20 prairial AN III (9 juin 1805).

9. Ma grand-mère maternelle (née en 1887) m’a souvent parlé du Brigand La Plume. Un des trois ponts, situés sur la route de Revel à Saint-Ferréol s’appelait, paraît-il, « Le pont La Plume ».

10. A.D.T., L336, 22 prairial An II (10 juin 1795), L 785, 25 floréal An III (14 avril 1795), L 789, 19 floréal An III (8 mai 1795) et L 793, 20 prairial An III (18 juin 1795). 11. CASTAN (Nicole), Les criminels de Languedoc : les exigences d’ordre et les voies du ressentiment dans une société révolutionnaire (1750-1790), Toulouse, Association des publications de l’Université de Toulouse-le-Mirail, 1980, pp. 224-228.

 

 

Quel était le butin de leurs rapines ? Pour reprendre les formules de l’époque, les brigands s’intéressaient à « tout ce qui leur était nécessaire » et « finalement à tout ce qu’ils pouvaient trouver ». Parmi les produits de leurs vols figuraient l’argent -la prise la plus recherchée- les petits objets de valeur (bijoux, montres, vaisselle d’argent ou d’étain, cuivre), les vêtements et le linge usuels, les produits et les denrées alimentaires (céréales, pommes de terre, pain, viandes salées et surtout charcuterie), les volailles et plus rarement des moutons et des chevaux. (12)
 

La rEpression du brigandage
 

Pour lutter contre le brigandage, les autorités politiques et administratives prenaient un certain nombre de mesures préventives. Aucun voyageur ne pouvait monter dans une voiture publique sans un passeport en règle, sous peine d’être arrêté comme individu « suspect ». « Les mauvais sujets » étaient « très surveillés », et les préfets demandaient parfois à certaines municipalités « la liste des hommes dont la mauvaise réputation pouvait faire élever des soupçons contre eux ».

En vertu de la loi du 16 août 1790, les officiers de police étaient astreints à de fréquentes visites dans les auberges et les cabarets, où pouvaient se dissimuler des vagabonds et « des gens sans aveu ». Des patrouilles des gardes nationales étaient organisées sur les routes, aux abords des villes, les jours de foire et de marché, pour déjouer les agressions des brigands placés en embuscades.

     Les préfets pouvaient ordonner, « comme mesure de précaution essentielle », un recensement général des armes de toute espèce, sur l’ensemble du département, pour connaître et« surveiller avec le plus grand soin » toutes les personnes n’appartenant pas à la garde nationale. Ils avaient aussi la possibilité de faire désarmer « à domicile » tous les individus « suspects », et même de faire procéder au « désarmement général » de toute une commune. (13)

En revanche, des collectivités et des citoyens étaient amenés à demander l’autorisation d’avoir des armes.  En 1794-1795, l’administration du district de Castres envoyait à la municipalité de Soréze, un lot de 25 fusils (autant de piques) et de 50 cartouches pour disperser certains attroupements de brigands, « qu’on nous a dit bivouaquer sur les frontières du département ». En 1798, la municipalité estimait qu’une brigade de gendarmerie était « absolument nécessaire » à Soréze, en raison des nombreuses forêts environnantes qui fournissaient une retraite aux « gens sans aveu ». En 1820, par crainte des brigands, les bergers de la Montagne Noire voudraient avoir un fusil pour conduire leurs troupeaux dans les champs. (14)

 

De la Révolution au milieu du XIXème siècle, les moyens de répression ne changèrent pas sensiblement. La gendarmerie créée par le décret du 16 février 1791 pour remplacer l’ancienne maréchaussée, demeurait la principale force d’intervention, aux effectifs encore très faibles. Certes, les gardes nationales, création révolutionnaire, pouvaient être d’une aide précieuse dans la lutte contre le brigandage.  Mais au fil des années, l’enthousiasme des gardes nationaux s’émoussa, à tel point qu’ils « murmuraient » ou refusaient même de se rendre aux convocations des maires, lors des battues organisées contre les brigands.

Les autorités préfectorales et municipales pouvaient également faire appel aux gardes champêtres, aux gardes forestiers ou à des volontaires (c’est-à-dire des habitants des villages).


       
Comment capturer les brigands ?
 

Agissant de jour comme de nuit, des patrouilles de gendarmerie « faites avec exactitude et variées autant que possible » pouvaient amener leur arrestation.  Néanmoins, pour les vastes zones infestées de brigands, notamment la Montagne Noire, le recours à de grandes battues était inévitable.

