Société d’ Histoire de Revel Saint-Ferréol                                       PARU DANS  LES CAHIERS DE L’ HISTOIRE N° 16 - 2011 - pages 71-74

 

LE BLASON OUBLIÉ DU LAURAGAIS !


par Bernard VELAY - Membre de la Société Française d’Héraldique et de Sigillographie

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« Longtemps associé au conservatisme le plus réactionnaire, l’usage des armoiries connait en France depuis quelques décennies un renouveau spectaculaire. Blasons et logos chargés d’exprimer l’identité régionale seraient-ils en train de dissiper la querelle des anciens et des modernes ? ».

«…  C’est bien la force des images qui a fait ressurgir les blasons des greniers ou on les confinait. On les croyait ensevelis sous le conservatisme des châteaux, la nostalgie des provinces ou la poussière des grimoires. Ils reviennent en force et accompagnent ce renouveau identitaire qui n’en finit pas de questionner notre Etat centralisé. Sous l’Ancien Régime toutes les provinces et la plupart des « vieux pays » « s’habillent d’armoiries… » (cf. Nicolas Vernot) (1).

Le blason est un excellent marqueur d’identité, expression illustrée de la personnalité d’un terroir, d’un territoire, d’une personne morale ou physique.

Le Lauragais (Laouragès en occitan, pays de labours) possède une identité profonde fondée sur sa géographie et son histoire.

Le Lauragais, pays du pastel, des cathares, du cassoulet …, ce pays mythique où souffle puissamment le vent d’autan, profondément enraciné ne pouvait donc pas échapper à l’enregistrement officiel et enluminé de ses armoiries par les héraldistes les plus autorisés.

Paysage calme patiemment et sagement domestiqué, aux plaines opulentes et aux douces collines, le pays de Laurac, du nom d’un de ses villages est une véritable terre agricole au passé riche mais agité. Cette terre de grands labours est connue depuis des millénaires comme le grenier à blé du Midi.

Au confluent de deux mondes, entre Ouest et Est, entre Atlantique et Méditerranée, entre Aquitaine et Languedoc, il est délicat de situer les frontières de ce long couloir, de ce sillon venteux, coincé entre Montagne Noire et Pyrénées, parcouru  et desservi par le prestigieux Canal du Midi.

Le pays Lauragais commence aux portes de la capitale toulousaine et finit aux premières vignes du Gaillacois et du pays d’Aude. Et pourtant, l’entité du Lauragais qui mériterait bien d’être affirmée et confirmée par un blason existe et elle est ancienne. Son historicité n’est plus à démontrer, elle est bien fondée par la définition qu’en donne « le Larousse illustré de 1907-1910 » : « Ager Lauracencis, pays Lauraguais ou Lauragais constitué autour de la seigneurie de Laurac, clef militaire du passage, appartint successivement aux Vicomtes de Carcassonne, de Béziers, aux rois d’Aragon, de France (1258-1478) à la maison de la Tour d’Auvergne, à Catherine de Médicis, enfin à la maison ducale des Brancas(p.75, t.5) . Le Lauragais a été effectivement érigé en duché en 1755 ! Une glorieuse confirmation et couronnement de sa consistance géographique et historique, de sa réalité juridique et politique ».

Privé d’âme depuis la Révolution, brisé entre deux régions (Languedoc-Roussillon et Midi-Pyrénées, écartelé en quatre départements (Haute-Garonne, Aude, Tarn et Ariège), le Lauragais connait depuis le 11 juin 1998, une renaissance spectaculaire ! Ce jour là, sous la halle de la bastide de Nailloux (Hte-Garonne) est née « l’Association du Pays Lauragais » regroupant 168 communes. Cette renaissance est due à l’action conjointe d’élus, d’une association de professionnels, d’historiens émérites, comme Jean Odol, de présidents et membres d’associations culturelles, notamment Francis Falcou, président des Amis de Castelnaudary (2), du Centre Culturel du Lauragais à Nailloux, etc.

L’Association du Pays Lauragais a choisi de communiquer, d’adopter en guise de signe distinctif un logo. Il semblerait que l’association ait changé deux fois de logos. J’ai tenu à faire figurer ce type d’emblématique inspiré des techniques de communication commerciale, qui est à mon avis nettement moins riche de sens, plus adapté au marketing qu’à la représentation d’une entité territoriale historique, d’une communauté héritière d’un long passé. Le blason me parait moins artificiel, plus enraciné, appelé à une solide et vivante pérennité. Le logo n’est-il pas plutôt utilitaire tandis que l’emblème héraldique est séculaire.

Le blason du Lauragais peut se décrire ainsi : « Cinq points d’azur à une fleur de lys d’or, équipollés à quatre points de gueules, au château crènelé sommé de trois tourelles d’or » est enregistré et peint dans l’Armorial manuscrit de 1646 de Pierre de la Planche. Il est également décrit et représenté dans le Grand Larousse Encyclopédique t6, édition 1962.

L’Armorial (3) de Pierre de La Planche est un ouvrage exceptionnel, il s’agit du plus ancien armorial des provinces et villes de France connu. De plus, il présente les armoiries dans un état antérieur à l’édit promulgué en 1696 par louis XIV qui crée l’obligation d’enregistrer ses armoiries moyennant le paiement d’un droit. Pour ceux qui ne souscrivaient pas alors à l’édit, des blasons sont attribués d’office, qui, par les agents d’Hozier juges d’armes du roi le plus souventsans préoccupations des caractéristiques et des désidérata des destinataires. La qualité et l’ancienneté du document confèrent au blason de la sénéchaussée du Lauragais une authenticité certaine.