Elles mobilisaient toutes les brigades de gendarmerie disponibles dans le secteur, les gardes nationales, selon leur bon vouloir, et un grand nombre d’habitants des lieux environnants ; des colonnes à cheval fouillaient alors -parfois dans la pluie et le brouillard- les massages (hameaux) et toutes les masures fermées, tandis que des patrouilles à pied ratissaient les fonds de vallées. (15) 

 

12. Voir Annexe I.

13.  A.D.T., IV M4  1, 26 pluviôse An IX (15 février 1801) – Idem, IVM4  6, 30 juillet 1825 et 13 janvier 1826. – A.N., F7  9233, dossier 43.440, 19 décembre 1815, et dossier 68.557, 29 janvier 1817. 

14.  A.D.T., L 785, 12 ventôse An II (2 mars 1794) et L 816, 21 floréal An III (10 mai 1795). – Idem, L 336, 28 thermidor An VI (14 août 1798).

15. A.D.T., IV M4  3, Lettre du capitaine commandant la gendarmerie royale de l’Hérault à celui du Tarn du 8 avril 1816. – Idem, IV4  12, 20 août 1846.

 

Cependant, de nombreux rapports de gendarmerie se plaignaient de l’inutilité de ces battues  « parce qu’il est difficile de faire une enceinte sur ces montagnes » ; une fouille minutieuse des bois et des forêts ne produirait aucun résultat, car « il est impossible de mettre en mouvement une grande masse, sans que ces scélérats en fussent instruits ». Comme « la force ouverte » ne paraît pas être le meilleur moyen pour parvenir à arrêter ces malfaiteurs, il conviendrait de « les prendre par ruse », c’est-à-dire de surprendre les brigands « à des passages comme quand on guette des bêtes fauves », à condition que « la gendarmerie bivouaque sur la montagne ». (16)

 « Des gens déguisés », notamment des gardes champêtres, pouvaient surveiller les agissements de ces voleurs pour essayer de les faire attraper.

Par qui étaient jugés les brigands et quelles étaient les  sentences ? Sous l’Ancien Régime, la royauté recourait à une juridiction extraordinaire, la justice prévôtale, véritable tribunal militaire, jugeant sans appel et aux sentences immédiatement exécutées.

 Les individus accusés de brigandage étaient condamnés à de lourdes peines, qui les éliminaient de la société, soit définitivement (condamnation à mort ou aux galères à vie), soit pour une longue période (au moins dix ans de galères). Cette justice arrêtait peu, mais réprimait durement pour faire des exemples ; d’ailleurs les arrêts étaient rédigés dans des termes propres à « faire peur aux méchants » et l’exécution d’un condamné était entourée « d’un rituel théâtral »  (Nicole  Castan) destiné au public. (17)

     Au début du Consulat, le ministre de la police, Fouché, constatait que « la marche des tribunaux ordinaires était trop lente », ce qui assurait l’impunité à un grand nombre de coupables. Pour pallier à ces inconvénients, la loi du 18 pluviôse an IX (7 février 1801) créait dans quatorze départements du Midi dont l’Aude, l’Aveyron, la Haute-Garonne, l’Hérault, le Tarn, un tribunal criminel spécial, composé du président et de deux juges du tribunal criminel ordinaire, de trois militaires et de deux civils, désignés par le Premier Consul. Ce tribunal jugeait, sans appel ni recours en cassation, les vagabonds, les repris de justice et un grand nombre de délits coutumiers aux  brigands : vols avec effraction, assassinats, incendies et ports d’armes.

Un vol de faible importance commis par effraction valait à son auteur une peine minimum de huit années de fer (travaux forcés) ; toute circonstance aggravante (vol de nuit, vol dans une maison habitée ou servant d’habitation…) entraînait automatiquement deux années supplémentaires de fers, pour arriver rapidement jusqu’au maximum de 24 ans de fers. En revanche, les acquittements étaient très rares, et les condamnations par contumace inexistantes. (18)

 

Vers le milieu du XIXème siècle, grâce à une surveillance accrue de la police et surtout de la gendarmerie, le brigandage a évolué.

 Délaissant les campagnes touchées de plus en plus par l’exode rural, le brigandage est devenu citadin.

 Les brigands recherchent de plus en plus les villes, où il est facile de passer inaperçu dans des maisons surpeuplées : transporter le butin dans une rue très passagère est moins voyant que dans un chemin de campagne.

 

brigand

16. A.D.T., IV M4  4, 29 juillet et 16 août 1820.

17. Aspects modernes du banditisme, XVème Congrès  français de criminologie, op.  Cit. pp. 94-102 - voir également Castan (Nicole), Justice et répression en Languedoc à l’époque des Lumières, Paris, Flammarion, 1980, pp. 97-98 et 218. - Castan (Nicole et Yves), Vivre ensemble, Ordre et désordre en Languedoc (XVIIème et XVIIIème siècles), Collection Archives, Paris, Gallimard, 1981.

18.  SUSINI (Jean), La bande criminelle (aperçus historiques), Revue de science criminelle et de droit pénal   comparés, 1957, p. 673. – TULARD (Jean), Quelques aspects du brigandage sous l’Empire, Revue de l’Institut Napoléon, n° 98, janvier 1966, pp. 32-36. – HOBSBAWM (Eric  J.), Les bandits, Paris, Maspéro, 1972. – FUNCK-BRENTANO  (Frantz),  Les brigands, Paris, Tallandier, 1978.

 

 

 

Annexe  I

 

Spoliation de la métairie du sieur Durand, aubergiste à Soréze (18 floréal an XIII / 8 mai 1805)

 

     « Le 18 floréal, à sept heures du soir, trois brigands dont deux armés de fusils de calibre, masqués et habillés en paysan, et le troisième, âgé d’environ 40 ans, cheveux châtains, portant un habit de soldat, parement écarlate, un chapeau à ganse blanche et un gilet moucheté, se présentèrent à la métairie du Plo du Palet dans cette commune ; ayant trouvé la porte fermée, ils appelèrent les métayers en disant qu’ils avaient un cheval qui s’était fait mal ; ayant été pour ouvrir la porte, ces trois brigands leur dirent qu’ils cherchaient des volontaires ; puis, leur ayant dit d’allumer de suite une lampe, et sur ce qui leur fut répondu par les métayers qu’ils n’avaient point d’huile, ils demandèrent de l’eau-de-vie et du coton et se procurèrent par là une lumière.

 

 

Ensuite, ils prirent les clefs avec violence, ouvrirent les armoires et les coffres et fouillèrent partout ; ils prirent seize louis dont trois en or, deux habits qui étaient à l’usage de Bernard Albouy décédé depuis environ deux mois, un  chapeau commun, toute la saucisse, leurs jupes, douze mouchoirs de femme, une chemise d’homme, une chemise de femme, un havresac, une ceinture et deux sacs, dans lesquels ils mirent le tout. Guillaume Albouy père ayant voulu leur représenter le tort qu’ils avaient de les dépouiller de leur avoir, l’un des brigands s’élança sur lui avec fureur armé d’un fusil et lui en donna deux grands coups sur la poitrine.

 Ces brigands burent ensuite à la santé du diable, et voyant un petit enfant qui leur tendait les bras, ils dirent qu’il faudrait le mettre à la broche ; après quoi, ils prirent une bouteille remplie de vin qui était sur la table et se retirèrent en assurant à Albouy fils aîné que s’il s’avisait  de dire ce qui venait de se passer, s’en était fait de sa vie.

 Il y avait sans doute devant la porte de la métairie d’autres brigands qui faisaient sentinelles, puisqu’on avait défendu audit Albouy de sortir.

 Albouy aîné, étant sorti quelque temps après pour tâcher de s’apercevoir par où ces brigands étaient passés, et ayant gagné la métairie de Montagnet qui est à quelque distance de la leur en suivant la direction des Cammazes, il apprit par les métayers qu’il n’y avait qu’un instant qu’ils avaient entendu beaucoup de bruit et qu’on avait battu leurs chiens ».

(A.N., série F7 8493, dossier 3924, les 4, 14, 17 et 25 prairial an XIII / 24 mai, 3 juin, 6 juin et 14 juin 1805)

 

Annexe II

 

Principaux actes de brigandage

 

-            1747 et 1788 : des vagabonds armés autour de Dourgne.  (19)

1747-1748 : « une troupe considérable de véritables voleurs de profession et de brigands rôde aux environs de Dourgne, Lempaut, Vielmur et d’autres lieux circonvoisins» pour y commettre toutes sortes de vols et brigandages. Deux arrestations et condamnations aux galères ; trois complices acquittés. (20)

-            19 janvier 1782 : dans le bois de Malabarthe (région de Soréze), deux habitants de Saint-Amancet, à leur retour du marché de Revel, sont attaqués, blessés et volés par « deux quidams ». (2[1])

-            12 ventôse an II (2 mars 1794) : la municipalité de Soréze reçoit 25 fusils et piques, « pour la destruction de brigands qu’on dit bivouaquer sur les frontières » du département.