Pierre de La Planche, 1610-1684, prêtre et bibliothécaire de l’Oratoire  à qui l’on doit plusieurs catalogues  de cette précieuse bibliothèque a composé deux armoriaux fondamentaux consacrés aux villes et aux provinces françaises, L’un est daté de 1646, l’autre de 1669. Le premier, celui où est représenté et décrit le blason du Lauragais, comprend 1100 blasons, parmi lesquels les blasons de Castelnaudary et de Revel agrémentés de  précieux commentaires !

Le second, plus restreint contient 560 blasons. Ces deux manuscrits qui ont le grand intérêt de procurer non seulement le dessin des armoiries mais leurs couleurs, tous deux conservés par la bibliothèque du Château de Chantilly, demeurent inédits !

J’ai pris le risque, certes mesuré, d’interpréter les symboles « les meubles héraldiques » qui composent ce beau blason du Lauragais. Pour décrypter la signification d’un blason il faut faire preuve de beaucoup de circonspection en évitant de s’égarer dans des considérations hasardeuses parfois obscures sinon ésotériques. La symbolique du blason du Lauragais que je suis heureux d’exhumer d’un profond et regrettable oubli me parait assez éloquente.  Néanmoins, j’ai préféré  soumettre mon « déchiffrage » à l’examen autorisé de mon éminent collègue Francis Falcou, président des Amis de Castelnaudary, auteur de l’ouvrage : « Hommage à Castelnaudary et au Lauragais ». Dans sa lettre du 4 novembre 2009, il m’écrit : « Je suis bien d’accord avec vous pour voir dans les lys la marque du pouvoir royal ; les châteaux évoquent sans doute les bastides dont Chaury (4)    faisait partie. Parce que le Lauragais  n’est jamais sorti du domaine royal, malgré quelques tentatives d’aliénation… ». Conforté dans ma lecture du blason du Lauragais, je me permets d’ajouter que le « quadrillage » du blason en damier, « équipollé en points », évoque la morphologie des bastides (5) (une vingtaine en Lauragais). De plus, le château constitue le meuble héraldique dominant des armoiries des La Tour d’Auvergne longtemps possesseurs de la terre du Lauragais, enfin les couleurs du blason du Lauragais sont celles du royaume de France  et du Languedoc. 

Pour renforcer les explications et la justification des symboles contenus dans le blason du Lauragais, je pensais illustrer mon propos en présentant les armoiries d’importantes communes du Lauragais, qui sont également le plus souvent ornées de tours, d’un château, de fleurs de lys ! Le blason de Castelnaudary, capitale du Lauragais porte un château surmonté de trois tours et trois fleurs de lys d’or  sur un chef d’azur (bande bleue située sur la partie supérieure du blason) (6).

Tandis que sur les armes de Revel, le R d’or est rehaussé d’une couronne royale garnie de fleurs de lys. Le blason du Lauragais est donc un fidèle et éclatant reflet des images symboliques qui illustrent son riche passé historique !

Ah ! si l’emblème héraldique du Lauragais haut en couleur et riche de sens pouvait se répandre autant que les noms d’enseignes commerciales, des associations culturelles, sportives, des produits gastronomiques locaux ! En effet, en quelques années le nom « Lauragais » a fait flores, il constitue une véritable A.O.C., que les porteurs sont fiers d’annoncer et d’afficher ! Pourquoi ne pas accompagner le nom Lauragais  de son blason évocateur signe de reconnaissance et de ralliement.

1- Nicolas VERNOT, jeune historien, chargé de cours à l’Université de Cergy Pontoise, membre associé de l’Académie Internationale d’Héraldique, secrétaire adjoint de la Société Française d’Héraldique et de Sigillographie.
2- Francis Falcou est non seulement président d’une société savante, « Les Amis de Castelnaudary », il a occupé les fonctions de maire adjoint en charge de la culture à Castelnaudary. Même si F.  Falcou n’a pas été directement sollicité pour participer à la création de « l’ Association du Pays Lauragais », par ses nombreux écrits, conférences, actions en faveur de la protection du patrimoine, il a su sensibiliser les chauriens et de nombreux habitants du Lauragais à la valorisation du Lauragais.
3- Armorial : recueil où sont consignées les armories d’un royaume, d’un pays, d’une province etc. Ce sont les hérauts d’armes, les poursuivants d’armes, rois d’armes, juges d’armes comme les d’Hozier sous Louis XIV qui les rédigent et les conservent.
4- Chaury : contraction de Castelnaudary effectué par un scribe au XVème siècle. Le terme est passé dans les actes officiels : correspondances chapitre collégial avec les consuls. On retrouve Chaury dans les registres d’écrou époque impériale et post-impériale utilisé aussi par les sous-préfets jusqu’à la fin du XIXème siècle. F. Falcou
5- « on croit voir de grands potagers distribués en carreaux et desservis par des allées droites » Alcide Curie Seimbre 1880, cité dans le bel ouvrage de Gilles Bernard : « l’Aventure des Bastides »
6- 85. St Julia de Gras Capou, longtemps dans la mouvance de la maison royale de France à l’instar de l’ensemble du Lauragais, porte un écu à trois fleurs de lys- confer : histoire de St Julia de Gras Capou de l’abbé Aragon.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Castelnaudary – premier sceau.
Sceau rond biface (53mm)
Avers : château fermé, crénelé à trois tours rondes, orné d’une arcature fermée.
Le château figurant sur le sceau de la capitale du Lauragais figure dans le blason du Lauragais
Réf: corpus des sceaux. Archives Nationales - sceaux de villes

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


Armoiries du Lauragais, armorial de Pierre de la Planche 1646 bibliothèque et archives du château de Chantilly


Armoiries de la Sénéchaussée et Présidial du Lauragais,
armorial Charles d'Hozier

 



Logo utilisé par l'association du Pays Lauragais

 

 

 

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