-            27 floréal an III (16 mai 1795) : le nommé Guillaume Delprat, dit Gazalion, déserteur, est arrêté par les gardes nationaux de Soréze sur le chemin de Revel aux Cammazes ; il appartiendrait, croit-on, à « la fameuse bande » La Plume, qui commet « des ravages épouvantables dans nos contrées ». (22)

-            21 floréal an III (10 mai 1795) : un certain nombre de cartouches (cinquante) sont livrées à la municipalité de Soréze  pour « dissiper certains attroupements de brigands, qui vont tous les jours en augmentant ». (23)

-            floréal an III (avril-mai 1795) : une troupe de brigands, dirigés par « le fameux La Plume » parcourt les districts de Castres, Lavaur, Revel et Montolieu ; « cette horde de brigands, qui parait occuper la montagne », multiplie les assassinats ; malgré la capture de deux complices, les municipalités de Dourgne et de Soréze réclament une « chasse générale » pour parvenir à les arrêter. (24)

-            17 ventôse an IX (8 mars 1801) : le maire de Saint-Germain des Près (arrondissement de Lavaur) se plaint du passage ou de la présence dans sa commune de nombreux brigands (deux d’entre eux sont déjà en prison). (25)

 

 

19. Archives Départementales de l’Hérault, C 739 et 6749.
20. A
.D.T., B 291, 23 juin 1747-21 mars 1748.
21. A .D.T., B 1258, 19 janvier 1782.

22. A
.D.T., L 785, Lettre du Directoire du district de Castres à la municipalité de Revel,  27 floréal  an III (16 mai 1795).
23. A .D.T., L 816, Lettre du Directoire du district de Castres à la municipalité de Soréze, 21 floréal  an III (10 mai 1795).

24. A
.D.T., L 789, Lettres des municipalités de Dourgne et Soréze  à l’administration du district de Castres, 19 floréal  an III (8 mai 1795).
25. A
.D.T., IVM 4  1, 17 ventôse an IX (8 mars 1801).  

 

 

-       Mai-juin-juillet 1805 : une bande de brigands opère dans les montagnes situées sur les confins des départements du Tarn, de l’Aude et de la Haute-Garonne, c’est-à-dire dans les lieux de Laprade, Arfons, Les Cammazes, Soréze, La Pomarède et Saint-Félix. Ils se livrent à de multiples exactions : évasion de quatre personnes des prisons de Carcassonne, enlèvement des mains des gendarmes de quatre déserteurs, « spoliation d’une ferme » à Soréze… Arrestation du chef présumé, le nommé Mazars dit Ladéroute et de trois de ses complices.

-       11 décembre 1806 : trois brigands s’introduisent chez le sieur Roux, septuagénaire, « très grand propriétaire foncier » à Cuq-Toulza ; après l’avoir solidement garroté, ainsi que sa vieille domestique, ils enlèvent une somme de 2000 francs. (26)

-       Juin 1807 : battue générale contre un rassemblement de brigands dans la Montagne Noire ; aucune bande n’a été trouvée, mais il y a moins de délits que les mois précédents. (27)

-       23 mars 1809 : à Puylaurens, dans la nuit précédant le jour de la foire, il a été volé différents effets chez un cabaretier-bourrelier, ce qui est  considéré comme un « acte de brigandage » . (28)

-       29 janvier 1810 : sept brigands enlèvent le coffre-fort de M. de Ranchin-Burlats à Puylaurens, pour y voler la somme de 10 000 francs ; l’un d’eux restitue une partie de la somme par l’intermédiaire du curé de Puylaurens et se déclare prêt à dénoncer ses complices, s’il obtient grâce auprès des autorités. Pour le commandant de la gendarmerie impériale du département du Tarn, c’est le propre fils de M. de Ranchin, en proie à des difficultés financières, qui s’est livré à ce vol. (29)

 27 avril 1810 : un ancien employé des droits réunis de Puylaurens est attaqué « sur la grande route « de cette ville par deux brigands qui lui volent 18 francs. (30)

21

Décembre 1824 : cinq brigands (tous d’anciens condamnés), établis sur les communes de Puylaurens, Vielmur, Guitalens, terrorisent les habitants de ces lieux. Aucune arrestation n’a été possible, car certains habitants, « par liaison ou par peur», donnent asile à ces malfaiteurs. (31)

-            12 octobre 1825 : arrestation dans les environs de Puylaurens, d’un mendiant vagabond (originaire de Savoie), « soupçonné de faire partie d’une bande de malfaiteurs » qui désolent les cantons de Puylaurens et de Lanta (Haute-Garonne). Aucune charge particulière n’est recueillie contre lui. (32)

 

- Octobre 1825 : une bande de malfaiteurs rançonne les habitations isolées dans les communes de Puylaurens, Lempaut, Soual, Dourgne, Massaguel et Viviers-les-Montagnes ; ils auraient même commis plusieurs tentatives d’assassinats. Après enquêtes de police, il semble que certains faits rapportés manquent d’exactitude ou ont été exagérés. (33)

 



26. A .N., AF IV 1498, bulletin du 24 décembre 1806 et F7 8494, dossier 11.768, 26 décembre 1806 – 12 décembre 1807.
27. A .N., AF IV 1500, bulletin du 24 juin 1807.

28. A
.N., F7 8619, dossier 9528, 26 mars 1809.
29. A
.N., AF IV 1508, bulletin du 24 mai 1810 et F7  8619, dossier 12. 337. – A.D.T., IV M 4  2, 31 janvier, 12 mars, 30 avril, 22 mai et 12 juin 1810.
30. A .N., F7  8619, dossier 13 .090, 16 mai 1810-6 juillet 1810.

31. A
.D.T., IV M 4  6, 15 décembre 1824 et 22 janvier 1825.
32. A
.N., BB18  1131, 12 octobre 1825-29 janvier 1826.
33. A
.N., F7  9574, dossier 6149, 7 et 26 octobre 1825. – A.D.T., IV M4  6, 15 septembre 1825.

 

4

COMPLAINTE DE MANDRIN

I. Nous étions 20 ou 30
Brigands dans notre bande,
Tous habillés de blanc
A la mode des… vous m’entendez,
Tous habillés de blanc
A la mode des marchands.

II. La première volerie
Que je fis dans ma vie,
C’est d’avoir goupillé
La bourse d’un… vous m’entendez,
C’est d’avoir goupillé
La bourse d’un curé.

III. J’entrai dedans sa chambre
Mon Dieu qu’elle était grande
J’y trouvai 1 000 écus
Je mis la main… vous m’entendez,
J’y trouvai 1 000 écus
Je mis la main dessus.

IV. J’entrai dedans une autre,
Mon Dieu qu’elle était haute
De robes et de manteaux
J’en chargeai trois… vous m’entendez,
De robes et de manteaux
J’en chargeai trois chariots.

V. Je les portai pour vendre
A la foire en Hollande
J’les vendis bon marché
Ils n’m’avaient rien… vous m’entendez,
J’les vendis bon marché
Ils n’m’avaient rien coûté.

VI. Ces Messieurs de Grenoble
Avec leurs longues robes
Et leurs bonnets carrés
M’eurent bientôt… vous m’entendez,
Et leurs bonnets carrés
M’eurent bientôt jugé.
VII. Ils m’ont jugé à pendre,
Ah ! c’est dur à entendre
A pendre et étrangler
Sur la place du … vous m’entendez,
A pendre et étrangler
Sur la place du marché.
VIII. Du haut de ma potence
Je regardai la France
Je vis mes compagnons
A l’ombre d’un … vous m’entendez,
Je vis mes compagnons
A l’ombre d’un buisson.
IX. Compagnons de misère,
Allez dire à ma mère
Qu’elle ne m’reverra plus,
J’suis un enfant … vous m’entendez,
Qu’elle ne m’reverra plus,
J’ suis un enfant perdu. 

 

Sur un air tiré de l’opéra Hippolyte et Aricie de Jean-Philippe Rameau (créé en 1733) ont été adaptées ces paroles évoquant l'épopée de Louis Mandrin.
Recherché pour meurtre, Mandrin se retrouve rapidement à la tête d’une bande de brigands et s’attaque aux impopulaires fermiers généraux.

 

 Il échappa longtemps aux soldats du roi de France en se réfugiant dans les montagnes, entre la France, la Suisse et la Savoie.
Malgré le soutien d'une large partie de la population révoltée par les abus commis au nom du roi, ce Robin-des-bois du Dauphiné fut finalement capturé.

Il fut roué vif à Valence et meurt le 16 mai 1755.

La Complainte de Mandrin est très populaire ; elle  a été reprise par de très nombreux artistes  : depuis Yves Montand et Guy Béart jusqu’au duo Faudel-Bernard Lavilliers, François Hadji-Lazaro ou encore La Varda. Même Dorothée en a créé une version…

 

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